«Chers parents, si vous lisez cette lettre, c’est que je suis sûrement partie. Je suis désolée d’avoir fait ça, mais je n’en pouvais plus des insultes matin et soir, des moqueries, des menaces.»
Lindsay avait 13 ans. Elle vivait à Vendin-le-Vieil dans le Pas-de-Calais (nord de la France) avec sa mère et son beau-père, après le décès de son propre père alors qu'elle avait 3 ans. Lindsay est morte le 12 mai dernier. Un suicide. Une mort pour disparaître des écrans devenus une torture permanente, car remplis d’insultes à son égard par d’autres collégiens et collégiennes. Une mort que ses parents ont attribuée, cette semaine dans l’émission «Touche pas à mon poste» de Cyril Hanouna, à la «haine distillée sur les réseaux sociaux». Lindsay est l’un de ces visages de jeunes adolescents en difficulté, perdus dans la haine digitale, que la France et son gouvernement découvrent avec effarement: «Nous avons encore du chemin à parcourir, a reconnu le ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye. Il s’agit d’un échec collectif […] Une tragédie pour ses proches, pour l’Éducation nationale et pour le pays.»
Les parents de Lindsay à «Touche pas à mon poste»
Lindsay est morte parce qu’elle n’en pouvait plus. Mais l’adolescente s’est surtout retrouvée seule, privée du soutien que sa mère affirme avoir demandé à ses enseignants à plusieurs reprises. Vrai? Faux? À nuancer? Pour l’heure, la parole et les accusations des parents disent l'horreur d'un engrenage et d'une indifférence insupportables. «On a appelé l’académie, les services de police, le proviseur du collège, sans suite. On n’a reçu aucun courrier ou appel de leur part suite au décès de Lindsay», répète ces jours-ci sa mère sur les plateaux et devant les micros.
À chaque fois, les phrases de la lettre laissée par la collégienne avant de mettre fin à ses jours s’affichent ou sont lues par sa mère. «Je suis désolée d’avoir fait ça, mais je n’en pouvais plus des insultes matin et soir, des moqueries, des menaces. Je n’en peux plus et j’ai envie d’en finir. Mais rien ne les arrêtera, car malgré tout ce qui s’est passé, elles me voudront toujours du mal. Pardon Maman, je suis partie rejoindre Papa […]. Je pense que ce que j’ai fait va les réjouir, elles penseront qu’elles ont gagné et arrêteront tout ça. Je ne pouvais même pas me confier au directeur, car il ne voulait rien entendre…»
Les mots sont terribles. La surdité de l’Éducation nationale est en cause. Et au-delà, celle de la société, des autres collégiens, des autres parents… Idem pour Lucas, dont quatre camarades seront prochainement jugés à huis clos pour «harcèlement scolaire», un délit crée en mars 2022 et puni par 10 ans de prison. Le garçon, âgé lui aussi de 13 ans, s’est suicidé en janvier. Tout comme Chanel, une jeune fille de 15 ans, qui s’est donné la mort en 2021.
La réponse du ministre Pap Ndiaye:
L’instrument de l’engrenage de cette terreur numérique? Facebook, dans le cas de Lindsay. C’est sur ce réseau que d’autres filles du collège avaient choisi de lapider Lindsay en public pour son apparence physique et pour ses manières, sans que l’on sache exactement ce qui a déclenché un tel niveau de colère. Les garçons se battent en bandes, comme on l’a vu avec la condamnation récente de quatre mineurs à des peines de 6 à 30 mois d’emprisonnement ferme pour avoir participé au lynchage d’un collégien en janvier 2021 à Paris. Les filles, selon les sociologues interrogés par les médias, préfèrent le pugilat en ligne. «Facebook a été complètement défaillant en matière de modération des contenus et de lutte contre les propos haineux», affirme l’avocat de la famille, qui a déposé plainte contre le réseau.
Quatre plaintes déposées
Trois autres plaintes ont été déposées: contre la direction du collège, contre l’Académie de Lille (Nord) et contre les policiers chargés de l’enquête pour «non-assistance à personne en péril», ouverte sans résultat. Conséquence de la disparition de la collégienne: cinq personnes ont été mises en examen, dont quatre mineurs pour «harcèlement scolaire ayant conduit au suicide» et une majeure pour «menaces de mort». Il s’agirait de la mère d’une camarade de classe de Lindsay, qui aurait menacé cette dernière.
Faut-il y voir un nouvel épisode de l’explosion du harcèlement en ligne constatée notamment durant la pandémie de Covid-19? Selon des statistiques données par l’Éducation nationale en 2020, au moins 5 à 10% des élèves français sont harcelés chaque année. La diffusion d’images intimes et de données personnelles est devenue un chantage récurrent. La loi dispose pourtant d’une parade: le harcèlement scolaire est, depuis mars 2022, reconnu comme un délit pénal qui pourra être puni jusqu’à 10 ans de prison et 150'000 euros d’amende en cas de suicide ou de tentative de suicide de la victime harcelée.
Le rôle des «influenceurs»
Terrible ironie du calendrier: l’affaire Lindsay réveille tous les parents de jeunes enfants au moment où une autre loi concernant leur progéniture vient d’être définitivement adoptée après un vote du Sénat. Il s’agit du projet de loi «visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux», sujet dont on connaît l’importance croissante dans la vie numérique des jeunes. On estime le nombre de ces «influenceurs» à 150'000 en France. Lindsay fréquentait les sites d’un certain nombre d’entre eux. Mais ce sont les paroles, les mots, les attaques de filles et de garçons de son âge qui sont aujourd’hui en cause.