Ils veulent y croire. Mardi 28 mars, en fin de cortège parisien contre la réforme des retraites, ces militants syndicaux rencontrés par Blick venaient d’apprendre l’invitation au dialogue lancée dans la soirée par la première ministre française Élisabeth Borne. «Enfin!»
C’est le premier mot que mes interlocuteurs ont prononcé. «Enfin… » parce que tout le monde, en France, est épuisé de ce combat entamé à la mi-janvier, avec la présentation du projet de loi sur la réforme des retraites, aujourd’hui dans les mains du Conseil constitutionnel, après son adoption sans vote à l’Assemblée nationale, jeudi 16 mars, grâce à l’article 49.3 de la constitution.
Enfin? Mais pour se dire quoi? Et avec quelle chance de tomber d’accord sur les conditions d’un possible armistice dans ce qui ressemble de plus en plus à une guerre sociale, alors que les syndicats ont annoncé une onzième journée de grèves et de manifestations pour le jeudi 6 avril?
Qui peut faire la paix? Et cette paix peut-elle être sincère et durable, au vu du niveau de défiance et de colère dans le pays, face à un gouvernement résolu jusque-là à ne pas remettre en cause sa réforme? Inventaire rapide des issues de secours politiques qui restent (encore) ouvertes.
Première issue de secours: la pause
C’est le mot que répètent en boucle les leaders syndicaux, à commencer par Laurent Berger, le patron de la CFDT réformiste, et plutôt habituée d’ordinaire à la négociation. La pause! Si Élisabeth Borne l’accepte, ce qui n’est pas clair du tout pour le moment, le projet de loi serait mis «entre parenthèses».
Le président de la République s’engagerait à ne pas le promulguer après avoir reçu l’avis des juges constitutionnels (au plus tard d’ici au 21 avril) qui peuvent aussi décider de le censurer partiellement ou en totalité. Les syndicats, de leur côté, s’engageraient à discuter d’une proposition alternative de réforme, conforme aux exigences économiques du gouvernement, à savoir le retour impératif des comptes à l’équilibre du régime de retraite d’ici à 2030.
Le projet actuel prévoit 17 milliards d’euros d’excédent à cette date, contre 13,5 milliards de déficits prévu si rien ne change. Les syndicats, eux, exigent l’abandon du départ à 64 ans au lieu de 62. Ce serait la base de la pause.
Seconde issue de secours: le retour au vote
C’est une piste intéressante que vient de soulever, dans «Le Monde», le constitutionnaliste Bastien François. Selon lui, la solution peut être politique. Emmanuel Macron pourrait en effet décider d’activer l’article 10 de la Constitution.
Lequel dit ceci: «Le président de la République promulgue les lois dans les quinze jours qui suivent la transmission au Gouvernement de la loi définitivement adoptée. Il peut, avant l’expiration de ce délai, demander au Parlement une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles. Cette nouvelle délibération ne peut être refusée.»
En clair, le texte adopté sans vote le 16 mars grâce à la procédure d’urgence de l’article 49.3 serait renvoyé aux députés pour une nouvelle lecture. Avantage: le pouvoir exécutif ne pourrait plus être accusé d’être «antidémocratique».
Troisième issue de secours: la mise au placard
C’est ce qu’avait fait Jacques Chirac en 2006, face aux protestations de la jeunesse contre le projet de loi sur la création d’un «contrat première embauche», adopté lui aussi sans vote après le recours à l’article 49.3 par le premier ministre de l’époque, Dominique de Villepin.
Le président français avait alors décidé de ne pas appliquer la loi qu’il avait promulguée quelques jours avant. Direction: les placards de la République. Le texte fut ensuite enterré. Adieu le CPE! Cette hypothèse est toutefois peu probable, car elle rimerait avec une défaite totale pour Emmanuel Macron.
Quatrième issue de secours: l’appel au peuple
C’est ce qui pourrait se passer si la procédure pour l’organisation d’un Référendum d’initiative partagée, prévu par la Constitution, va jusqu’à son terme. Quelque 250 parlementaires de gauche ont signé une motion pour un tel référendum, et l’ont soumise au Conseil constitutionnel le 20 mars.
Pour aboutir à un vote sur la réforme des retraites qui aura sans doute été promulguée d’ici-là, cette proposition de référendum devra recueillir 4,8 millions de signatures de citoyens. C’est possible, mais long. Entre-temps, la situation politique aura continué d’évoluer.
L’autre question qui se pose est, bien sûr, celle d’une dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, convaincu, comme il l’a dit le 22 mars à la télévision, qu’il «n’y a pas de majorité alternative» dans le pays. Une raison pour retourner aux urnes?
Ces quatre «issues de secours» sont celles qui peuvent ramener un début de paix sociale en France, avant la prochaine journée d’action du jeudi 6 avril. Le refus du gouvernement d’entrer en matière avec les syndicats sur la réforme des retraites, comme cela a jusque-là été le cas, ouvrirait en revanche la porte à une aggravation de la crise et de la guérilla politique et sociale en cours.
L’idée lancée par Emmanuel Macron d’une grande concertation sur le travail, sans rediscuter de ce curseur symbolique qu’est le report de l’âge légal à 64 ans, est pour l’heure unanimement rejetée par les opposants à la réforme.