Une bombe politique. Ou plutôt, une grenade pas encore dégoupillée. Si Emmanuel Macron avance, comme il affirme en avoir l’intention après sa rencontre avec l’ensemble des partis politiques, vers un assouplissement des règles pour l’organisation de référendums, et s’il choisit de consulter les Français sur l’immigration, le risque d’une France fracturée sera réel.
Cela fait des années, en effet, que l’aile dure de la droite française réclame que le peuple vote sur l’accueil des étrangers, sur le regroupement familial des immigrés, et sur les conditions d’asile. Pour sa rentrée politique ce dimanche dans sa circonscription législative d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), Marine Le Pen ne manquera pas de le rappeler.
«Priorité nationale»
En septembre 2021, soit six mois avant l’élection présidentielle d’avril 2022 qu’elle a ensuite de nouveau perdu face à l’actuel locataire de l’Élysée, la candidate du Rassemblement national avait en effet détaillé devant la presse sa proposition de référendum. Elle proposait alors de «refondre l’ensemble du droit applicable aux étrangers» via une modification des premiers articles de la Constitution, en vue notamment d’y inscrire la «maîtrise» de l’immigration.
Le texte sur lequel l’ex-candidate du Rassemblement national voulait consulter les Français incluait l’interdiction des régularisations, la mise en place d’une «priorité nationale» pour l’accès au logement et à l’emploi, l’expulsion des étrangers délinquants, la fin du regroupement familial, des prestations sociales réservées aux seules familles françaises ou encore des sanctions pénales à l’encontre de ceux qui se rendent complices d’immigration illégale.
Un projet existe donc, clé en main. Même la question posée aux électeurs était prête, et elle pourrait servir après le débat parlementaire attendu cet automne sur le futur texte présenté par le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin. «Approuvez-vous le projet de loi qui présentera un plan complet de maîtrise de l’immigration?»
Marine Le Pen a-t-elle raison?
Que deux ans plus tard, Emmanuel Macron reprenne cette idée de référendum dans sa réponse aux partis politiques présents à la rencontre de Saint-Denis le 30 août, pose dès lors quelques questions. Certes, le Président ne s’engage pas à consulter ses concitoyens sur la politique migratoire. Il se contente de reconnaître que la discussion du 30 août à Saint-Denis «n’a pas fait émerger de consensus» sur la question du référendum et s’engage à «faire une proposition sur ce sujet dans les semaines qui viennent».
Reste que l’on voit mal comment l’exécutif pourrait enclencher un processus de réforme constitutionnelle afin de faciliter le recours aux votes populaires sans aborder l’une des principales préoccupations des électeurs. En clair: Macron n’est-il pas condamné, s’il s’engage dans la voie référendaire maintenant – au lieu de l’avoir fait par exemple sur la réforme des retraites entrée en vigueur le 1er septembre – à donner raison à Marine Le Pen?
Au risque de conforter celle qui, selon les sondages, recueille aujourd’hui entre 34 et 37% d’opinions favorables. Soit un record de popularité pour celle qui a longtemps symbolisé l’extrême-droite ostracisée et présumée incompatible avec la République?
Les chiffres interdits
Une seconde vérité interdite ne manquera pas en outre d’apparaître, si le projet d’un référendum sur l’immigration se précise: celle des chiffres. Entre cinq et sept millions d’immigrés vivraient en France, selon les estimations. Les statistiques ethniques ou religieuses demeurent interdites en France.
Or dans ce domaine, elles sont essentielles pour appréhender la réalité de l’intégration, qui est le sujet clé. On vient d’apprendre, par exemple, que les demandes d’asile au niveau européen sont en hausse de 28% au premier semestre 2023 par rapport à 2022. Au total, 519'000 dossiers ont été déposés de janvier à juin 2023. Ces chiffres sont ceux de l’agence pour l’Asile des pays de l’espace Schengen.
Mais quid de la France? On se souvient de la polémique suscitée, à juste titre, par le projet de référendum local du maire de Béziers Robert Ménard (alors proche de Marine Le Pen) selon lequel les écoles de sa commune abritaient «64,6% d’enfants musulmans». Cette consultation, validée par le conseil municipal, avait été annulée par la justice en 2016.
Mais la question des chiffres est restée: «Le recensement français se contente de demander la nationalité d’origine d’un individu, en cas de naturalisation, mais pas celle de ses parents, confirmait à l’époque à Libération les services de l’Institut national d’études démographiques (INED). A chaque fois que des fichiers ethniques ont été découverts dans des offices HLM, ils ont été interdits.
Héritage de la rafle du Vel-d'Hiv
En France, il n’existe pas de registre de population (NDLR: comme en Suisse). Un maire n’a donc même pas à sa disposition la liste complète des habitants de sa commune. L’abolition de ces registres a été l’une des premières lois votées à la Libération. Ils avaient permis la rafle des juifs du Vel-d’Hiv à Paris, en 1942.
L’image de la grenade démocratique dégoupillée est bonne. 65% des Français sont favorables à un référendum sur l’immigration, dont la moitié vient de la gauche. Il s’agit d’une enquête d’opinion commandée par la chaîne réactionnaire CNews à l’institut CSA.
Bilan: les jeunes de 18 à 24 ans sont 74% à dire «oui» à un référendum. Les 50 ans et plus sont 64%. Coté politique, la balance penche bien sûr à droite: 83% des électeurs de droite sont pour. Ils sont 96% au RN, et à 95% à Reconquête, le parti d’Eric Zemmour.