Le pire moment pour annoncer une fermeture d’usine, même pour raisons sanitaires. Pour la direction de Nestlé France, la décision de fermer le complexe agroalimentaire Buitoni de Caudry risque d’avoir un lourd impact en termes d’image.
Impossible, dans le contexte d’effervescence sociale en France autour de la réforme des retraites, de ne pas s’attendre à une mobilisation maximale des syndicats et des pouvoirs publics. Impossible également, pour le géant suisse de l’agroalimentaire, de ne pas voir sa responsabilité juridique mise en cause par les médias, compte tenu de l’impact sanitaire du dossier.
L’usine Buitoni incriminée est mise en cause dans la mort de deux enfants intoxiqués par la bactérie Escherichia coli (E.Coli), après avoir consommé des pizzas fabriquées sur le site. Une cinquantaine d’autres petits ont dû être soit hospitalisés, soit examinés pour des vomissements, des pieds et mains enflés, des vertiges et des nausées.
Un fardeau depuis des mois
Pour Nestlé, ce dossier empoisonné est un fardeau depuis des mois. C’est en mars 2022 que les premières traces d’intoxication apparaissent. Très vite, les médias s’en emparent et les parents des enfants intoxiqués portent plainte. La marque des pizzas fabriquées dans l’usine de Caudry, Fraîch’Up, est aussitôt bannie de toutes les chaînes de distribution alimentaires.
Plusieurs familles se mettent ensemble et leurs avocats entament des procédures. Une information judiciaire est ouverte pour «homicide involontaire» en mai 2022. A ce jour, Nestlé se voit réclamer 55 millions d’euros de dommages et intérêts. S’y ajoute, après l’annonce de la fermeture de l’usine ce jeudi 30 mars, l’accusation d’être un employeur «sans pitié». «Nous sommes broyés par Nestlé», ont répété tout au long de la journée les délégués syndicaux, alors que la direction a promis de reclasser les deux tiers des salariés licenciés.
Présente en France depuis 1868, la firme suisse se prépare logiquement à un assaut de critiques et à de nombreuses actions judiciaires. Plus de 10'000 employés travaillent dans le pays pour Nestlé, qui compte 18 sites industriels et 19 centres de distribution pour sa soixantaine de marques de produits agroalimentaires.
Buitoni est installé à Caudry depuis 1983, avant son rachat par Nestlé cinq ans plus tard. Mais le tandem a déjà dû faire face à un parfum de scandale en 2013. Il a été accusé d’avoir été impliqué dans l’affaire de fraude à la viande de cheval (présentée comme de la viande de bœuf, notamment pour fabriquer des lasagnes, raviolis et tortellinis). Le géant suisse avait alors nié toute responsabilité. Ce qui ne l’avait pas empêché de retirer de la vente des plats de pâtes suspects en Espagne et en Italie.
Responsabilité de Nestlé
Les syndicats accusent la direction de Buitoni et celle de Nestlé d’avoir imposé sur la ligne de production des farines qui se sont avérées contaminées. «La séparation qui existait entre les deux lignes de production a été supprimée, ont expliqué les délégués du personnel réunis pour une conférence de presse devant l’usine ce jeudi. De la farine qui n’était pas adaptée a pu se retrouver sur la mauvaise ligne de production. Mais c’est une décision de la direction. Et aujourd’hui, c’est nous qui la payons.» Fin 2022, plusieurs mois après les premières révélations sur les contaminations, des salariés avaient dénoncé dans les médias des «manquements en matière d’hygiène». Les salaires des employés de Caudry seront versés jusqu’en décembre.
Le communiqué de la direction tente de désamorcer la crise: «Nestlé France s’engage à lancer un processus de recherche de solution de reprise solide et pérenne pour l’usine, afin qu’une nouvelle activité industrielle puisse voir le jour sur le site. L’histoire du site de Caudry ne s’arrête pas aujourd’hui et Nestlé France engagera tous ses moyens pour voir cette reprise se concrétiser.» Le géant suisse a promis de verser une aide à la reconversion du site.