Il a vu le corps disloqué de Jean Moulin. Il fut le témoin des tortures infligées au chef de la résistance française par l’officier SS Klaus Barbie, dont il était le traducteur attitré depuis plusieurs mois.
Le 23 juin 1943, Gottfried Fuchs, alias Le Renard (la traduction de son nom de famille allemand en français) n’est pas présent lors de l’arrestation de Jean Moulin et de plusieurs dirigeants de la résistance à Caluire, près de Lyon, dans la maison d’un médecin local, le docteur Dugoujon. C’est pourtant à lui que, quelques heures plus tard, revient la plus terrifiante des missions: traduire les propos des prisonniers, dont «Max» (le pseudonyme de Jean Moulin), qui n’avouera jamais rien d’autre que son identité.
«Le renard», son livre de mémoires
Dans ses mémoires, «Le Renard» (Ed. Robert Laffont), publié dans les années 1970, Fuchs raconte dans le détail ce qu’Emmanuel Macron a évoqué dans son discours d’hommage à la prison lyonnaise de Montluc, pour l’anniversaire de la reddition allemande du 8 mai 1945.
Le président français a choisi d’anticiper la date anniversaire de la capture de Jean Moulin, dont l’origine reste un mystère. Qui a trahi le coordinateur de la résistance intérieure à l’occupant nazi, nommé par le Général de Gaulle, chef de la France libre? Gottlieb Fuchs affirme dans son livre qu’il ne l’a jamais su. Il passait alors pourtant son temps avec Klaus Barbie, chef du SD (Sicherheitsdienst ou Service de sécurité SS), la police des polices nazie, qui supervisait même la Gestapo.
Barbie avait pour chef direct le SS Standartenführer Helmut Knochen (Colonel), patron du SD pour l’hexagone. Le Saint-Gallois Fuchs, francophone, ancien travailleur émigré en France voisine, embauché par la Gestapo de Lyon, était leur interface avec les détenus, avec l’administration française, avec les redoutables milices qui secondaient les nazis dans leurs basses œuvres.
Il n’a pas témoigné au procès de Klaus Barbie
Gottlieb Fuchs, décédé en 1983, n’a pas témoigné au procès de Klaus Barbie à Lyon, de mai à juillet 1987. Son ancien patron avait, après la guerre, émigré en Amérique Latine, pour finalement être traqué jusqu’en Bolivie par un groupe de chasseurs de nazis dont Serge et Beate Klarsfeld, présents ce 8 mai 2023 aux côtés d’Emmanuel Macron à l’ex-prison de Montluc.
Condamné à la détention à perpétuité, l’ex-tortionnaire Barbie est mort en prison, en 1991. Lui aussi n’a jamais avoué l’identité du traître qui avait «donné» Jean Moulin, s’employant à nier toute responsabilité dans la déportation massive de juifs de la région lyonnaise, malgré toutes les preuves.
Klaus Barbie, en revanche, évoqua devant les juges le rôle joué par le Suisse Gottlieb Fuchs. Il reconnaît qu’il le considérait comme son indispensable collaborateur personnel. Ce qui explique sa rage lorsque, après l’arrestation et la torture de Jean Moulin – mort de ses blessures lors de sa déportation en Allemagne, le 8 juillet 1943 – il admit la «trahison» de l’interprète Helvète.
Fuchs le traducteur ne cessa jamais, lors de cette année 1942-1943 passée au sein de la Gestapo, d’informer les services de renseignement suisse. Il se rendait régulièrement à Genève pour y rencontrer dans le plus grand secret ses officiers traitants sous le pseudonyme de «Rochat». Fuchs espionnait Barbie. Il aida des juifs, des résistants, et permit au haut commandement suisse d’être tenu informé au plus près des manœuvres nazies à la frontière.
Le discours d'Emmanuel Macron à la prison de Montluc
Et si Fuchs avait menti?
Emmanuel Macron n’a pas évoqué dans son discours d’hommage à Jean Moulin le rôle de Gottlieb Fuchs, dont certains historiens questionnent le témoignage. Et s’il avait, lui aussi, menti sur ses activités durant la guerre? Comment est-il arrivé à être recruté par les sinistres bourreaux nazis du SD?
Les mémoires du traducteur suisse de Klaus Barbie disent l’époque. Les résistants prenaient d’incroyables risques. Ils avaient sans cesse des SS à leurs trousses. Les pilotes alliés capturés après la chute de leur appareil s’efforçaient de gagner la Suisse. Les juifs en fuite tentaient désespérément de passer de l’autre côté de la frontière helvète, gardée par des soldats suisses souvent intransigeants, car protecteurs de la neutralité.
Dans ce labyrinthe d’actes héroïques, de trahisons, de secrets dissimulés dans des guidons de bicyclettes ou dans les jupes des filles, Gottlieb Fuchs fut un maillon crucial. Ce Suisse, infiltré au sein de la terreur nazie, fut, en 1942-1943, témoin de tout: le courage, les trahisons, le hasard qui peut sauver une vie.
Après son retour en Suisse…
Gottlieb Fuchs a témoigné après son retour en Suisse, lorsqu’il se réinstalla à Saint-Gall. En 1973, il raconta à la RTS sa propre déportation, après avoir été démasqué comme agent double par Barbie et les siens. Il affirma alors n'avoir pas assisté aux séances de torture de Jean Moulin, contredisant des témoignages antérieurs.
Quelle part accorder au mensonge et à l’héroïsme? Une chose est certaine en tout cas: il fut l’un des derniers à voir Jean Moulin vivant. Il fut le témoin de cette République française qui survécut envers et contre tout «ni mauvaise ni néfaste, mais nécessaire, vitale et juste» comme l’a dit ce mercredi 8 mai à Lyon le chef de l’État.