Vive le tourisme. À bas la politique. Vous n’allez pas le croire, mais c’est ce que j’entends tous les jours au pays de Socrate, Platon, Aristote et Homère!
La Grèce a pourtant démontré, à travers son histoire, qu’elle est l’un des pays les plus épris au monde de la chose publique. Mais en ce mois de mai 2023, un peu plus de dix ans après l’ultime accord européen sur le sauvetage financier du pays signé en novembre 2012, la fameuse phrase de Platon résonne plus que jamais comme un avertissement, à trois jours des élections législatives du dimanche 21 mai. «Ceux qui sont trop intelligents pour entrer en politique sont punis en étant gouvernés par ceux qui le sont moins» déclarait, au quatrième siècle avant Jésus-Christ, l’auteur de «La République».
Les transats ou les urnes
Vingt-trois siècles plus tard, les mots n’ont pas vieilli. «Dites-moi si nous aurons une bonne saison touristique cet été, juge, à Athènes, Théo, un ancien comptable éduqué en Allemagne, revenu en Grèce voici cinq ans pour se marier. Pour le reste, je m’attends de toute façon au pire… »
Les transats sur les plages, les achats dans les boutiques de souvenirs et les consommations dans les tavernas (les cafés) valent donc mieux que les urnes? «Rien à voir, c’est stupide de parler ainsi. La Grèce, c’est le pays de la démocratie, pas celui de la crème solaire» me répond, attablé au restaurant du Musée Byzantin de la capitale grecque, un journaliste connu de Mega TV, l’une des chaines les plus populaires, très proche du gouvernement. Ah bon? Alors pourquoi une telle désaffection pour la campagne électorale en cours et pour le scrutin qui, dimanche, se retrouvera coincé entre les deux tours de l’élection présidentielle en Turquie, l’adversaire incontournable dont les menaces et les manœuvres navales en mer Égée alimentent une surenchère nationaliste hellénique?
Retour sur la crise grecque
La réponse remonte à la crise grecque. Un pays englouti sous le poids de sa dette publique contraint de faire appel d’urgence à l’Union européenne et au Fonds Monétaire International pour assurer ses fins de mois en avril 2010. Deux ans plus tard, lorsque le dernier plan d’aide est signé en novembre 2012, l’addition grecque atteint entre 250 et 300 milliards d’euros, épongée par ses partenaires européens. Avec, comme point culminant sur le plan politique, le référendum du 5 juillet 2015 sur l’acceptation, ou non, du mémorandum conclu avec les créanciers. Résultat: 61,31% hostiles contre 38,69% favorables.
Sauf qu’à la fin, rien n’a changé. L’ex-gouvernement de gauche d’Alexis Tsipras s’est retrouvé pieds et poings liés, contraint d’approuver ce texte. Une autoroute pour la défaite électorale qui porta au pouvoir, en juillet 2019, l’actuel Premier ministre conservateur Kyriakos Mitsotakis.
Mitsotakis-Tsipras. Bis répétita quatre ans plus tard. Un refrain insupportable pour de nombreux électeurs grecs qui se préparent à la prochaine saison touristique. Il faut dire que le tourisme reste l’incontournable vache à lait du pays. 18% du produit intérieur brut en 2022. Environ 30 millions de visiteurs étrangers par an, soit trois fois la population. Des îles mythiques où les villas les plus luxueuses du monde poussent comme des champignons: Mykonos, Paros, Santorin… Un patrimoine archéologique antique presque sans égal. Le tout, avec un rapport qualité-prix qui fait toujours fondre d’envie les vacanciers helvétiques.
Sur le site internet Greekcitytimes, l’article de loin le plus est celui qui liste les «cinq destinations les plus abordables de l’été». Giorgios y est community manager. Il anime les réseaux sociaux. «Chaque visiteur dépense en moyenne 600 euros par voyage, hors budget avion explique-t-il. C’est très peu comparé à d’autres pays très touristiques d’Europe comme l’Italie et la France. Le syndicat des entreprises touristiques SETE fait tout pour promouvoir un tourisme haut de gamme, mais pour le moment, ce rapport qualité pris demeure notre meilleur atout».
Élection à la proportionnelle
Mais pourquoi opposer les touristes aux politiciens. Les 300 députés de la Voulis, la chambre unique du Parlement, seront élus à la proportionnelle ce dimanche. Quel rapport avec l’affluence sur les plages et dans le pays? «En Grèce, la politique reste faite pour rapporter à ceux qui occupent des positions électives. Il ne s’agit pas pour eux de transformer le pays, mais de profiter» s’énerve Théo, tout en avouant que son éducation «allemande» le transforme en critique permanent des habitudes helléniques.
Même son de cloche chez Evi, avocate, qui nous reçoit dans son bureau de la rue Solonos. «Je vote pour le Pasok, l’ancien parti social-démocrate. Mais si je regarde le bilan de la crise grecque, je constate que nos gouvernements n’ont pas fait grand-chose. C’est l’Europe qui a sauvé la Grèce dans des conditions terribles pour nous. En fait, je devrais rectifier: les Européens ont d’abord sauvé l’euro. Notre classe politique a surfé sur les événements».
Ce pays que les Suisses adorent
Retour aux plages, aux îles, à la Grèce, ce pays que les Suisses adorent au point de s’y précipiter chaque été. La communauté helvétique dans le pays est d’environ trois mille personnes. Pas énormes. Mais durant l’été, le chiffre prend l’ascenseur. Des dizaines de milliers d’Helvètes débarquent. «Il faut comprendre les Grecs. Avec le tourisme, l’image qui leur est renvoyée est positive. Ils sont accueillants, conviviaux, travailleurs en saison» juge à Genève le professeur Dusan Sidjanski, grand défenseur du retour à Athènes des marbres du Parthénon, toujours exposés au British Museum de Londres.
Voter ce dimanche, une épreuve? «Non, je vais y aller, mais sans illusions» poursuit l’avocate athénienne. D’autant que, faute de majorité, un nouveau scrutin pourrait avoir lieu dès le mois de juillet. Pile au moment où les touristes afflueront. Au risque que, comme le gouvernement l’envisage déjà, beaucoup de jeunes, occupés à bosser l'été, boudent alors les urnes. Pour ne pas gâcher la saison, seul baromètre économique qui compte, ou presque, pour la plupart de Grecs en 2023.
A lire: «Alexis Tsipras: une histoire grecque» par Fabien Perrier (Ed. François Bourin)