Le bilan est terrible pour un pays déjà à terre. Alors que les talibans ont du mal à mettre en place un pouvoir qui leur échappe déjà, à peine une semaine après leur triomphe, voilà qu’un attentat de grande ampleur vient endeuiller Kaboul. Des dizaines de personnes sont décédées, dont treize marines américains, alors que les États-Unis n’ont pas perdu un seul soldat durant les derniers dix-huit mois de leur occupation du pays. Le président Joe Biden les qualifie de héros de la nation, et jure de venger leurs morts et de traquer les agresseurs.
Si la situation semble tout à coup mettre les talibans et les États-Unis dans le même camp, c’est parce que les auteurs de ce bain de sang sont leurs ennemis communs: les djihadistes de l’État islamique et ses ramifications en Afghanistan ayant revendiqué l’attaque de Kaboul de jeudi. Deux kamikazes se sont fait sauter, l’un à l’aéroport, l’autre dans un hôtel des alentours. L’un des agresseurs présumés est Abdul Rahman al-Logari, qui a pu déjouer toutes les mesures de sécurité et se trouvait «à cinq mètres au plus des soldats américains» lorsqu’il a fait détonner sa ceinture explosive. Face à ceux qui considèrent les talibans comme des traîtres à la cause et les États-Unis comme le diable, Joe Biden parle «d’intérêts communs» avec les talibans.
Il souligne toutefois que «les talibans ne sont pas des gens bien». Mais il déclare que les nouveaux maîtres de l’Afghanistan ont intérêt à travailler avec la communauté internationale en matière de sécurité. Il est dans l’intérêt du pays que l’aéroport de Kaboul reste ouvert, mais les talibans n’y parviendront pas sans aide extérieure, affirme le président américain.
Les nouveaux dirigeants de l’Afghanistan ont également intérêt à ce que l’économie ne s’effondre pas et pour cela, ils doivent affirmer leur autorité, alors que l’État islamique du Khorasan (ISKP), branche afghane du groupe djihadiste, risque de semer le chaos. Les États-Unis redoutaient d’ailleurs une attaque de l’EI contre l’aéroport depuis mardi.
Une prime de 5 millions de dollars
Alors que les drapeaux américains sont mis en berne après le bain de sang de Kaboul, les Américains se lancent dans la traque des poseurs de bombes et espèrent l’aide des talibans. Mais dans la galaxie djihadiste, rien n’est simple. Les talibans, bien qu’ennemis de l’EI, ont des liens avec d’autres mouvements islamistes. Ils ont libéré de nombreux membres de groupes armés depuis qu’ils ont pris le pouvoir, et de nombreux islamistes radicaux paradent dans les rues de Kaboul. Des vidéos de certains d’entre eux, insultant publiquement des étrangers dans la rue, circulent sur les réseaux sociaux.
Kaboul a également accueilli Khalil Haqqani en héros la semaine dernière, un homme dont la tête est mise à prix par les États-Unis à hauteur de cinq millions de dollars. Ce dernier est à la tête d’un réseau terroriste qui porte son nom. Khalil Haqqani a longtemps été protégé par le Pakistan, à l’instar d’Oussama ben Laden (alors même que le Pakistan fait partie de l’OTAN). Khalil Haqqani est à présent chargé de la sécurité à Kaboul.
Campagne secrète des Etats-Unis
Khalil Haqqani n’est pas le seul à être de retour en Afghanistan. Les milices terroristes pachtounes pakistanaises exercent depuis des années une influence sur d’autres pays d’Asie centrale, y compris dans le pays voisin. Face au vide laissé par la chute du gouvernement contrôlé par Washington, il y a fort à parier que la domination des talibans sera disputée par des groupes rivaux, dont l’État islamique du Khorasan, qui est en guerre contre les talibans depuis des années d’après le Washington Post. L’année dernière, les États-Unis ont même mené une campagne secrète pour aider leur ennemi de longue date, les talibans, à vaincre l’État islamique en Afghanistan. Les frappes aériennes des pilotes de chasse américains ont donné aux talibans des avantages sur le terrain afin de tenir l’État islamique à distance.