Pour mieux contrôler Kiev
Le rêve de Kissinger pour ses 100 ans: vite l'Ukraine dans l'OTAN

Dans un long entretien publié par «The Economist» pour ses 100 ans, Henry Kissinger réclame l'entrée urgente de l'Ukraine dans l'OTAN. Pas seulement pour défendre le pays. Mais aussi pour le contrôler.
Publié: 26.05.2023 à 14:40 heures
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L'ex secrétaire d'État américain Henry Kissinger est photographié lors d'un temps de repos en France, le 10 août 1976. Henry Kissinger, dont le nom même est synonyme de diplomatie américaine, fêtera ses 100 ans le 27 mai 2023, célébré par l'élite américaine alors que d'autres déplorent que l'impitoyable guerrier de la guerre froide n'ait jamais eu à répondre de ses actes.
Photo: AFP
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Richard WerlyJournaliste Blick

Henry Kissinger a fait un rêve de centenaire qui ne plaira peut-être pas à Volodymyr Zelensky.

L’ancien secrétaire d’État américain, ténor de la géopolitique depuis des décennies, veut voir rapidement l’Ukraine dans l’OTAN, l’Alliance atlantique dirigée par les États-Unis. Mais pas seulement pour défendre ce pays contre son agresseur russe.

Pour le contrôler aussi, car l’Ukraine risque, demain, d’être trop forte pour le Vieux Continent si elle n’est pas insérée dans un accord de sécurité collective: «Pour établir une paix durable sur le continent européen, il faut deux choses, explique-t-il dans un long entretien publié par «The Economist» à l’occasion de ses 100 ans, ce samedi 27 mai.

La première est d’intégrer l’Ukraine dans l’OTAN pour l’encadrer autant que pour la protéger. La seconde est de prendre l’initiative d’un rapprochement avec la Russie, pour aboutir à une «stabilisation de la frontière orientale de l’Europe».

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100 ans! Pour tous les familiers des questions internationales, l’anniversaire d’Henry Kissinger résonne comme un avertissement sur l’importance du temps long, et la nécessité d’avoir une mémoire. Le diplomate américain, qui fut le conseiller pour la sécurité nationale de Richard Nixon, puis ministre des Affaires étrangères sous Nixon et Ford (1969-1976), est le dinosaure de la diplomatie occidentale.

Il a négocié la paix avec le Nord-Vietnam en 1973, après avoir recommandé d’atroces bombardements sur le Cambodge. Il fut le négociateur avec la Chine populaire de Mao. Il fréquenta la nomenklatura de l’ex-URSS.

Alors, Poutine et l’Ukraine? Une seule solution: une stabilisation d’urgence pour éviter que l’engrenage de la guerre n’aspire le continent: «Ce que les Européens disent aujourd’hui est, selon moi, très dangereux, affirme-t-il dans les colonnes de «The Economist». Les Européens disent qu’ils ne veulent pas de l’Ukraine dans l’OTAN, parce que cela est trop risqué. Et pour éviter que cette question soit posée, ils arment le pays et lui fournissent les moyens militaires les plus sophistiqués. Résultat: Nous avons maintenant armé l’Ukraine à un tel point que c’est l’un des pays les plus puissants d’Europe, avec à sa tête l’un des leaderships les moins expérimentés.»

Passion pour la raison d’État

On connaît la passion de Kissinger pour la raison d’État. Né en Bavière en 1923, naturalisé américain en juillet 1943, cinq ans après l’arrivée de ses parents aux États-Unis pour fuir les persécutions nazies contre les juifs, Henry Kissinger a pour modèle le Chancelier autrichien Metternich (1773-1859), qui fut l’adversaire le plus coriace de l’Empereur français Napoléon et le maître du Congrès de Vienne de 1815 qui donna à la Suisse ses frontières actuelles.

Il a toujours considéré la diplomatie comme l’art du plus fort, ou du moins l’instrument à la disposition des puissances pour établir leur domination sans recourir à la guerre. Rien d’étonnant donc à ce que ce très vieil homme, qui était encore interrogé en vidéo en janvier dernier au forum de Davos, estime impossible une défaite totale de Vladimir Poutine. Pour lui, la Russie conservera de toute façon le port de Sébastopol et l’accès à la Mer Noire, même en cas de cessez-le-feu. «La mission principale des puissances aujourd’hui est de terminer cette guerre sans en déclencher une autre», confie-t-il à l’hebdomadaire britannique.

Coté responsabilités dans ce conflit, Kissinger refuse de la faire porter au seul président russe. Il considère toujours que la promesse d’une possible adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, faire par l’Alliance en 2008, «était par nature déstabilisante. C’était une erreur, tout comme la décision de Vladimir Poutine d’envahir l’Ukraine.»

Prochain sommet de l’OTAN à Vilnius

Le point le plus intéressant de l’entretien est toutefois l’explication donnée à une possible intégration de l’Ukraine dans l’OTAN, 15 ans plus tard. Les 30 pays membres de l’Alliance se réuniront en sommet à Vilnius à la mi-juillet. Aujourd’hui, la place de Kiev en son sein fait l’objet de profonds désaccords, même si le président Zelensky viendra au sommet. Kissinger, lui, voit un danger ukrainien poindre.

Trop de nationalisme à l’œuvre, avec beaucoup trop d’armes entreposées. Trop de sacrifices consentis par ce pays pour se défendre et défendre l’Europe. Trop de soutien politique des Européens qui devront, un jour ou l’autre, passer à l’acte et tenir leurs promesses.

«Contrôler l’Ukraine» est donc selon lui indispensable, et c’est à cela que doivent s’atteler aussi les Européens. À 100 ans, Henry Kissinger met les pieds dans le plat. Avec la canne sur laquelle il s’appuie désormais pour marcher. Pas de politiquement correct. Mais une vision du rapport de force, et des nécessités de la géopolitique difficile à expliquer aux populations mobilisées pour défendre, en Ukraine, la démocratie européenne.

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