Vous vous souvenez de la France «black-blanc-beur»? Le slogan résumait, en 1998, le métissage de l’équipe de France de football, qui venait d’accrocher à Paris la première étoile sur son maillot en remportant la Coupe du monde. La formule, depuis, a bien vieilli et son ambiguïté a été démontrée par les faits. Plus personne n’ose l’employer.
Mais elle contient une question qu’une autre compétition, à partir de ce vendredi 8 septembre, va devoir se poser: organisée en France pour la seconde fois, après l’édition 2007, la Coupe du monde de rugby peut-elle être l’occasion d’une victoire antiraciste dans ce sport?
Vingt équipes dans neuf stades
Racisme et ballon ovale. En France, où vingt équipes vont s’affronter à partir de ce vendredi dans neuf villes, la question est illustrée ces jours-ci par une polémique autour du deuxième ligne du XV tricolore Bastien Chalureau. Le joueur de Montpellier a été sélectionné malgré sa condamnation à trois mois de prison avec sursis en 2020 pour violences à caractère raciste. Il a interjeté appel et sera de nouveau jugé en novembre. Il reste présumé innocent.
Il serait mieux qu’il quitte alors le XV de France s’il est condamné, a commenté Emmanuel Macron. Un président conscient que, si l’équipe de France de football aligne des joueurs de toutes origines, les Bleus du ballon ovale restent très majoritairement blancs. «Au rugby, les bancs sont encore très blancs», titrait d’ailleurs le quotidien sportif «L’Équipe» en 2020. Et d’ajouter: «La réalité est implacable: pas un manager du Top 14 n’est issu de la diversité. L’émergence d’une génération de joueurs noirs devrait, à terme, favoriser un métissage de la fonction d’entraîneur.»
Le public reste majoritairement blanc
Le résultat en 2023 est en net progrès. Six joueurs de couleur figurent parmi les 33 sélectionnés, dont une partie originaire des territoires français du Pacifique: Jonathan Danty, Yoram Moefana, Cameron Woki, Peato Mauvaka, Sipili Falatea et Uino Atonio. «L’affaire Chalureau» cache donc une diversité bien plus réelle que lors des éditions précédentes.
Restent les faits et l’histoire. Le public du rugby est très majoritairement blanc. Dans certains pays, comme l’Afrique du Sud ou l’Australie, il a longtemps symbolisé la domination de l’élite issue de la colonisation britannique sur la population autochtone. La Nouvelle-Zélande, qui dispute ce vendredi soir le match d’ouverture contre la France à Paris, a comparativement fait beaucoup plus d’efforts, depuis longtemps, pour intégrer son sport-roi à la culture maori, symbolisée par le fameux «Haka» scandé par les joueurs sur le terrain avant le match.
La question des supporters
La Fédération internationale de rugby a pris conscience du problème. «Les supporters qui publient en ligne des discours de haine ou des messages menaçants à l’égard des joueurs et des officiels lors de la Coupe du monde de rugby risquent d’être interdits de matches nationaux et dénoncés à la police», a averti World Rugby.
La fédération a aussi annoncé qu’une surveillance des tweets et des posts Instagram «à la recherche de racisme, d’homophobie et d’autres formes d’abus aura lieu en temps réel». Objectif: mettre en place un «bouclier protecteur en ligne autour de tous les officiels de match, joueurs et entraîneurs» pendant le tournoi.
Le souvenir de Nelson Mandela
Plus important encore, World Rugby a déclaré être prête à fournir des preuves aux associations nationales pour qu’elles bannissent des stades les individus coupables d’abus et d’insultes racistes. Changement d’époque?
Le 25 juin 1995, l’équipe d’Afrique du Sud sortie de l’apartheid avait remporté chez elle la Coupe du monde, et accueilli Nelson Mandela dans un stade en liesse. Revêtu du maillot des Springboks, le président avait été ovationné. La nation arc-en-ciel était née. «Il arrive que le rugby revête les couleurs de l’Histoire, la grande», s’étaient alors félicités les organisateurs. Le moment est venu, en France, de rééditer cette performance.
Retrouvez Nelson Mandela lors de la finale de 1995