L’offensive est lancée. Et pour la mener à bien, toute la panoplie des armes politiques sera sans doute utilisée dans les prochaines semaines en France. Logique. Pile au moment où la bataille sociale contre la réforme des retraites va connaître, le 6 et le 8 juin, ses derniers soubresauts, le camp présidentiel français ne veut surtout pas laisser le terrain libre à celle qu’Emmanuel Macron considère à juste titre comme sa plus redoutable adversaire: Marine Le Pen.
Il s’agit, pour le président et pour le gouvernement, de tout faire pour que celle-ci et son mouvement, le Rassemblement national, ne deviennent pas le réceptacle de la colère qui demeure dans le pays, même si les possibilités d’obtenir le retrait de cette réforme et l’abandon du report de l’âge légal à 64 ans, semblent désormais épuisées. Ironie du calendrier: c’est à la veille de la quatorzième journée d’action syndicale, le 6 juin, que le décret d’application de la réforme vient d’être publié au journal officiel. Celle-ci entrera donc en vigueur en septembre, comme annoncé.
Attaque sur plusieurs fronts
Offensive contre Marine Le Pen? Le mot convient bien. Car c’est sur plusieurs fronts que les attaques contre le Rassemblement national ont lieu ces jours-ci.
Premier front: celui de l’Histoire et du passé, avec l’accusation brandie par la Première ministre Élisabeth Borne selon laquelle le RN serait «le parti héritier du Maréchal Pétain». La référence est en théorie redoutable pour ce parti qui affirme défendre la France et les Français. En juin 1940, le Maréchal Pétain, illustre combattant de la première guerre mondiale, fut le visage du régime de Vichy, du démantèlement de la République, et de la collaboration avec l’Allemagne nazie. C’est aussi sous le gouvernement de Pétain que furent votées les lois anti-juives de novembre 1941. Qui dit Pétain, dans la France de 2023, dit trahison. Qui dit Pétain, surtout, dit reniement national, car jamais la France ne fut plus faible, et plus asservie que durant la seconde guerre mondiale.
Second front: celui de l’ingérence étrangère. Là, l’opération politicienne est encore plus flagrante. Le Rassemblement national, parti national-populiste et (longtemps) europhobe, est, depuis longtemps, accusé d’être proche de la Russie. C’est d’ailleurs, entre autres, grâce aux prêts de banques russes qu’il doit d’avoir survécu financièrement, et que Marine Le Pen a pu trois fois se présenter à l’élection présidentielle (battue en 2017 puis en 2022 au second tour par Emmanuel Macron). Or voilà que ce parti, prenant les devants, a proposé en décembre 2022 une «Commission d’enquête de l’Assemblée nationale relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères – États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées – visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français.»
Lutte contre la corruption
Vous me suivez? C’est le RN qui, au nom de la lutte contre la corruption dans la vie politique et de l’indépendance nationale, a accepté d’être mis sur le gril. Marine Le Pen a ainsi été auditionnée pendant quatre heures le 24 mai dernier. Et voilà que des extraits du rapport à venir, rédigé par une députée de la majorité présidentielle, s’avèrent accablants pour le RN présenté comme une «courroie de transmission» de Moscou.
Le lien entre le RN et la Russie y est présenté comme «ancré dans la durée» et sa «stratégie de rapprochement politique et idéologique» de plus en plus «structurée et accélérée» à partir de l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti en 2011. Point important: tous ces extraits se sont retrouvés dans les médias alors que le rapport final de la Commission n’a, ni été approuvé, ni été voté, ni été publié. Il est attendu cette semaine.
Le problème est que ces attaques ne font que ressasser de vieux arguments, connus, débattus et sans effets jusque-là sur les électeurs. Et que Marine Le Pen dispose, pour chaque offensive, d’une parade presque parfaite. Sur Pétain, la cheffe du RN (elle en a laissé la présidence au jeune Jordan Bardella) n’a aucun souci à se faire. C’est son père Jean-Marie qui sentait le soufre néonazi, et transpirait l’antisémitisme. Or, elle l’a politiquement répudié, au point de rompre avec lui publiquement en 2015.
Sur la Russie, l’affaire pourrait même tourner à son avantage. L’ex-candidate présidentielle a condamné l’invasion de l’Ukraine. Mais il ne fait guère de doute qu’elle est prête à négocier avec Poutine. Et alors? Plus des deux tiers des Français, selon les sondages, pensent comme elle que la négociation doit l’emporter entre Kiev et Moscou. Quant à l’argent des banques russes, sa défense est imparable: pourquoi les banques françaises ont-elles refusé de prêter à sa formation alors que celle-ci est devenue, à partir de 2015, le premier parti de France?
Emmanuel Macron rectifie
Emmanuel Macron ne s’y est pas trompé. Il a, selon les médias français, reproché à sa Première ministre d’opposer à Marine Le Pen des arguments défaillants à propos de Pétain. «Il faut décrédibiliser le RN par le fond et les incohérences» et non en utilisant des «mots des années 90 qui ne fonctionnent plus» aurait-il déclaré. Vrai. Mais là aussi, trouver la faille s’annonce très compliqué.
Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin défend ainsi une loi renforcée contre l’immigration qui, à coup sûr, permettra au RN de dire que ses diatribes anti-immigrants étaient donc justifiées. Impossible aussi, pour le gouvernement, d’aller reprocher au Rassemblement national un comportement anti-républicain alors que la réforme des retraites a été adoptée sans vote (grâce à l’article 49.3 de la constitution), et que ce 8 juin, une proposition de loi d’abrogation va sans doute être rejetée pour éviter à nouveau que les députés se prononcent. Qui refuse le jeu parlementaire? Qui s’est opposé à un référendum sur les retraites, défendu par le RN et par la gauche?
La vérité est que le meilleur argument anti-Le Pen n’est pas verbal. Il est chiffré et statistique. Il s’agit de l’économie et de la capacité de la France à encaisser ou non le choc de l’inflation. Tout va dépendre aussi de la perception, en France, de l’action de l’Union européenne tant l’élargissement promis à de nouveaux pays (dont l’Ukraine) fait peur et alimente la machine nationaliste. La cheffe du Rassemblement national a, pour le moment, tous les moyens d’une contre-offensive dont le début interviendra lors des élections européennes du 9 juin 2024. C’est à ce moment-là qu’il peut encore être battu. Pas par des mots. Mais dans les urnes.