Avouons-le d’emblée: sa version des faits est difficile à croire. Comment l’eurodéputée grecque, Eva Kaili, a-t-elle pu sans le savoir, se retrouver avec des centaines de milliers d’euros en liquide, cachés dans l’appartement bruxellois qu’elle occupait avec son compagnon italien Francesco Giorgi, un ex-assistant parlementaire qui a reconnu avoir perçu de l’argent en provenance du Qatar?
L’ex-vice-présidente du Parlement européen, démise de cette fonction à la mi-décembre à l’issue d’un vote des eurodéputés (625 voix pour, une contre) affirme en tout cas qu’elle a été dupée, piégée et manipulée dans un entretien donné au quotidien français «Libération». Voici la version des faits de cette eurodéputée écrouée le 9 décembre après la découverte d’environ 150'000 euros en liquide à son domicile (sur 1,5 million d’euros retrouvés au total dans le cadre de l’affaire), puis libérée en avril. Autorisée à retirer son bracelet électronique et exonérée de son assignation à résidence depuis le 25 mai, elle a promis de retourner siéger au Parlement européen.
Sur l’enquête en cours et les accusations
Sur l’enquête et les accusations d’avoir influencé des votes au Parlement européen en faveur du Qatar, alors que l’Émirat se préparait à accueillir la Coupe du monde de football: «La police et la justice n’ont rien trouvé dans mes dépenses qui ne soient justifiées, en Grèce ou en Belgique. Il n’y a aucun compte à l’étranger, en Russie, à Chypre ou au Panama. Je n’ai rien à cacher, tout est déclaré. Et ils ont vérifié et encore vérifié. Et mes empreintes n’étaient pas sur les billets».
Pour elle, aucun doute poursuit «Libération»: «J’ai été mise en prison pour une chose dans laquelle je n’étais pas impliquée. Je n’ai d’ailleurs jamais été mentionnée dans les discussions entre Panzeri et Giorgi (l’ancien eurodéputé italien accusé d’être le chef d’orchestre du réseau de corruption, et son ex-compagnon, père de leur fille) que la police a écoutés durant un an. L’ensemble de l’argent était à eux et ils l’ont dit au juge. C’est tellement évident que je n’ai aucun rôle dans cette affaire. Tout ce que j’ai dit ou fait est public, notamment sur le Qatar et je n’ai aucune possibilité d’influencer quoi que ce soit au sein du Parlement européen.»
Sur les circonstances de son arrestation
Sur les circonstances de son arrestation à la mi-décembre, et sur la découverte de centaines de milliers d’euros par la police belge: «La police a arrêté Francesco (son ex-compagnon, lui aussi accusé et passé aux aveux) dans le parking où nous allions prendre notre voiture. Les agents m’ont dit qu’ils ne pouvaient pas me dire ce qui se passait, mais que cela ne me concernait pas et que mon appartement était protégé par l’immunité parlementaire. Je remonte chez moi et je demande à mon père de sortir avec ma fille jusqu’à ce que je comprenne ce qui se passe […] Je suis totalement sous le choc. Mon cerveau cesse de fonctionner. Je monte à l’étage pour fouiller le bureau de Francesco pour comprendre ce qui s’est passé […] Et là, je découvre plein de cash […] Mon père revient et je lui donne un sac avec l’argent et des affaires pour le bébé pour qu’il l’emmène au Sofitel où il logeait. Je ne sais pas pourquoi j’ai fait ça. J’étais paralysée de terreur. Je comprends que ma réaction n’a aucun sens. Je voulais juste sortir cet argent qui ne m’appartenait pas de chez moi.»
«Libération» détaille, dans l’article consacré à Eva Kaili, les méandres de la procédure judiciaire belge et le brouillard qui l’entoure. Et si l’eurodéputée grecque avait été victime d’une volonté de trouver des coupables, pour que cette affaire de corruption sorte et épargne d’autres eurodéputés, en dehors du petit groupe de personnes incriminées? «Panzeri (le principal suspect, devenu «repenti»), lors de sa première audition, a donné les noms de Maria Arena et de Marc Tarabella (deux autres eurodéputés belges). Une fois l’accord de repenti signé, il a cité deux autres noms, le mien, mais aussi celui d’un député italien, Andrea Cozzolino […] Il y a plein d’erreurs factuelles dans ses accusations […]. Il a fallu qu’Amnesty International Italie dénonce la violation de la convention sur les droits de l’enfant pour qu’après deux mois, j’ai le droit de voir deux heures, deux fois par mois, ma fille de deux ans. Le message était clairement que je devais dénoncer quelqu’un pour que je puisse la revoir.»
Levées d’immunités parlementaires
Eva Kaili est aujourd’hui libre mais contrainte de demeurer en Belgique. Le Parlement européen, dont elle reste membre, n’a pas eu besoin de lever son immunité parlementaire compte tenu de son interpellation en «flagrant délit». Le parquet européen l’a toutefois demandé formellement en janvier 2023. Trois autres eurodéputés ont vu leur immunité levée: Marc Tarabella (Belgique), Andrea Cozzolino (Italie) et Maria Spyraki (Grèce).