Ils étaient les dieux du stade. Ils étaient les rois de l’ovalie dont la grande fête mondiale s’ouvre le 8 septembre en France. Certains seront même présents lors du match d’ouverture de la Coupe du monde de rugby à XV entre la France et la Nouvelle-Zélande à Paris, ce vendredi 8 septembre. Mais pour eux, tout se conjugue au passé. Tout, y compris leur santé physique. 160 anciens joueurs professionnels, dont plusieurs internationaux, ont porté plainte pour «commotion cérébrale» contre World Rugby, la fédération qui gère ce sport au niveau mondial.
Des ex-stars des XV irlandais, anglais et gallois ont signé cette action collective qui regroupe également une soixantaine d’amateurs. Au total, 235 joueurs ont décidé de dire stop. Ils sont les lanceurs d’alerte de la planète rugby, accusée de ne pas protéger ses champions, voire pire: de les mettre en danger pour la beauté du spectacle.
Le cas du football américain
On connaît, aux États-Unis, les polémiques à répétition sur la violence dans le football américain. Depuis dix ans, la National Football League (NFL) est en position d’accusée après la révélation de l’existence d’un système de primes financières accordées par certaines équipes pour «récompenser» les blessures. Les Saints de la Nouvelle-Orléans ont été les premiers visés. Une enquête de plusieurs années a été menée par la fédération. Près de cinq mille anciens footballeurs ont porté plainte contre la NFL «pour dissimulations des dangers liés à leur sport». La fédération a dû débourser 485 millions de dollars de dommages et intérêts,
L’essentiel de la Coupe du monde de Rugby en vidéo
Or voilà que le rugby est à son tour touché par une épidémie d’actions en justice. Au point que World Rugby a, par son porte-parole, déjà anticipé une éventuelle reconnaissance de responsabilité: «Nous sommes attristés par ces récits d’anciens joueurs et nous saluons leur courage. La santé des joueurs a toujours été et continuera d’être notre priorité absolue. Nous nous efforçons de les protéger, en agissant sur la base de preuves et de données scientifiques» affirme la fédération internationale, à la veille de la compétition qui se déroulera dans neuf villes de France: Saint-Denis, Bordeaux, Lille, Nantes, Nice, Saint-Étienne et Toulouse.
Déluge de migraines et de vertiges
Toutes les plaintes pour commotion cérébrale relatent des faits similaires: un déluge de migraines, de vertiges, de vomissements, de sautes d’humeur, de pertes de mémoire et de troubles de la personnalité engendrés par les coups répétés portés au crâne, durant les phases de jeux. «A force de répéter les commotions, il peut y avoir des lésions et des zones d’atrophie un peu partout. Et il y a un seuil critique à partir duquel le cerveau ne fonctionne plus correctement et on devient dément, avec des troubles de l’équilibre, de l’humeur…», détaillait récemment le neurochirurgien Jean Chazal dans les colonnes du «Monde».
La question est celle du lien entre ces commotions et d’éventuelles maladies neurodégénératives qui affectent de nombreux plaignants. Le Journal of Neurology, Neurosurgery and Psychiatry affirme, dans un article publié en octobre 2022, que les anciens joueurs internationaux de rugby ont deux fois et demie plus de risques que la population générale de développer ce type de pathologies, et trois plus de chance que les pratiquants d’autres sports de haut niveau d’être affectés par la maladie de Parkinson. L’évidence sanitaire apparaît difficile à contester. Et la question qui fâche est posée: le rugby, tel qu’il est pratiqué avec peu de protections du corps et de la tête, est-il trop violent?
World Rugby à l’écoute
En plus de sa réponse officielle, World Rugby a pris une initiative. Celle d’accompagner les joueurs les plus exposés aux commotions – en particulier lors des plaquages – en matière d’examens cliniques. Des campagnes de prévention ont aussi été lancées. Le docteur David Brauge conseille la Fédération française de rugby: «Il a beaucoup été dit qu’il y avait ces dernières années une épidémie de commotions cérébrales dans le rugby de haut niveau», explique-t-il.
Les institutions rugbystiques se sont interrogées sérieusement à la suite du nombre important de commotions dans le football américain (et dans les sports de combat) et ont mis de plus en plus de moyens pour contrôler cela: formation des médecins et du personnel de match, puis installation de caméras spécifiques, puis personnel dédié au bord du terrain, etc. Ainsi, mécaniquement, d’année en année, on a dénombré de plus en plus de commotions sur les terrains. Il s’agit en réalité d’un comptage de plus en plus précis. Depuis 4-5 ans, la prévalence est stabilisée, les acteurs étant bien formés à les identifier. Soit. Mais il faut aussi répondre aux plaintes et aux demandes de compensations.
La Coupe du monde de Rugby peut-elle être l’occasion d’affronter ces douloureuses réalités? Près de vingt millions de téléspectateurs à travers le monde sont attendus pour le match d’ouverture. Un moment sans équivalent pour aborder aussi l’envers du décor sportif: le risque encouru par les joueurs pour l’emporter, et s’imposer par la force aux yeux du public.