Chercher l’argent! C’est ce qu’ont essayé de faire les députés français de la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les ingérences étrangères, durant les trois heures d’audition de Marine Le Pen mercredi 24 mai. Trois heures qui ont tourné autour d’une seule question: l’argent russe reçu par le Rassemblement national (ex-Front national) ces dix dernières années prouve-t-il la dépendance de cette formation politique envers Moscou, et envers Vladimir Poutine lui-même? Réponse de l’ex-candidate aux élections présidentielles de 2012 (éliminée au premier tour), 2017 et 2022 (deux fois finaliste, battue par Emmanuel Macron): un non catégorique.
«J’ai signé un prêt avec une banque, je n’ai pas signé un prêt avec Vladimir Poutine», a plusieurs fois répété celle qui préside aujourd’hui le groupe RN de l’Assemblée, fort de 89 députés. Auparavant, cette Commission avait notamment auditionné l’ancien premier ministre François Fillon, connu pour avoir travaillé pour des compagnies énergétiques russes.
Pas facile de s’y retrouver
Chercher l’argent: il faut reconnaître que ce n’est pas facile quand il s’agit du parti de droite nationale-populiste, contraint dans les années 2000 de se financer à l’étranger, et en particulier auprès de banques des pays de l’Est, dont la Russie. Plus compliqué encore: la banque russe qui a accordé en 2014 un prêt de 9,4 millions d’euros à la formation de Marine Le Pen, a ensuite fait faillite, et ses créances se sont retrouvées dans le giron d’une entreprise de location automobile russe, puis d’une société aéronautique! Plus qu’un dédale, un vrai labyrinthe sur lequel l’ex candidate à la présidentielle a affirmé ne pas avoir d’informations, et surtout n’avoir rien à se reprocher. «Aucun de mes déplacements, rien de ce que je fais est secret» a-t-elle lancé à ses collègues députés.
À plusieurs reprises, l’intéressée a répondu qu’elle découvrait «pour la première fois» les informations sur la cascade de reprises et de transferts de créances engendrés par la faillite de la First Czech Russian Bank. «Jamais cet argent n’a constitué une ingérence à mon encontre. Tout a été déclaré. Je n’ai pas reçu de valises de billets de Monsieur Poutine. Le prétendre, c’est tromper les Français et me calomnier.»
Retrouvez l’audition de Marine Le Pen:
Le plus intéressant lors de cette audition n’a pas été, comme l’on pouvait s’y attendre, la réponse de Marine Le Pen, dont plusieurs sondages allèguent qu’elle battrait désormais Emmanuel Macron au second tour avec 55% des suffrages, si une nouvelle élection présidentielle avait lieu.
La géographie des circuits financiers empruntés par le RN pour se financer, faute d’obtenir des prêts des banques françaises qui financent les autres partis politiques, est un mode d’emploi de la mondialisation des capitaux que le parti national-populiste condamne et pourfend. 200 lettres ont été, dans les années 2014-2018, envoyées par le trésorier du RN pour chercher de l’argent à travers le monde. Des banques américaines, asiatiques, latino-américaines ont été sollicitées sans succès. Un prêt de huit millions d’euros a transité par les Émirats arabes unis. Logique pour Marine Le Pen, qui s’est d’abord présentée comme une victime: «Dans n’importe quel autre pays au monde, les candidats à la présidence trouvent de l’argent auprès des banques nationales. Pas nous. C’est contraints et forcés que nous avons dû solliciter de l’argent étranger.»
Des informations «secret-défense»
Vladimir Poutine ne serait donc pas le banquier du RN, comme l’avait asséné Emmanuel Macron lors de son débat télévisé face à Marine le Pen, entre les deux tours, le 21 avril 2022. «C’est une affaire montée contre nous» s’est défendue cette avocate de 54 ans, en affirmant n’avoir jamais été contactée ou informée d’une enquête par Tracfin, l’agence française anti-blanchiment du ministère des Finances. La rapporteuse de la Commission d’enquête a laissé planer le doute, assurant que des informations «secret-défense» planent sur ce dossier de financement du RN, sans donner de détails. Lesquelles? Motus.
Emmanuel Macron et Poutine «le banquier»:
Habile, Mme Le Pen a renvoyé la balle vers cette ancienne élue de la droite ralliée à l’actuelle majorité présidentielle. «D’autres partis ont eu des problèmes d’argent bien plus sérieux que les nôtres. Les comptes de campagne de Nicolas Sarkozy en 2012 ont même été rejetés» a-t-elle répété. Silence dans la salle d’audition. Outre ce dépassement, qui a obligé le parti de l’ancien président français à rembourser onze millions d’euros, ce dernier est aujourd’hui mis en examen quatre fois pour les soupçons de financement libyen de sa campagne de 2007. Motifs? «Association de malfaiteurs, corruption passive, recel de détournements de fonds publics et financement illicite de campagne électorale».
Marine Le Pen, n’avait jusque-là pas du tout été inquiétée par la justice, même si plusieurs de ses proches ont été inculpés, tout comme un micro parti «Jeanne» (pour Jeanne d’Arc) utilisé pour financer les campagnes des candidats de l’ex-Front national lors des législatives de 2012.