Un bulletin de vote contre des millions d’euros d’impôts régularisés. Le Ministère français des Finances vient de trouver une nouvelle façon de convaincre les super-fraudeurs de régulariser leur situation fiscale: s’ils sont pris en flagrant délit de fraude ou «d’optimisation» à la limite de la légalité, les contribuables les plus fortunés seront frappés «d’indignité civique».
Résultat: plus de droit de vote pendant une période pouvant aller jusqu’à un an. L’efficacité de cette mesure symbolique sera sans doute très aléatoire. Mais elle fait partie du nouvel arsenal de sanctions dévoilé ce 9 mai par le ministre du Budget, Gabriel Attal.
Obsession fiscale française
On sait que la France est frappée d’obsession fiscale. Logique. L’égalité est dans sa devise nationale. La révolution de 1789 est dans ses gènes, avec l’abolition des privilèges de l’aristocratie. Mais la raison de cette nouvelle traque fiscale décrétée par le gouvernement est plus prosaïque. La dette publique du pays frôle les 3000 milliards d’euros, aux environs de 115% de son produit intérieur brut annuel. Les dépenses publiques représentent 58% de ce même PIB, un record européen.
En clair: pour dix euros générés par les actifs et les entreprises, près de six euros partent pour alimenter, sous une forme ou sous une autre, le budget de l’État et le régime social français, l’un des plus généraux au monde. Il faut donc nourrir cet État-providence. En ramenant le plus de recettes fiscales possibles dans un pays où le taux d’imposition sur le revenu monte jusqu’à 45% pour les foyers fiscaux les plus aisés.
Logique politique
On comprend aussi la logique politique. Emmanuel Macron, sur le point de finaliser sa réforme des retraites (le texte a été promulgué, mais une ultime passe d’arme parlementaire est prévue le 8 juin, sur une proposition de loi visant à l’abroger), est accusé de vouloir forcer les Français à travailler plus, jusqu’à 64 ans, sans contrepartie.
Le président français est aussi régulièrement accusé d’être le complice des «super-riches», à force de vanter l’attractivité économique du pays. Il est continuellement désigné comme «ultralibéral» et certaines de ses mesures d’exonérations fiscales, comme la suppression de la taxe d’habitation qui finançait les communes, restent très contestées.
À l’inverse, les profits des géants français sont pointés du doigt. LVMH, leader mondial du luxe? 14 milliards d’euros de résultat net. Total Énergie, le géant pétrolier? 19 milliards d’euros de bénéfices. Avec, pour leurs dirigeants, des salaires records, comme les 21 millions votés pour 2023 par les actionnaires du groupe automobile Stellantis pour son PDG, Carlos Tavares.
Alors? Branle-bas de combat. Au ministère des Finances, un service de renseignement dédié va être créé, qui pourra recourir aux écoutes téléphoniques et aux captations de données numériques, en plus de l’actuel service Tracfin spécialisé dans la lutte contre le blanchiment d’argent. La rémunération des «indics» va être légalisée, et surtout augmentée. Les schémas - pourtant légaux - d’optimisation fiscale vont être passés chaque année au peigne fin.
Bien sûr, il sera beaucoup plus difficile pour le fisc français de s’en prendre aux riches ayant décidé de se délocaliser. Ceux-là, faute de résidence fiscale en France, seront a priori hors d’atteinte et ils pourront donc conserver leur droit de vote, comme tout citoyen français expatrié, dans le pays où ils paient leurs impôts. Mais pour tous ceux qui jouent sur les deux tableaux, attention. La chasse aux fraudeurs, qui a conduit à abattre le secret bancaire en 2009 en Suisse au vu de la pression internationale, va reprendre de l’ampleur.
15 milliards d’euros d’impôts régularisés en 2022
Les chiffres? Quinze milliards d’euros d’impôts ont été, selon le ministère, régularisés et récupérés en 2022 après enquêtes et investigations. En face? 800 millions d’euros seulement pour les fraudes aux aides sociales, que beaucoup estiment bien plus massives. La mission des 1500 nouveaux inspecteurs du fisc qui seront embauchés, dont une centaine «d’agents d’élite» sera toutefois de traquer les plus riches.
Une nouveauté importante toutefois, vu l’échange automatique d’informations fiscales pratiqué depuis 2017 par la Confédération avec les pays de l’OCDE: la Suisse, autrefois pointée du doigt par Paris, l’est beaucoup moins.
Cibles prioritaires: les avocats et les conseillers juridiques basés en France, qui optimisent à tour de bras, en exploitant toutes les failles du labyrinthe législatif de la République et en utilisant les «niches» crées depuis des décennies par les gouvernements successifs. Ces experts en optimisation, parmi lesquels de nombreux cabinets juridiques anglo-saxons, sont de l'aveu des experts du ministère, «les cibles désignées de ce branle-bas de combat fiscal».