Le principe d’un «Dictionnaire amoureux» est de ne dire que du bien, ou presque, du sujet traité. N’attendez-donc pas du livre de Daniel Herrero qu’il prenne ses distances avec le rugby, ce sport dont il fut une vedette en France et qui déborde ces jours-ci sur les écrans, Coupe du Monde oblige. Même dans un pays comme la Suisse où la notoriété du ballon ovale reste plus que modeste, ce «Dictionnaire amoureux du rugby des temps modernes» (Ed. Plon) a toutefois une énorme vertu: il raconte bien plus que le sport, ses règles et ses célébrités. Il s’interroge sur la passion de l’Ovalie et nous décrit la mutation du rugby, devenu un sport professionnel de très haut niveau depuis le début des années 90.
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Le rugby fédère plus qu’il n’oppose
Je ne suis pas un fan de ballon ovale. Je ne suis pas rivé devant mon écran à chaque tournoi des six nations. Mais je dois dire que le succès populaire de ce début de Coupe du Monde, dans une France sans cesse en colère, est une réalité qu’il faudra suivre de près ces prochaines semaines. Pourquoi? Parce que le rugby fédère plus qu’il n’oppose. Parce que ses règles remontent à presque deux siècles et sont restées inchangées. Parce qu’il donne à de petits confettis insulaires du Pacifique l’occasion d’exister sur la planète du sport globalisé. Prenez cette seule loi du rugby qu’est «l’en-avant»: «La balle ne peut en aucun cas être transmise à un partenaire qui se trouverait en avant du porteur de la balle. C’est la règle sacrée» écrit Daniel Herrero. Essentiel. Le rugby se joue en regardant vers l’arrière. Il oblige à se confronter à son passé.
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La (petite) polémique autour de la cérémonie d’ouverture de la Coupe du Monde, avec l’acteur français Jean Dujardin en boulanger des années cinquante, a montré combien certains médias ne comprennent pas ce sport. Le rugby est brut de décoffrage. Ce sport pratiqué à l’origine par l’élite britannique a bien moins que le foot été touché par le déferlement des sponsors et de l’argent-roi. L’amateurisme continue d’irriguer les fédérations, surtout dans les pays de l’hémisphère sud, dans l’immense océan pacifique, où les poteaux de rugby sont bien plus nombreux que ceux du ballon rond. Voilà son secret: le rugby est un pont. Écoles privées britanniques huppées d’un côté. Classes populaires de l’autre. La starisation des joueurs n’est pas devenue une loi d’airain. Le Rugby est par essence collectif. C’est ce que Dujardin voulait sans doute traduire avec sa cérémonie très cliché: et si le rugby parvenait à fédérer la France mieux que le football?
Un passage du dictionnaire de Daniel Herrero est révélateur. Il serait impensable dans un même ouvrage consacré au foot. «Avant d’embrasser le statut pro, tous les rugbymen ont baigné dix ou douze ans dans un rugby fait de partage, de lois régissant la vie collective, d’aide et d’entraide. Au cours des tonnes de passe, c’est toujours la fraternité qui l’a emporté.» Vrai? En tout cas, les mots sont forts et ils font aussitôt penser à la fameuse finale du Mondial de 1995, en Afrique du Sud. Les «Springboks» symbolisaient l’apartheid. Le rugby était le sport de l’élite blanche. Et voilà que Nelson Mandela, descendu dans le stade, fait de cette finale le rendez-vous de la fierté de tous les Sud-Africains! Qui dit mieux? Le rugby est entré dans l’histoire.
Une fièvre fraternelle
La France va-t-elle profiter de cette fièvre fraternelle? Il faut l’espérer. Le pays en a besoin. Beaucoup l’attendent. Je me risque, en refermant le dictionnaire de Daniel Herrero, à une analyse digne d’un bistrot: le foot, aujourd’hui, aussi sublime soit-il, divise plus qu’il ne rassemble. Les clubs les plus riches trônent en haut de l’affiche. Les sponsors les plus fortunés s’achètent tout. La liberté de l’argent a fait du stade des coffres-forts ouverts à tout-va. Le rugby, lui, a au contraire appris à rassembler pour survivre. Il ne pouvait pas demeurer un sport de blancs. Il ne pouvait pas prospérer en restant si britannique. Et si le rugby des temps modernes, discipline où les corps s’affrontent sans pitié mais avec respect, était au fond bien plus qu’un sport?
A lire: «Dictionnaire amoureux du rugby des temps modernes» (Ed. Plon)