Recep Tayyip Erdogan n’est pas encore battu. Cette évidence électorale, à l’issue de l’élection présidentielle du dimanche 14 mai, doit être répétée alors que l’opposition turque jubile, après avoir forcé «le sultan» à un second tour périlleux le 28 mai.
Gare, donc, aux convictions trop vite tirées d’un scrutin dont les ressorts échappent à une lecture trop européenne des résultats. Certes, l’homme fort de la Turquie a échoué à se faire réélire dès le premier tour en franchissant la barre des 50%, comme en 2014 puis en 2018. Mais la coalition présidentielle conserve la majorité au parlement (322 élus sur 600). Même si l’AKP d’Erdogan poursuit son effritement, avec 266 sièges (contre 295 en 2018). Et dans les deux semaines qui viennent, plusieurs facteurs pourraient tourner à l’avantage du président sortant, maître de la Turquie depuis le début des années 2000.
Notre série sur les défis Turcs
Le premier facteur est évidemment la mobilisation électorale. Elle jouera certes dans les deux camps. Mais le pouvoir turc, fort de sa main mise sur les finances publiques et l’administration, a plus de cartes en main pour convaincre les électeurs des régions rurales de se rendre aux urnes. Deuxième élément: la désunion possible de l’opposition et l’incertitude qui demeure sur la stratégie qu’adoptera le troisième homme, le politicien nationaliste Sinan Ogan, qui a récolté 5,23%. Troisième point enfin, que ce dernier a aussitôt soulevé: la question kurde. Plus l’adversaire d’Erdogan, Kemal Kiliçdaroglu, cherchera à mobiliser cette partie de la population, plus les supporters de l’AKP crieront à la menace de dislocation de la Turquie.
Pas question de se réjouir trop vite
Dans ce contexte, les Européens ont tout à perdre en se réjouissant trop vite, même si un second tour défavorable à Erdogan représenterait, pour les voisins de la Turquie comme pour Bruxelles ou pour l’OTAN, une chance de sortir du rapport de force permanent avec Ankara. Ils doivent d’autant plus éviter cet écueil que le parlement turc, encore acquis à la coalition autour de l’AKP, aura les moyens de mener la vie dure à Kemal Kiliçdaroglu, s’il accède le 28 mai à la magistrature suprême. Le paradoxe est amer: Erdogan battu serait diplomatiquement une bonne nouvelle en théorie, avec la guerre en Ukraine en arrière-plan. Mais une Turquie plongée dans l’instabilité n’arrangera en rien les affaires des alliés, et encore moins celles de l’Union européenne toujours exposée au risque migratoire.
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Les électeurs turcs ont démontré avec ce vote que le pays réel n’est pas asservi, comme on le craignait, par l’AKP. C’est une bonne nouvelle. Le scrutin de dimanche a aussi prouvé que le désastre économique des années Erdogan a pesé lourd sur les urnes. L’effet générationnel a joué aussi, preuve que la vitalité démocratique de cette Turquie dont l’Europe a tant besoin n’est pas anesthésiée. Reste que les manipulations électorales, durant ces deux semaines, demeurent une réelle menace. Et que la surenchère idéologique d’Erdogan conserve sa puissance alors que la Grèce, ironie du calendrier, va voter entre les deux tours turcs, le dimanche 21 mai. Une collision de dates qui démontre combien la Turquie, au fond des urnes, est un défi européen.