Ils n’en veulent pas! Mais pas du tout! À aucun prix, même si sept Français sur dix y sont favorables, selon un récent sondage de l’institut CSA. Halte au référendum sur le projet de réforme des retraites et, plus généralement, sur l’avenir du système de retraite par répartition tel qu’il a été mis en place en France en 1945, avec l’instauration de la sécurité sociale. Lundi 6 février, l’un des tout premiers votes du parlement sur le texte présenté par le gouvernement a été le rejet de la motion référendaire défendue par le Rassemblement national: 101 voix pour et 272 voix contre (sur un total de 577 députés)!
Pierre-Yves Maillard démenti par les députés français
Basta! L’ancien ministre socialiste vaudois Pierre-Yves Maillard peut remballer ses arguments helvétiques. «Ce qui est inacceptable, c’est cette volonté de passer en force, expliquait ce dernier voici quelques jours à Blick. Il n’a qu’une seule voie de sortie, c’est convoquer les électeurs. Il n’y a aucun argument à ne pas consulter le peuple pour une réforme qui concerne toutes et tous. La France n’est pas ingouvernable: il faut simplement gérer le pays selon les aspirations de la population. Il serait injustifiable de continuer en étant autant à contre-courant.»
Exit, ces arguments de bon sens. La NUPES de Jean-Luc Mélenchon (gauche) présentait aussi une motion référendaire, qui n’a pas été tirée au sort pour être soumise au vote. Idem pour celle du groupe LIOT (Libertés, territoires et outre-mer) composé de députés indépendants, dont les élus indépendantistes corses. Les oppositions de gauche et de droite radicales ont refusé d’allier leurs voix. Le tir de barrage majoritaire a été sans merci.
Ils n’en veulent pas. Mais alors, que vont-ils dire aux millions de Français qui, sauf surprise, vont de nouveau battre le pavé en masse ce mardi 7 février pour une journée d’action et de grèves qui sera suivie, samedi, par une seconde journée de manifestations? L’indication donnée par le sondage de CSA, conforme à toutes les autres études d’opinion sur le sujet, est pourtant limpide: 69% des Français voudraient être consultés sur cette réforme des retraites, dont un rapport exhumé par Blick dressait déjà les contours en… 1999, soit il y a vingt-quatre ans!
Fait intéressant dans un pays qui persiste à vouloir être gouverné verticalement: les moins de 35 ans sont les plus favorables à la tenue d’un référendum (77%). Mieux: les plus de 50 ans sont également une majorité à défendre l’idée (63%).
La consultation populaire fait peur en France
Alors? La réponse est simple. La consultation populaire fait peur en France, car elle est toujours perçue comme inconciliable avec la démocratie représentative, même si la Constitution (amendée en 2008) prévoit deux dispositifs référendaires.
Le premier type de référendum incombe à l’Exécutif, dans la tradition voulue par le Général de Gaulle. Il s’agit de l’article 11 selon lequel «Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal Officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.»
Autre option: celle de l’article 89 pour les révisions constitutionnelles. «L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement, prévoit-il. Le projet ou la proposition de révision doit être voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum.»
Le second mécanisme de consultation directe du peuple est le «référendum d’initiative partagée» prévu, depuis la révision de 2008, dans l’article 11, alinéa 3 de la Constitution de la Ve République. C’est cet article que le RN de Marine Le Pen, comme la NUPES et LIOT, souhaitaient activer dans leur motion rejetée lundi en ouverture du débat à l’Assemblée sur le projet de réforme des retraites. Il prévoit qu’une «proposition de loi référendaire doit être déposée par au moins un cinquième des membres du Parlement (soit au moins 185 députés et/ou sénateurs sur un total de 925) puis soutenue par un dixième des électeurs inscrits. L’organisation d’un référendum n’intervient alors que si le texte, ainsi avalisé, n’a pas été examinée au moins une fois par chacune des deux assemblées (Assemblée nationale et Sénat) dans un délai de six mois.»
Pourquoi la France boude le référendum:
La réalité politique de la France est aux antipodes. Le souvenir cuisant du référendum de 2005 sur le projet de traité constitutionnel européen, rejeté par 55% des électeurs, a terrassé les dernières velléités référendaires de la part des grands partis traditionnels, aujourd’hui éclatés, divisés ou à terre, comme le parti socialiste, réduit presque à néant.
Et dans le cas des retraites, l’explosion menace encore plus. La détestation d’Emmanuel Macron dans une grande partie de l’opinion «transformerait ce référendum en vote pour ou contre le président», souligne l’influent député centriste Jean-Louis Bourlanges. Second risque? «Buter sur le refus viscéral de la majorité de la population d’abandonner un avantage social acquis comme le départ à la retraite à 62 ans. Quels que soient les chiffres et le déficit accumulé», poursuit l’élu. Troisième danger, selon les adversaires du référendum: «Rendre le pays encore plus ingouvernable en déroulant un tapis rouge aux extrêmes et aux populistes.»
Débat impossible
Le débat est donc impossible. Le grand malaise référendaire est condamné à polluer le climat politique français, dans un pays où trois citoyens sur quatre se disaient en 2022 toujours favorables au «référendum d’initiative citoyenne» (le fameux RIC) aux contours flous proposé par les «gilets jaunes». Dommage et dangereux, au vu des frustrations alimentées par le dispositif d’urgence utilisé par le gouvernement pour faire adopter son projet de réforme après 50 jours maximum de débat parlementaire. À moins que le référendum ne resurgisse, in extremis, pour dénouer un blocage majeur: «Macron pourrait y recourir s’il juge que la situation est devenue incontrôlable. Le référendum serait dans ce cas utilisé comme un siège éjectable. Pour sortir la tête haute», juge un ancien haut responsable politique de droite.
Ce référendum-là serait celui de la dernière chance. Problème: il accentuerait encore la logique plébiscitaire tant redoutée en France. Et il tuerait par conséquent un peu plus l’idée simple d’une consultation populaire apaisée, où les électeurs français se révèlent capables de répondre à la question posée. Et de faire mentir les élus qui n'ont aucune envie de les consulter entre deux élections.