L'Inde peut changer le monde. Et pas seulement en raison de ses 1,4 milliard d'habitants. Pays le plus peuplé de la planète, devant la Chine, la plus grande république fédérale de la planète est parfaitement positionnée pour tirer parti de l'actuel bras de fer entre les États-Unis et la Chine, et pour incarner le «sud global», désireux de ne plus être dominé ou aligné sur l'Occident.
Le sommet du G20 qui s'ouvre ce samedi à New-Delhi tombe donc à pic. Portrait d'une puissance en proie à des profondes fractures sociales et religieuses, mais de mieux en mieux positionnée pour peser sur les grands événements internationaux.
Atout N°1: l'Inde n'est pas prédatrice
Les pays pauvres et émergents se sont beaucoup rapprochés de la Chine depuis le début des années 2000. Pékin dispose, avec son programme «Ceinture et route» (Belt and Road), d'une manne financière et technologique que de nombreux gouvernements voient comme une opportunité d'échapper à l'aide occidentale, et aux contrôles qui vont avec.
Problème: la Chine ne cache pas son désir de devenir la première puissance mondiale, et de transformer en places fortes ses implantations portuaires ou ferroviaires. La Chine est un partenaire qui, par ses prêts, dons et autres chantiers, impose sa loi.
Ce n'est pas le cas de l'Inde, actuellement cinquième puissance économique mondiale. Son fonctionnement encore démocratique permet l'alternance au pouvoir, malgré l'autoritarisme croissant de Narendra Modi. Ses grandes entreprises, comme les groupes Tata (automobile), Oberoi (hôtellerie), Mittal (sidérurgie) ou Gupta (sidérurgie) ne sont pas liés à l'État. L'Inde, ce pays divisé par ses castes et socialement fracturé, peut coopérer sans dominer.
Atout N°2: l'Inde est un géant technologique
Le pays du Mahatma Gandhi (1869-1948) et du pandit Nehru (1889-1964), les deux hommes forts de l'indépendance acquise en 1947 après plus d'un siècle de colonisation britannique, n'est plus une puissance avant tout agraire. La réussite de l'atterrissage sur la Lune, le 23 août, de la fusée indienne Chandrayaan 3, l'a prouvé.
On connait aussi l'extraordinaire réussite des géants indiens du numérique basés dans la région de Bangalore et Hyderabad. Mieux: l'économie moderne, où les services et les plateformes occupent de plus en plus de place, convient bien à l'Inde, dont l'élite est anglophone, bien formée et capable de faire preuve d'une agilité technologique impossible dans le système autoritaire centralisé chinois.
Atout N°3: l'Inde a peu d'ennemis
Pardon, l'Inde a un grand ennemi: le Pakistan voisin. Tous deux sont des puissances nucléaires. Tous deux sont issus de la scission de l'ex-Empire des Indes britanniques, après le retrait du Royaume-Uni en août 1947.
Le Pakistan, ou «pays des purs», a accueilli les musulmans du sous-continent, même si l'Inde compte aujourd'hui 175 millions de musulmans, soit 15% de sa population. Est-ce une erreur, donc, que d'affirmer que le pays a peu d'ennemi? Non.
Au niveau mondial, très peu d'États ont des griefs militaires contre le géant indien, même si New Delhi entretient un litige frontalier avec le Népal et si des troupes indiennes ont été envoyées dans le passé au Sri Lanka et aux Maldives.
Atout N°4: l'Inde a un passé non aligné
L'Inde de 2023 s'est beaucoup rapprochée des États-Unis. Le pays a aussi commandé récemment 26 avions Rafale à la France. Finie, l'idylle des années 50-70 avec l'ex-bloc soviétique. Et pas question de se laisser manipuler par la Chine, ce voisin si puissant avec lequel New Delhi a connu des affrontements militaires, en 1962, pour le contrôle de territoires himalayens.
L'Inde profite, comme d'autres pays tels que l'Indonésie, d'une réputation de puissance non alignée. Elle est d'ailleurs l'un des pays fondateurs de ce mouvement né en 1961, qui espérait devenir une troisième voie entre l'Occident et l'URSS. Or le non-alignement, avec la guerre en Ukraine, redevient une valeur sûre pour beaucoup de pays de l'ex-«tiers-monde».
Atout N°5: l'Inde est loin de l'Ukraine
C'est une évidence géographique, mais aussi diplomatique et économique. La Chine, on le sait, entretient des liens de plus en plus étroits avec la Russie, qui lui fournit les ressources naturelles essentielles à son industrie.
L'Inde est moins impliquée dans ce conflit qui divise le monde en 2023. Elle peut même encore rêver de jouer un rôle de médiateur. Les pays les plus riches du G7 lui sont reconnaissants, pour ce sommet du G20, d'avoir exigé un consensus final, ce qui met la Russie de Vladimir Poutine le dos au mur.
Le président russe, absent du sommet, ne pourra pas diviser les participants. Le Premier ministre Modi tient la barre. Il se comporte en patron. Un rôle que l'Inde pourrait tenir de plus en plus souvent à l'avenir.