Pour eux, rien ne sera plus comme avant
La retraite, ce trésor perdu que les Français en colère refusent de lâcher

Les femmes. Les employés aux carrières longues et rémunérations modestes. La génération 1965-1968. Ils sont les grands perdants de la réforme des retraites, destinée aussi à remédier à l'endettement chronique de la France.
Publié: 30.01.2023 à 15:19 heures
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Dernière mise à jour: 30.01.2023 à 17:58 heures
La Première ministre, Élisabeth Borne, est retournée dimanche dans sa circonscription normande de Vire, dans le Calvados. Mais ce retour dans son nouveau fief électoral n'a rien changé. Pas question de revenir sur le report à 64 ans de l'âge légal de départ à la retraite.
Photo: AFP
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Richard WerlyJournaliste Blick

Ils sont les grands perdants du projet de réforme des retraites en France. Pour eux, si le texte n’est pas modifié par les députés, qui ont entamé sa lecture en Commission des Affaires sociales ce lundi 30 janvier, seule la rue pourra faire changer les choses. Ils sont ceux qui ont le plus intérêt à battre le pavé ce mardi, et à répondre aux appels à la grève et à la mobilisation générale des syndicats, pour une fois unis contre le gouvernement. Ils sont ceux qu’Élisabeth Borne ignore. La Première ministre, haut fonctionnaire de 61 ans, l’a encore répété ce week-end lors d’un déplacement dans son nouveau fief électoral du Calvados, en Normandie (elle a pour la première fois été élue députée en juin 2022): pas question de céder sur le report à 64 ans de l’âge légal minimum de départ à la retraite.

Quatre catégories de Français

Ils? Quatre catégories de Français, directement impactés par cette réforme à court terme, ont de bonnes raisons de manifester et d’ignorer l’appel à réduire à tout prix le déficit budgétaire et la dette publique, lancé par le ministre des Finances, Bruno Le Maire, dans «Le Journal du Dimanche».

Les premiers sont les employés aux salaires modestes et aux carrières longues: ceux qui commencent à travailler tôt, s’épuisent dans des travaux mal payés, et devront rester actifs plus longtemps. Pour ceux qu’Emmanuel Macron nommait lui-même durant la pandémie de Covid les «travailleurs de première ligne», la douche est très froide. Certes, les petites retraites seront améliorées par la réforme, mais ces salariés sont peu concernés, car le montant de leur pension est en général supérieur aux 1200 euros minimum promis par le texte. Ce qui compte pour ces «petites mains», employées dans le secteur des services, de la grande distribution, de l’aide aux personnes, c’est la retraite à 62 ans. Pouvoir partir! Changer de vie! Ils sont les Français qui aiment les camping-cars et la vie d’après. Dommage. Le projet de réforme, en l’état actuel – plus de 7000 amendements vont être déposés – les pénalise.

Les seconds sont les fonctionnaires et, au-delà, tous les employés du secteur public ou parapublic protégés par des régimes «spéciaux», que l’actuel projet promet de démanteler pour ne garder que quelques statuts spécifiques comme celui des militaires, des policiers ou des soignants. Trop compliqué, ici, d’entrer dans les détails, mais la présence massive des enseignants dans les manifestations ne s’explique pas autrement. Ces derniers sont souvent mal payés. Leurs conditions de travail se sont souvent dégradées. Les incessantes réformes de l’éducation nationale les ont déboussolés. Partir à 62 ans est leur «graal». La garantie, pour eux aussi, d’une nouvelle vie. Pas question de céder.

La question des femmes

Troisième catégorie: les femmes. Le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans (comme c’était le cas en Suisse avant la votation de septembre 2022) complique les parcours de carrière pour celles qui voient souvent leurs années actives entrecoupées par une ou plusieurs maternités. C’est, pour beaucoup d’experts, «l’angle mort» de cette réforme qui prétend être juste.

La réponse du gouvernement consiste à avancer l’âge de 67 ans qui permettra, même en cas de carrière décousue, de recevoir une pension pleine. Mais cela veut dire travailler encore plus… Le combat parlementaire, sur ce point, va être redoutable. Difficile pour le gouvernement français de prétendre qu’il améliore la cause féminine en instaurant une retraite minimale à 1200 euros (considérée par beaucoup comme synonyme de fins de mois difficiles).

Les presque sexagénaires, dindons de la farce

Et voilà, pour terminer, les dindons de la farce des retraites. Ils seront ceux qui auront perdu au change, si le projet entre en vigueur tel quel en mai prochain – le débat parlementaire est limité à 50 jours, dans le cadre d’un projet de loi rectificatif du budget de la sécurité sociale, qui permet aussi d’utiliser le fameux article 49.3 en engageant la responsabilité du gouvernement. Ils sont les «générations sacrifiées».

Nés entre 1965 et 1968 (tout va dépendre où sera le curseur final), ils seront les premiers à voir leur carrière rallongée, d’un ou plusieurs trimestres. Là aussi, regardez bien les manifestants: ces têtes de présexagénaires aux cheveux gris seront nombreuses. Emmanuel Macron, jeune président de 45 ans, a sacrifié ses aînés.

Et le budget de l’État?

Et le budget de l’État dans tout ça? Officiellement, il sortira grand vainqueur si la réforme est adoptée. Il s’agit, selon Bruno Le Maire, d’éviter un déficit programmé de 13,5 milliards d’euros du système français de retraite en 2030. Au lieu de cela, la réforme permettra d’engranger 17,7 milliards de recettes, dont 4 milliards d’excédents. Problème: ce discours est inaudible. Le chiffre des 3000 milliards d’euros de dette publique française qui sera officialisé en mars est balayé par les manifestants.

Pas question de parler d’argent, même si ce sujet est incontournable. Preuve que le débat sur la réforme des retraites en France est d’abord politique et social. L’économie et les chiffres attendront.

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