Recep Tayyip Erdogan a désormais en main la meilleure carte qui soit pour faire face à ses voisins européens. Réélu pour un troisième mandat avec plus de 52% des suffrages à l’issue d’une campagne présidentielle disputée et d’un second tour qui confirme les fractures politiques de son pays, le président Turc ne peut plus être accusé «d’illibéralisme» ou de dérive autoritaire.
Respectueux de la volonté populaire
Le revoici, avec cette onction électorale, relégitimé en Chef d’État démocrate et respectueux de la volonté populaire. Cela n’enlève rien, bien sûr, aux dérives de son régime islamo-conservateur, au contrôle de la presse et de la justice et à la mise au pas des grands conglomérats. Mais cela promet de rendre très compliqué, voire inefficaces pour quelque temps, les critiques contre le baillonnement en règle, pourtant réel, de la société Turque.
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Cette réalité implique un changement de taille pour les Européens qui, dimanche soir, se sont précipités pour féliciter ce président sortant réélu face à son adversaire Kemal Kiliçdaroglu, crédité d’environ 48% des voix. Maintenant que la campagne électorale est derrière lui, et fort de la majorité absolue au parlement de l’Alliance populaire dominée par son parti islamo-conservateur AKP, Recep Tayyip Erdogan, 69 ans, va disposer d’une marge de manœuvre encore plus grande pour affirmer ce qu’il estime être l’indispensable puissance de la Turquie sur fond de guerre en Ukraine.
Les conditions de la puissance
Puissance diplomatique entre le bloc occidental et la Russie, en profitant de la garantie militaire que lui confère l’appartenance de son pays à l’Otan et son lien privilégié avec les États-Unis. Puissance économique (malgré une monnaie en chute libre) grâce au maintien des échanges commerciaux avec Moscou, à la tutelle des détroits de la mer noire et aux juteux contrats rapportés par les entreprises turques au Moyen-Orient et en Afrique. Puissance politico-religieuse enfin, face aux Émirats du Golfe et à l’Arabie Saoudite dopés par l’explosion des prix du gaz et du pétrole.
De Mustapha Kemal à Erdogan:
Le chantage turc, pour faire simple, n’est pas près de s’interrompre. Et les Européens, à la fois exposés aux menaces migratoires, à l’influence des groupes religieux infiltrés par l’AKP au sein des diasporas, et aux livraisons de gaz de la mer Caspienne via la Turquie, n’ont pas d’autre solution que de s’y préparer. Comment? D’abord en signifiant à Ankara que l’accès au marché européen, critique pour ses entreprises, n’est pas un «open bar» sans contrepartie. Ensuite en obtenant de Washington un soutien sans équivoque à la Suède, dont l’adhésion à l’OTAN est aujourd’hui toujours bloquée par Ankara. Enfin, en adoptant d’urgence, sur la question de la migration, des règles communautaires qui permettent de faire front ensemble aux trafics d’êtres humains, aux chantages et aux opérations de déstabilisation contre la Grèce voisine.
Pas de raz de marée électoral
Recep Tayyip Erdogan n’a pas été réélu à l’issue d’un raz de marée électoral. Près de la moitié de la société turque refuse ses méthodes, dénonce la corruption massive et se rebelle contre la main mise de l’AKP sur l’administration. Les partenaires européens d’Ankara, à commencer par l’Allemagne, n’ont donc aucune raison de faire au président réélu des concessions disproportionnées. Candidate enterrée pour intégrer l'Union européenne, membre de plein droit (comme la Suisse) de la Communauté politique européenne qui se réunira ce 1er juin à Chisinau (Moldavie), la Turquie s'éloigne au nom de la réaffirmation de ses valeurs «ottomanes». Ce choix doit être respecté. Le rapport de force, apaisé, mais ferme, doit dès lors devenir la règle.