C'est une guerre sans merci. En condamnant de nouveau Nicolas Sarkozy à trois ans de prison, dont un an ferme et trois ans de privation de ses droits civiques, les magistrats de la Cour d'appel de Paris ont confirmé ce que toute la France observe depuis le départ de celui-ci de l'Élysée, en mai 2012: l'ancien président, âgé de 68 ans, ne sortira jamais de son long tunnel judiciaire.
Cette condamnation, suspendue par la décision de l'ex-chef de l'Etat de se pourvoir immédiatement en cassation, repose en effet avant tout sur la question de l'exemplarité de comportement, attendu de la part d'un ex-locataire de l'Élysée. S'il est définitivement condamné, l'ex-président sera autorisé à porter un bracelet électronique. Il ne sera pas incarcéré.
Une plaidoirie brillante, mais....
Durant les débats en première instance, puis en appel, Nicolas Sarkozy avait en effet plutôt brillamment plaidé sur l'absence de preuves irréfutables dans les mains du procureur, qui l'accuse d'avoir cherché à soudoyer un magistrat (son coaccusé, le juge Gilbert Azibert) avec l'aide d'un ami avocat (le deuxième coaccusé Thierry Herzog) pour obtenir des informations sur un dossier impliquant la défunte milliardaire française Liliane Bettencourt.
Il est vrai que les juges n'avaient guère d'éléments probants, à part des conversations entre Sarko et son ami avocat sur un téléphone portable utilisé par l'ancien président sous le nom d'emprunt de Paul Bismuth. Oui, la question d'une possible promotion du juge Azibert à Monaco avait bien été évoquée par les deux hommes en 2014, soit deux ans après la victoire présidentielle du socialiste François Hollande. Oui, l'avocat Thierry Herzog, ami de toujours de Sarko, s'est bien rendu dans la foulée dans la principauté où le magistrat espérait être nommé. Oui, Gilbert Azibert s'était déclaré prêt à lâcher des infos sur l'affaire alors en cours. Mais de là à établir un «pacte de corruption» et aboutir, pour la première fois dans l'histoire politique française, à la condamnation d'un ancien chef de l'État à un an de prison ferme…
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Ils ne doivent pas faire ça
Exemplarité. C'est la même notion qui a prévalu lorsque les juges ont condamné en appel à quatre ans de prison, dont un an ferme, l'ancien premier ministre de Sarkozy, François Fillon, pour les emplois fictifs dont avait, entre autres, bénéficié sa femme entre 2002 et 2013. Un président et un chef de gouvernement ne doivent simplement pas faire ça. Nicolas Sarkozy ne devait pas utiliser une ligne téléphonique cachée pour déjouer les écoutes. Il ne devait pas évoquer les possibilités d'avancement d'un magistrat, tout en cherchant à obtenir de lui des informations sur une affaire judiciaire en cours d'instruction. François Fillon ne devait pas faire rémunérer son épouse par l'Assemblée nationale, alors qu'elle n'y mettait jamais les pieds.
Exemplarité. Ce terme est à double tranchant, car il devrait aussi s'appliquer aux juges. En 2013, le site Atlantico publie des photos d'un «mur des cons» sur lequel figure la photo de l'ex-président français, dans les locaux d'un syndicat de magistrats. Cette affaire donne une image partisane de la justice. La présidente du syndicat concerné sera d'ailleurs condamnée en 2018 à 5000 euros de dommages et intérêts.
Sauf que pour les électeurs de droite et les partisans de «Sarko», le mal est fait. La justice ne laissera jamais tranquille l'ex-chef de l'État, que le Parquet national financier (PNF) a souhaité, le 11 mai, renvoyer en procès dans le dossier du présumé financement illégal libyen de sa campagne présidentielle victorieuse de 2007. C'est pour cette raison que l'intéressé ne lâche rien. Après la cour de cassation, Nicolas Sarkozy envisage déjà de saisir la Cour européenne des droits de l'homme. Entre lui et la justice, la guerre s'annonce interminable.
Réputation d'affairisme
Les dessous de ce jugement de la Cour d'appel, assurée d'accroitre la mauvaise réputation d'affairisme de l'ex-président français, sont aussi à rechercher dans le nombre d'affaires judiciaires dans lesquelles il est impliqué. Avocat de formation, associé dans le passé de son coaccusé Thierry Herzog, Nicolas Sarkozy est partie prenante dans trois dossiers politico-financiers qui, dans d'autres pays que la France, l'auraient sans doute obligé à rester en retrait de la vie publique. En résumé:
- Affaires des écoutes téléphoniques: deux condamnations identiques pour «corruption active», «trafic d'influence» et «recel de violation du secret professionnel»: quatre ans de prison, dont un an ferme.
Comptes de la campagne présidentielle de 2012: une condamnation en première instance à un an de prison ferme le 30 septembre 2021 pour « financement illégal de campagne électorale ». Procès en appel attendu en novembre 2023.
Soupçons de financement illégaux libyens pour la campagne en 2007: mis en examen pour «corruption passive», «financement illégal de campagne électorale», «recel de fonds publics libyens» et «association de malfaiteurs». En attente de renvoi (ou non) en procès
S'y ajoute le statut de «témoin assisté» dans l'affaire des commissions versées par le constructeur Naval Group pour des contrats d'armement au Pakistan et à l'Arabie Saoudite. Ce qui explique l'attentat de Karachi du 8 mai 2002, où onze employés français ont trouvé la mort. Six condamnations ont été prononcées par le tribunal correctionnel en juin 2020 dans le volet financier de l’enquête. Un procès en appel est attendu en 2024.
Nicolas Sarkozy et la justice française? Une guerre sans merci. Pour laquelle les juges ont encore de solides munitions face à un ancien président qui, à chaque fois, plaide son innocence et dénonce le fonctionnement du système judiciaire. En promettant de se battre «jusqu'au bout».