Erdogan nous tient grâce à lui
Le Bosphore, ce joyau turc dont les Européens ont tant besoin

Depuis 1936, la convention internationale signée à Montreux (VD) accorde à la Turquie un contrôle très large sur le détroit du Bosphore, qui relie la Méditerranée à la mer Noire. Un «joyau» politique, diplomatique et militaire.
Publié: 12.05.2023 à 20:28 heures
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Dernière mise à jour: 14.05.2023 à 23:04 heures
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Le président turc Recep Tayyip Erdogan salue le navire TCG Anadolu lors de son passage dans le détroit du Bosphore à Istanbul, le 19 avril 2023. Il s'agit du plus grand navire de guerre des forces armées turques.
Photo: IMAGO/APAimages
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Richard WerlyJournaliste Blick

Un détroit au fond des urnes turques. Rien que le nom de Bosphore provoque, dans toutes les capitales européennes, un début d’agitation. Comment s’assurer que la Turquie, dépositaire du contrôle de cette voie navale stratégique entre la Méditerranée et la mer Noire, continuera d’y assurer le libre passage, alors que la guerre bat son plein en Ukraine? Le levier stratégique du Bosphore est un instrument décisif de la puissance turque, dont l’avenir se joue en partie ce dimanche 14 mai avec les élections présidentielles et législatives. Voici pourquoi.

Le Bosphore, un symbole pour Erdogan

Recep Tayyip Erdogan n’est pas venu pour rien, le 23 avril dernier, saluer le passage du plus lourd navire de la flotte turque, le TCG Anadolu. Pour l’homme fort de la Turquie, qui sollicite ce dimanche un second mandat présidentiel au suffrage universel, Istanbul et le Bosphore sont le symbole de la puissance. C’est dans l’ancienne Constantinople, dont il fut maire de 1994 à 1998, que le leader du Parti de la justice et du développement (AKP) a bâti sa force électorale, promettant au pays profond que la Turquie redeviendrait une puissance digne de l’Empire ottoman, qui tomba en ruine après la Première guerre mondiale.

Le Bosphore a aussi permis à Erdogan, depuis le début de la guerre en Ukraine, d’être omniprésent sur tous les sujets humanitaires puisque c’est par là que passent, notamment, les cargos remplis de blé dans le cadre de l’accord sur les céréales conclu entre Moscou et Kiev en juillet 2022, dont le nom officiel est d’ailleurs «Initiative céréalière de la mer Noire».

Tout juste reconduit le 6 mai pour 60 jours, cet accord instaure des «couloirs sécurisés» pour les bateaux transportant des céréales et des engrais le temps que dure l’accord. Il a permis, depuis le mois de juillet, d’exporter près de 25 millions de tonnes de marchandises depuis les ports ukrainiens. Un indéniable succès pour le chef de l’État turc sortant, qui peut ainsi promouvoir sa posture de «faiseur de paix»

Le Bosphore, un levier d’influence turc

A priori, une victoire dimanche 14 mai au premier tour du candidat de l’opposition unie à la présidentielle, Kemal Kiliçdaroglu, serait une bonne nouvelle pour l’Occident. Idem s'il se qualifie pour le second tour, ce qui serait une première après les succès de Recep Erdogan en 2014 et en 2018. Kiliçdaroglu a en effet, jusque-là, évité toute rhétorique ultranationaliste durant sa campagne en sachant que, de toute façon, la Turquie est membre de l’OTAN depuis 1952, et que sa position sera questionnée lors du prochain sommet de l’Alliance atlantique, à la mi-juillet dans la capitale lituanienne, Vilnius. On attend en particulier du «grand-père» Kiliçdaroglu – son surnom électoral – qu’il fasse, s’il est élu, rapidement ratifier par le Parlement turc l’adhésion de la Suède à l’OTAN, bloquée par Erdogan en raison du supposé soutien de Stockholm à des «groupes terroristes» kurdes en exil.

Ce qui se passe dans le Bosphore dépasse toutefois cette passe d’armes autour de la Suède. Chaque puissance européenne dispose de navires qui croisent régulièrement aux abords de ce détroit. Les sous-marins européens l’empruntent. Et tous ces navires retrouvent face à eux la flotte russe basée en Crimée. C’est d’ailleurs largement pour des raisons stratégiques et pour conserver l’accès naval à la Méditerranée que Vladimir Poutine a envahi la Crimée en février-mars 2014.

Basée à Sébastopol, la flotte russe de la mer Noire a été, depuis le début du conflit en Ukraine, l’une des cibles prioritaires de Kiev. On se souvient que le croiseur russe Moskva, son navire amiral, a été coulé le 14 avril 2022. Qui tient militairement le détroit du Bosphore détient, de facto, l’une des clefs de cette guerre qui ébranle l’Europe.

Le Bosphore, un refrain anti-européen

L’histoire nourrit souvent les récits politiques d’aujourd’hui. On le voit de manière caricaturale en Russie, lorsque Vladimir Poutine justifie l’agression contre l’Ukraine au nom de la traque des «nazis» qui, selon lui, menacent son pays et sa puissance.

Or, dans le cas de la Turquie, le Bosphore est l’objet de tous les fantasmes. Cela remonte, bien sûr, à la prise de Constantinople en mai 1453 par les troupes ottomanes du sultan Mehmet II. Ce qui se passe dans les eaux de ce détroit est donc au cœur de la vie politique du pays, et Erdogan n’a jamais cessé, depuis son accession au pouvoir, de se méfier d’Istanbul, fief de l’opposition et dont le maire élu en 2019, Ekrem Imamoglu, est l’un de ses plus redoutables adversaires.

Sur la Turquie, le témoignage de Zeynep Ersan Berdoz:

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Le Bosphore est aussi un refrain anti-européen. À plusieurs reprises, histoire de motiver son électorat nationaliste et conservateur, Recep Tayyip Erdogan a accusé les puissances occidentales de vouloir en récupérer le contrôle.

Le Bosphore, c’est aussi l’une des clefs de la rivalité avec la Grèce voisine qui tiendra, elle, ses élections législatives le 21 mai. Si un second tour devait intervenir à la présidentielle, ce scrutin héllénique se retrouverait donc encadré par les deux manches du scrutin turc. C’est en mer Égée que la rivalité turco-grecque se joue principalement, avec l’envoi régulier de navires de forages pétroliers turcs. Mais tout part du Bosphore. Ce qui se joue dimanche dans les urnes sera donc ressenti aussi dans ce détroit lié à la carrière du «sultan» Erdogan. Parce qu'il incarne «l’âme» turque, mieux que nul autre endroit.

À lire: «Turquie, un pont entre deux mondes», Collection l’Âme des peuples (Ed. Nevicata)

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