Une pause. Voilà ce que les syndicats français exigent du président, alors que la dixième journée de mobilisation contre le projet de réforme des retraites va de nouveau mettre le pays sous tension, ce mardi 28 mars. Mais pourquoi Emmanuel Macron, confronté à l’opposition de millions de ses compatriotes et au risque d’aggravation de la situation sociale et sécuritaire, n’accepte-t-il pas de suspendre ce texte législatif aujourd’hui dans les mains du Conseil constitutionnel? Pourquoi prendre le risque d’un «pourrissement» de la situation politique dans une République toujours aussi volcanique? Voici les trois raisons de son refus ferme et répété. Avec tous les risques que cela comporte.
La première raison: ne pas céder devant la rue
Deux mots trahissent la pensée d’Emmanuel Macron, ce président de 45 ans qui, il faut le redire, n’avait jamais été élu local ou parlementaire avant de débarquer à l’Élysée en mai 2017; «factieux» et «factions». Ces deux mots, le chef de l’État français les a utilisés lors de son intervention télévisée du 22 mars pour désigner ceux qui, selon lui, veulent exploiter les colères sociales pour déstabiliser la République. Le président a aussi fait référence aux assauts contre le Capitole à Washington, en janvier 2021, et contre la place des Trois-Pouvoirs à Brasilia, en janvier 2023. Son raisonnement est simple: les manifestations massives contre la réforme des retraites, pourtant adoptée par le parlement selon les règles constitutionnelles, cachent une opération de déstabilisation politique. Avec pour objectif de le forcer à quitter le pouvoir, alors qu’il a été réélu largement le 24 avril 2022, avec 58,5% des suffrages.
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Cette volonté de ne pas céder devant la rue est très discutable. Dans leur immense majorité, les manifestants opposés à la réforme des retraites (comme deux tiers des Français selon les sondages) ne veulent pas chasser Emmanuel Macron de l’Élysée. Ils jugent seulement inacceptable le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans (contre 62 actuellement) et le recours à la procédure d’urgence de l’article 49.3 de la constitution pour le faire adopter sans vote par l’Assemblée nationale. Reste une vérité politique: Emmanuel Macron est fragile depuis les législatives de juin 2022 qui ne lui ont pas donné une majorité absolue de députés. Son procès en «illégitimité», car élu par «défaut» face à Marine Le Pen revient aussi sans cesse sur le devant de la scène. Le président s’estime donc assiégé et il n’a pas tort. Ne pas céder devant la rue est, pour lui, la condition du maintien coûte que coûte de son autorité républicaine.
La seconde raison: la France vit au-dessus de ses moyens
Il faut en finir avec un État trop dépensier, et surtout avec un système social condamné à creuser la dette publique, car il n’est plus adapté aux contraintes économiques actuelles. On peut en débattre à l’infini, mais Emmanuel Macron pense comme ça. Lorsqu’il avait laissé fuiter, en 2018, une conversation dans laquelle il déplorait le «pognon de dingues» investi dans les aides sociales en France, le jeune président — il avait alors 40 ans — avait dit tout haut ce que pense toute une partie de l’opinion française. Il suffit aussi, pour comprendre son entêtement, de regarder les chiffres de la dette publique française et ses conséquences sur le budget de l’État. Le ministre des Finances Bruno Le Maire a beau s’être félicité, cette semaine, d’avoir limité la casse avec une dette de 2950 milliards d’euros à hauteur de 111% du produit intérieur brut annuel, la charge des emprunts est colossale: 270 milliards d’euros doivent être trouvés par l’agence France Trésor, en 2023, pour boucler le budget et rembourser les intérêts dus aux créanciers de la France! Autant dire qu’au moindre sursaut des taux d’intérêt, tout peut dérailler.
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Le problème est, d'abord, que ce constat n’est pas nouveau puisque la France n’a jamais connu un budget à l’équilibre depuis… 1974, puis, qu’Emmanuel Macron est en partie responsable de la situation car il a creusé ce déficit en injectant 200 milliards d’euros dans l’économie durant la pandémie en 2020-2021, au nom du «Quoiqu’il en coûte». Ensuite que l’évolution programmée du déficit du régime des retraites est contestée par les experts et finalement que ce déficit des retraites — 13 milliards d’euros en 2030 si la réforme n’entre pas en vigueur — n’a pas l’ampleur d’un séisme financier annoncé. N’empêche: Emmanuel Macron, très attentif aux marchés financiers, redoute le pire. Sur ce plan, il s’estime le dos au mur. D’où son obstination.
Troisième raison: l’absence d’alternatives
Là aussi, Emmanuel Macron a dit ce qu’il pense lors de son intervention télévisée du 22 mars. Il a répété, alors, qu’il «n’y a pas de majorité alternative» pour gouverner la France. Or ce terme doit être bien compris. Pour le président français, l’actuel gouvernement, soutenu par environ 245 députés sur 577, est la meilleure garantie de stabilité dans un pays fracturé et radicalisé. Il est aussi la garantie de la crédibilité européenne de la France, dans le contexte très tendu de la guerre en Ukraine. Ce manque d’alternatives vaut aussi, selon le président, sur le plan social. Emmanuel Macron reproche aux syndicats de ne pas avoir fait de propositions de substitution à la réforme proposée sur les retraites. Il estime que ceux-ci, et notamment la CFDT réformiste, font trop de politique et sont beaucoup trop affairés à se battre contre l’État, au lieu de se consacrer à la défense des droits des travailleurs sur les lieux de travail, dans les entreprises.
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Cette absence d’alternatives est à la fois la force et la faiblesse du locataire de l’Élysée, car elle l’enferme dans un rapport de force et fait le jeu du Rassemblement national, le parti de droite national-populiste occupé à construire sa crédibilité gouvernementale, alors que la rue et la contestation violente sont aujourd’hui le terrain de la gauche radicale conduite par Jean-Luc Mélenchon. Joueur invétéré de poker politique, Emmanuel Macron voit dans ces manifestations un bluff auquel il ne faut pas succomber. Il ne croit pas au référendum sur les retraites, qui selon lui se transformerait immanquablement en plébiscite pour ou contre son mandat. Il ne voit pas comment une dissolution de l’Assemblée nationale pourrait aujourd’hui stabiliser les choses, vu qu’aucune majorité parlementaire solide ne sortirait des urnes. Le risque est qu’à force d’attendre, tout devienne encore plus compliqué. Et explosif.
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