Élisabeth Borne est une ambulance politique. La Première ministre française, entrée en fonction voici tout juste un an le 16 mai 2022, devrait en théorie être la cheffe incontestée de la majorité, et la principale confidente du président de la République, qui l’a nommée au lendemain de sa réélection. Or il n’en est rien.
Ce mardi, lorsque les représentants des syndicats en colère ont franchi le seuil de l’hôtel Matignon, où réside et travaille la cheffe du gouvernement, la plupart des médias français titraient davantage sur le prochain départ de cette haut fonctionnaire de 62 ans, plutôt que sur le succès possible de ce nouveau round de négociation sociale pour sortir de la crise des retraites. Logique. La députée du Calvados, élue pour la première fois en juin 2022, apparaît aujourd’hui vouée à être sacrifiée tôt ou tard par Emmanuel Macron sur l’autel de son second mandat. À elle de payer les pots cassés de cet an 1 tumultueux du second quinquennat!
Difficultés politiques, réalités incontournables
Injuste, ce verdict? Non, plutôt conforme à la réalité des faits. Ces dernières semaines, des révélations parues dans la presse et dans un livre-choc, «Les sans jours» (Ed. Bouquins), ont confirmé qu’Élisabeth Borne n’aurait pas dû atterrir à la tête du gouvernement. Elle était, voici un an, un second choix. Le président, tout juste réélu, lui avait initialement préféré une femme de droite, Catherine Vautrin, ancienne députée et élue à Reims (Marne).
In extremis, Emmanuel Macron a changé d’avis, dit-on, sous la pression de son entourage qui préférait l’ancienne ministre des Transports, issue du parti socialiste. Va pour Élisabeth Borne, réputée tenace et disciplinée! Et va pour la première défaite: celle de la coalition présidentielle Renaissance aux législatives de juin 2022. Pas de majorité absolue à l’Assemblée nationale. Et, depuis lors, l’explosion tous azimuts des colères, cristallisée depuis la mi-janvier par la bataille sociale contre la réforme des retraites et le report de l’âge légal de départ à 64 ans.
Peut-on dès lors encore croire à la longévité de cette Première ministre, seconde femme à occuper ce poste en France après Édith Cresson, durant onze mois entre mai 1991 et avril 1992? Rares sont ceux qui s’y risquent. Car tout va dans le sens contraire.
Ni son caractère ni son bilan ne plaident pour elle
Son caractère d’abord: face au pays et face aux syndicats, Élisabeth Borne a depuis le début manqué d’empathie, affichant son inflexibilité, comme elle le démontre à nouveau en affirmant au «Journal du dimanche» en affirmant, droite dans ses bottes, «je veux continuer à relever les défis du pays», avec une absence notable d’humilité.
Son bilan ensuite: comme Première ministre, l’intéressée n’a pas acquis l’autorité incontestée qui justifierait son maintien. Le président l’a encore soutenu lors de son intervention télévisée sur TF1 lundi 15 mai, mais le courant passe de plus en plus mal entre ce chef de l’État pressé et cette ingénieure polytechnicienne qui méconnaît le pays réel, même si elle fut préfète de la région Poitou-Charentes et du département de la Vienne. C’est là qu’elle côtoya celle qui fut un temps son mentor, l’ancienne candidate à la présidentielle socialiste Ségolène Royal.
Quels enjeux entre Élisabeth Borne et les syndicats?
Le 5 avril, la précédente rencontre entre Élisabeth Borne et les syndicats avait tourné au fiasco. Ces derniers avaient quitté la salle, après l’avoir entendue réaffirmer le maintien de la réforme des retraites. Un mois et demi plus tard, quoi de neuf? Rien. Le projet de loi controversé a été promulgué le 14 avril. Il entrera en vigueur en septembre si une ultime proposition de loi destinée à l’en empêcher est rejetée le 8 juin par une majorité de députés. Deux jours avant, une nouvelle journée de manifestation et de grèves aura eu lieu.
Comment exister politiquement dans ce contexte?
Alors? Comment exister au moment où Emmanuel Macron monopolise la parole dans les médias, réunit 200 dirigeants d’entreprise étrangers à Versailles, annonce 13 milliards d’euros de projets d’investissement et promet 2 milliards d’euros de baisse d’impôts d’ici à 2027 pour la classe moyenne? Comment susciter une forme de confiance alors qu’elle demande le retrait d’une biographie qui lui est consacrée, «La secrète» (Ed. L’Archipel), parce que l’auteure du livre démonte quelques mensonges conjugaux de la Première ministre?
La seule réponse tient à sa personnalité pugnace. «Élisabeth Borne aime les superhéros, et les films qui les montrent en action: 'Avengers' ou 'les Indestructibles'. Leurs superpouvoirs sont très pratiques en terrain hostile», estime un éditorial de France Culture. Survivra-t-elle aux «cent jours» qu’Emmanuel Macron a fixés pour rattraper le temps perdu de la crise des retraites et apaiser le pays? «Elle résiste. Elle est dure au mal, poursuit la radio publique française. Elle s’est prise au jeu. À croire que cette ambiance lui plaît. Y compris la castagne.»
Et de conclure avec son surnom, peu flatteur et peu prometteur: «Borne out».