Le sort de la France financière tient en deux lettres. Lorsque l’agence de notation Fitch a décidé, vendredi 28 avril, de dégrader la dette française, en la faisant passer de AA à AA- (comme la Belgique, le Royaume-Uni ou la République tchèque), Bruno Le Maire a dû abandonner provisoirement la promotion de son dernier roman. Le ministre français des finances, auteur de plusieurs livres, est actuellement très affairé à présenter dans les médias «Fugue Américaine» (Ed. Gallimard), son dernier opus littéraire consacré au pianiste Vladimir Horowitz.
Mauvais présage? C’est en effet pile à ce moment que Fitch, la troisième agence de notation mondiale (après Standard and Poors et Moody’s) a décidé d’envoyer un coup de semonce à Paris. Motif: l’endettement problématique du pays qui atteint, aujourd’hui, 113% du produit intérieur brut (PIB) à près de 3000 milliards d'euros, contre 70% pour l’Allemagne, ce pays frère qui reste un «bouclier» pour le trésor public français compte tenu du poids conjoint des deux premières économies de la zone euro. L'agence Fitch justifie sa décision par l'importance du déficit de l'État (5% du PIB en 2023) et une croissance atone (0,8% prévu en 2023, selon Fitch). L'agence considère aussi la mobilisation sociale en cours. Les «tensions» autour de la réforme des retraites pourraient «compliquer l'assainissement budgétaire» selon Fitch.
La riposte de Bruno Le Maire
Aussitôt, Bruno Le Maire l’a nié. Le ministre a redit l’engagement du gouvernement français à poursuivre les réformes «structurantes», en prenant l’exemple de sa ténacité sur les retraites. Alors que des centaines de milliers de Français s’apprêtent à redescendre dans la rue lundi 1er mai, jour de la fête du travail, pour signifier leur refus du report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans (contre 62 jusque-là), le ministre a répété ce qu’il a dit le 20 avril, lors de la présentation du «programme de stabilité» à l’intention de la Commission européenne. La France va se désendetter. L’objectif est d’atteindre environ 108% du PIB en 2027, à la fin du second mandat d’Emmanuel Macron. Pour rappel, la dette publique pesait, lors de sa première élection en 2017, 98% du PIB. Mais la pandémie de COVID-19 est passée par là.
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Le doute, pourtant, peut se comprendre. Et il tient à cinq raisons principales.
Première raison: la santé financière de la France est menacée par son incapacité à réduire les dépenses publiques.
Le pays a beau créer un nombre record d’emplois (environ 300'000 emplois créés en 2022) et avoir nettement diminué son taux de chômage (aujourd’hui autour de 7,5% de la population active contre 10% en 2017), il a les poches percées.
En clair: plus les Français produisent, plus l’État dépense. C’est cet engrenage qu’Emmanuel Macron n’a pas réussi à enrayer alors qu'il s'était engagé à baisser ces dépenses de 60 milliards d'euros en cinq ans lors de son premier mandat.
Pire, il l’a aggravé avec les 240 milliards d’euros d’aides publiques diverses investies dans l’économie durant la pandémie dans le cadre du «Quoiqu’il en coûte».
Deuxième raison: l’économie française est de plus en plus divergente vis-à-vis de l’Allemagne, son partenaire numéro un.
Berlin investit aujourd’hui massivement, en particulier dans sa défense. Alors que Paris manque de ressources.
«Le risque que le traitement des crises ne conduise à renforcer le sentiment d’égoïsme économique des deux grandes puissances économiques du continent est donc fort, et il n’est pour l’instant que partiellement conjuré par les mécanismes de solidarité autour de l’endettement commun comme NextGenerationEU», jugeait une note de l’institut Iddri début 2023, lors du 60ᵉ anniversaire du Traité franco-allemand de l’Élysée.
Troisième raison: la France manque de moteurs industriels pour assurer sa prospérité future.
Ses derniers points forts sont le luxe (très vulnérable à la conjoncture internationale), l’aéronautique (durement éprouvée par l’arrêt des voyages durant la pandémie) et le nucléaire (aujourd’hui en phase de rattrapage accéléré, avec d’importantes pertes de savoir-faire admises par les autorités françaises).
Un million d’emplois industriels ont disparu en France en 20 ans, et 60% des nouveaux emplois créés le sont dans le secteur des services ou par des autoentrepreneurs. Preuve d’une précarité économique nationale, malgré le redressement du marché du travail.
Quatrième raison: le risque de nouvelles dépenses publiques est accru par la crise des retraites.
Le report de l’âge de départ à 64 ans a été justifié par le déficit programmé de 13 milliards d’euros du régime général des retraites en 2030. Mais maintenant, le gouvernement doit calmer les Français et les syndicats qui défileront unis le 1er mai, pour la première fois… depuis le Front populaire de 1936!
Le risque? Des augmentations de salaires dans les services publics, et donc une augmentation du déficit budgétaire.
Cinquième raison: la hausse des taux d’intérêt.
La charge de la dette, c'est-à-dire les intérêts payés pour les emprunts, a augmenté de 15,2 milliards en 2022 note Fitch. Juste. «Un point de taux d’intérêt en plus sur la dette française, c’est à horizon 2027 quinze milliards d’euros de charge supplémentaire sur la dette publique française, s’était alarmé Bruno Le Maire le 20 avril. Ne doutez pas de notre détermination totale à rétablir les finances publiques de la nation […] à accélérer le désendettement du pays, à réduire les déficits et à accélérer la réduction des dépenses publiques» a déclaré le ministre français depuis Stockholm, où il participe à une réunion des ministres des Finances de l’UE. Le niveau d'endettement de la France est aussi le plus élevé des pays reçu une note AA, relève Fitch. Ceci alors que la charge de la dette, c'est-à-dire les intérêts payés pour les emprunts, a augmenté de 15,2 milliards l'année dernière.
Dans un monde où emprunter devient de plus en plus cher et où le poids des agences de notations demeure - malgré les controverses sur leur rôle et leurs évaluations - les promesses risquent de ne plus suffire…