Entre manifs et barricades
La bataille des retraites, cette nouvelle épreuve pour une police épuisée

169 interpellations de manifestants ce week-end à travers la France, dont 122 à Paris. Ce chiffre officiel cache mal une réalité: l'angoisse d'un redoutable face à face entre policiers et casseurs alors que les motions de censure sont examinées ce lundi 20 mars.
Publié: 20.03.2023 à 07:46 heures
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A la suite des manifestations sauvages consécutives au recours à l'article 49.3 pour faire passer sans vote la réforme des retraites, la place de la Concorde, à Paris, s'est retrouvée envahie par les manifestants. Elle est désormais interdite d'accès aux protestataires.
Photo: keystone-sda.ch
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Richard WerlyJournaliste Blick

Le terme revient désormais sans cesse: la France est de nouveau gagnée par une épidémie de «giletjaunisation». Vous trouvez le terme barbare? Vous avez raison. Mais il a de quoi faire peur, car il désigne trois réalités à la fois, en ce lundi 20 mars qui verra les députés français se prononcer sur deux motions de censure destinées à renverser le gouvernement.

Manifestations non encadrées

Première réalité: le risque de prolifération de manifestations violentes non encadrées par les syndicats, comme l’ont été les huit journées de mobilisation contre la réforme des retraites organisées depuis janvier, et comme devrait l’être la prochaine, ce jeudi 23 mars. 169 interpellations ce week-end, dont 122 dans la capitale française. Et, dans toutes les métropoles, des scènes de caillassages, de barricades et d'échauffourées. De quoi alimenter les inquiétudes…

Deuxième réalité: la «convergence des luttes» qui verrait, dans la rue, se rejoindre les colères anti-inflation, anti-mondialisation et anti-réforme des retraites. Troisième réalité enfin, la plus redoutée: la recrudescence des affrontements violents et la mise à l’épreuve des forces de l’ordre. La crise des «gilets jaunes», durant l’hiver 2018-2019, fut le théâtre de violences policières incontestables, en réponse à de nombreuses dégradations de bâtiments publics ou de vitrines, dont le point d’orgue fut le saccage de l’Arc de Triomphe à Paris le 1er décembre 2018. Selon le bilan d’un journaliste spécialisé, David Dufresne, 353 manifestants ont été blessés à la tête durant cette période, et une trentaine éborgnés.

Mettre en avant ce douloureux bilan ne veut pas dire qu’il va se répéter. Parler d'un risque d’explosion des violences urbaines ne signifie pas que la France est en état de siège. Mais tous les indicateurs sont au rouge du côté de la police, surtout à Paris où la force du symbole est la plus forte. C’est sur la place de la Concorde, l’ex place de la Révolution où avaient lieu les décapitations publiques en 1793-1794, lors de la Terreur qui fit suite à la Révolution de 1789, que les manifestants ont aussitôt convergé jeudi 16 mars, après l’annonce du recours à l’article 49.3 par la première ministre Elisabeth Borne.

Bis repetita vendredi, avec le spectacle de bandes de casseurs dans la très chic rue du Faubourg-Saint-Honoré, havre des marques de luxe qui font la réputation de la France à l’étranger. «Ils passaient en jetant les poubelles à terre, alors que celles-ci ne sont d’ailleurs plus ramassées depuis des jours (ndlr: en raison de la grève des éboueurs), confie à Blick un résident de ce quartier huppé. Mon quotidien, y compris la nuit, ce sont les sirènes des voitures de police.» D’autant que le palais présidentiel de l’Élysée est à quelques centaines de mètres.

Différentes unités policières impliquées

Parler des policiers manque de discernement. Il faut distinguer, dans ces phases d’extrême tension, les différentes unités impliquées dans le maintien de l’ordre: policiers traditionnels, forces antiémeutes comme les CRS, brigades motorisées pour traquer les casseurs, tireurs munis des fameux lanceurs de balles de défense (LBD) qui ont causé tant de blessures face aux «Gilets jaunes»...

A Paris, toutes ces unités tirent leurs ordres du préfet de police, Laurent Nunez, en poste depuis juillet 2022, après avoir été le coordinateur national du renseignement. Ce policier est considéré comme bien plus habile que son prédécesseur, Dider Lallement, accusé d’avoir frappé trop fort contre les protestataires en 2019. Son livre, publié en 2022, comporte d’ailleurs un titre éloquent: «L’ordre nécessaire» (Ed. Robert Laffont). Pour lui, pas de doute, la police française est aujourd’hui attaquée. «Si les policiers lâchent, la République bringuebalera», a-t-il confié au quotidien «Ouest-France». Et d’enfoncer le clou: «C’était violent, oui, mais ce sont les gens qui essayaient d’envahir les mairies chaque samedi qui étaient violents, pas la réponse que nous apportions. Ils ne venaient manifestement pas pour tenir un pique-nique pacifique dans les bâtiments. La violence a toujours été, d’abord, celle des gilets jaunes. Pendant tout le mouvement».

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Une police en crise

Le problème est que la police française est en crise de la base au sommet. L’actuel ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin l’a d’ailleurs constaté à ses dépens, dans un autre domaine, à Marseille, en octobre 2022. Les policiers locaux, debout, lui ont tourné le dos pour protester contre leurs conditions de travail malgré un budget en augmentation (15 milliards d’euros supplémentaires sur cinq ans). Ce ministre de 40 ans issu de la droite, que beaucoup comparent à son ex mentor Nicolas Sarkozy, est considéré comme efficace. Mais le fait d’avoir été accusé de viol (il a été relaxé), et son goût des formules chocs sur la France «ensauvagée» ont fait de lui l’une des cibles favorites de la gauche.

Le ministère de l’Intérieur, pilier de la République, a, en plus, été fatal à plusieurs de ses titulaires récents. Le socialiste Manuel Valls (mai 2012-été 2014) est ensuite devenu premier ministre, puis il a sombré politiquement. L’ex-maire de Lyon Gérard Collomb (2017-2018) a démissionné en pleine crise des «Gilets jaunes». Son successeur Christophe Castaner (2018-2020) n’a pas réussi à se faire réélire député en juin 2022…

Les policiers français, dans ces conditions, vont-ils tenir dans l’épreuve de cette bataille des retraites? Un autre élément complique la donne: celui de leur propre système de pensions. Avec les militaires, les policiers font partie des catégories qui conserveront leur régime spécial qui leur permet aujourd’hui de partir en retraite dès 52 ans et en moyenne à 57 ans (âge reporté à 59 ans par l’actuelle réforme)! Or les voilà à affronter des protestataires qui refusent de partir à 64 ans (voire plus s’ils n’ont pas leurs 43 ans de cotisations) au lieu de 62! «Notre métier est usant sur le plan psychologique, expliquait, dès la présentation du projet de loi en janvier, l’un des porte-parole du syndicat UNSA Police. Au quotidien, les agents sont soumis à des actes de délinquance, à des désordres publics, des conflits de voisinage, de la toxicomanie… Nous sommes confrontés à tous les problèmes de la société. Il n’est pas question que les policiers travaillent plus longtemps!»

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Une affiche syndicale éloquente

L’une des affiches de ce syndicat (15% des policiers en tenue) est d’ailleurs éloquente. On peut lire: «Si un rapport de force est nécessaire, nous serons présents! Pas question de remettre en cause nos acquis sociaux difficilement obtenus.» Exactement le discours des manifestants qui seront face aux forces de l’ordre ces prochains jours...

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