Blocus des céréales ukrainiennes
C'est en Suisse que se joue l'accès à la mer Noire

En marge du sommet de l'OTAN qui s'achève à Madrid ce jeudi 30 juin, les négociations se poursuivent entre les alliés, la Russie, l'Ukraine et la Turquie pour débloquer le grand port céréalier d'Odessa. Des discussions basée sur une convention signée à Montreux en 1936.
Publié: 30.06.2022 à 13:22 heures
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Dernière mise à jour: 30.06.2022 à 15:20 heures
Le sujet des détroits et de la mer Noire sera au menu de la conférence sur la reconstruction de l’Ukraine qui se tiendra les 4 et 5 juillet à Lugano (TI), sous la présidence du chef du département des Affaires étrangères Ignazio Cassis et en présence de la présidente de la Commission européenne Ursula Von Der Leyen.
Photo: AFP
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Richard WerlyJournaliste Blick

C’est un document de 1936, que les généraux Russes, Ukrainiens, Turcs, Européens et Américains retournent depuis des semaines dans tous les sens. Signée le 20 juillet 1936 à Montreux (VD) et toujours en vigueur en 2022, la convention concernant les régimes des détroits de la mer Noire est le verrou juridique incontournable, pour envisager des corridors navals permettant d’exporter les céréales ukrainiennes vers des pays importateurs au bord de la crise alimentaire.

«Tout nous ramène à Montreux»

«Tout nous ramène à Montreux. C’est ça ou rien» ironise un expert militaire Turc en marge du sommet de l’OTAN, qui s’achève ce jeudi 30 juin à Madrid. La dite convention, rédigée et signée dans l’entre-deux-guerres, réunissait en effet autour de la table tous les protagonistes du conflit d’aujourd’hui: Russie, Ukraine (tous deux alors inclus dans l’ex URSS), Royaume-Uni, France, Turquie. Sauf les Etats-Unis, priés maintenant de donner leur avis.

Le sujet des détroits et de la mer Noire sera au menu de la conférence sur la reconstruction de l’Ukraine qui se tiendra les 4 et 5 juillet à Lugano (TI), sous la présidence du chef du département des Affaires étrangères Ignazio Cassis et en présence de la présidente de la Commission européenne Ursula Von Der Leyen. Les Nations unies ont plusieurs fois proposé d'organiser une corridor alimentaire pour évacuer les céréales produites en Ukraine.

Casse-tête maritime

Montreux est surtout, pour les trente pays membres de l’OTAN, synonyme de casse-tête maritime. Selon les termes de cette convention de 29 articles destinée à assurer la pleine liberté de circulation des navires de commerce en mer Noire et via les détroits des Dardanelles et du Bosphore, tout passage de navires de guerre doit être notifié à la Turquie. Plus important: ce pays peut «suspendre la circulation» s’il prend partie à un conflit ou s’estime menacé.

Ce qui a été fait le 27 février, trois jours après l’agression Russe contre l’Ukraine. Les autorités Turques ont alors, conformément à la convention de Montreux, décidé d’interdire le passage à tous les navires de guerre entre la mer Noire et la mer Méditerranée. Résultat: impossible d’espérer exporter les vingt millions de tonnes de blé ukrainien actuellement stocké dans les silos de ce pays assiégé sans que l’opération soit pilotée par Ankara.


«Qu’on le veuille ou non, la Turquie est incontournable. Seuls ses navires de guerre peuvent assurer la sécurité des futurs convois maritimes d’Odessa à la Méditerranée» a confirmé à Blick, à Madrid, un porte-parole de l’OTAN. D’où l’extrême soulagement des responsables de l’Alliance atlantique après l’accord trouvé cette semaine entre les Turcs et les deux ex-pays neutres qui demandent à rejoindre l’OTAN: la Finlande et la Suède.

Convaincu par son homologue Américain Joe Biden, le président Turc Erdogan – dont le pays est membre de l’OTAN depuis 1951 – a accepté de lever son véto en échange de l’engagement des deux gouvernements scandinaves à ne plus soutenir les formations politiques kurdes en exil. Erdogan exige aussi de leur part 33 extraditions de réfugiés politiques kurdes. La possibilité d’un couloir naval en mer noire, escorté par des navires démineurs Turcs, redevient donc d’actualité. La Russie a confirmé le 6 juin qu’elle y est favorable, même si depuis, rien n’a bougé.

Neutralité helvétique

Fait intéressant: cette convention des détroits de Montreux renforce la crédibilité de la neutralité helvétique, à l’heure où les pressions stratégiques pourraient plaider pour sa remise en cause. «Le fait que la Suisse soit dépositaire de ce texte est une garantie. La mer Noire n’est pas la mer baltique désormais cernée par les pays de l’OTAN» juge l’ex ministre finlandais des Affaires étrangères Alexander Stubb, avocat de l’entrée de son pays dans la plus puissante coalition militaire du monde.

La Finlande et la Suède, qui ne sont pas encore membres de l’OTAN, plaident pour que les futurs convois d’exportation céréaliers soient opérés par des bateaux battant pavillons neutres. Le drapeau suisse à croix blanche pourrait donc, demain, flotter sur ces cargos, aux côtés de la Croix Rouge du CICR, prête à participer à ces exportations de céréales via des couloirs maritimes préalablement déminés et sécurisés.

Guerre froide dans la mer Noire

L’OTAN, qui vient d’adopter son concept stratégique 2022 lors du sommet de Madrid, réaffirme dans ce document que «la Russie a violé les règles et les principes qui avaient contribué à la stabilité et à la prévisibilité de l’ordre de sécurité européen».

Le texte accuse frontalement le pays dirigé par Vladimir Poutine: «qui constitue la menace la plus importante et la plus directe pour la sécurité des Alliés et pour la paix et la stabilité dans la zone euroatlantique». Des termes dignes de la guerre froide qui font tomber sur la mer Noire un nouveau rideau fer et rendent encore plus important le document signé il y a 76 ans dans un palace de Montreux, sur la Riviera vaudoise.

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