J’ai rencontré la grande perdante de la bataille pour la réforme des retraites. Cette perdante: c’est la France, sa population, son avenir et sa crédibilité.
J’ai bien conscience qu’une telle affirmation fait mal et qu’elle doit être nuancée. Je sais que ce qui se passe au parlement et dans les rues, après la nouvelle journée de manifestation ce mardi 7 février, n’est que le reflet connu, attendu, diagnostiqué, de l’état de santé d’une république divisée, minée par la radicalisation, les colères, l’égoïsme généralisé et la détestation d’Emmanuel Macron dans une sérieuse partie de la population. Je sais aussi que le pire n’est jamais écrit, comme le prouve la maîtrise actuelle des syndicats, parvenus jusque-là à éviter les débordements et les violences qui scandaient le mouvement des «gilets jaunes».
Regardons les choses en face
Mais franchement: regardons les choses en face. L’Assemblée nationale, où le débat est engagé depuis lundi 6 février, n’est qu’incantations et marchandages. Le gouvernement, dont le ministre chargé des retraites fait l’objet d’une enquête pour «favoritisme» du Parquet National Financier, a échoué à inspirer une confiance minimale dans le bien-fondé de son projet. Les manifestants, conscients que la constitution donne à l’exécutif les moyens de faire adopter sa loi au plus tard le 26 mars, affichent la fierté des batailles que l’on mène pour la gloire, sans illusion sur la victoire. La droite, objet de toutes les attentions du camp Macron, fait monter les enchères à coups de demandes sociales et électoralistes, en oubliant qu’elle devrait défendre l’économie, la liberté d’entreprendre et de choisir sa vie professionnelle, et la nécessité de produire mieux et davantage pour éviter au pays un futur déclassement.
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J’ai rencontré ce grand perdant et je n’ai pas l’impression que les Français et ceux qui pilotent le pays, en ont vraiment conscience. Car enfin: qui peut croire qu’un projet de réforme amendé, modifié, donc moins ambitieux sur les efforts demandés à la collectivité, sera tenable dans la durée, au vu des courbes démographiques et des contraintes économiques?
Qui peut croire, sur le plan politique, qu’une victoire d’Emmanuel Macron grâce au vote des députés de droite et aux instruments constitutionnels à sa disposition, n’attisera pas encore plus les colères? Quel pays partenaire de la France, après un accouchement si difficile d’une réforme tronquée des retraites, ne s’interrogera pas sur la fiabilité de sa signature financière et de ses engagements?
Ne pas réduire l’État du pays à la seule réforme des retraites
La France est en train de perdre cette bataille. Elle conserve heureusement d’autres atouts. Résumer le pays à cette seule réforme des retraites, bricolée après une première tentative ratée sous le précédent quinquennat, serait une grave erreur. Faisons néanmoins les comptes alors que la bataille parlementaire vient de s’engager, et qu’une nouvelle journée de mobilisation aura lieu samedi 11 février.
1) Emmanuel Macron divise toujours autant. 2) Le gouvernement d’Élisabeth Borne, après avoir raté l’occasion d’un grand débat sur la place du travail, manœuvre pour arracher chaque voix à l’Assemblée. 3) Le ministre du budget, conscient d’être sur une cocotte-minute prête à exploser, bâille devant les députés 4) L’affichage du report de l’âge de la retraite à 64 ans au lieu de 62, scruté par les marchés financiers et par l’Union européenne – qui n’exigent rien, mais observent – ressemble de plus en plus à une affiche trompeuse 5) La gauche sociale-démocrate de gouvernement est morte et enterrée 6) Le droit à la paresse est revendiqué à la tribune de l’Assemblée 7) La droite traditionnelle navigue à vue, façon mercenaire 8) Le référendum est banni, rejeté par les élites 9) Une éventuelle dissolution de l’Assemblée par le président déboucherait à priori sur un pays encore plus ingouvernable…
Je m’arrête là. Je vous laisse rajouter d’autres points. Au fait? Nous sommes en 2023. La prochaine présidentielle est en 2027. Et vous pensez que c’est tenable? Moi pas.