Ils sont plusieurs à avoir eu le courage de le dire depuis l’assaut terroriste du Hamas le 7 octobre 2023, et la riposte sans précédent d’Israël sur Gaza. L’ancien ministre Français des Affaires étrangères Hubert Védrine en fait partie. Pour la droite américaine et la droite israélienne, la seule solution viable au problème palestinien est, selon ces experts, celle que les Etats-Unis appliquèrent de façon impitoyable à la fin du XIXe siècle, envers les Indiens des territoires de l’ouest: l’élimination, la déportation, puis la création de réserves aujourd’hui financées, souvent, par des casinos.
Ce scénario est à peu près celui que Donald Trump a en tête depuis des mois, et qu'il vient de réaffirmer aux côtés de Benjamin Netanyahu en parlant de «prendre le contrôle de Gaza pour la transformer en Cote d'Azur». Le Président américain l’avait d’ailleurs rendu public durant sa campagne électorale: pour lui, Gaza ne redeviendra jamais un territoire politiquement autonome, géré par une quelconque Autorité palestinienne. La seule solution est de regarder cette enclave en oubliant ceux qui y vivent, et l’histoire qui l’a forgé. Voici une bande de terre de 360 kilomètres carrés, avec de magnifiques plages sur la Méditerranée.
Idées simples
A proximité? Dix millions d’Israéliens qui seraient ravis de dépenser leur argent dans un sanctuaire balnéaire taillé sur mesure. Sans parler des populations du Golfe, voire de l’Arabie saoudite. Jusqu’au déclenchement de la guerre civile en 1975, le Liban jouait ce rôle. Mais pour Trump, le promoteur aux idées simples partisan de la manière forte, l’équation libanaise est trop compliquée. A Gaza où tout n’est que ruines, tout est plus simple et cela tombe bien: construire est la passion de celui qui a essaimé des Trump Towers dans le monde entier, et construisit un casino, le Taj Mahal, à Atlantic City (New Jersey) avant d’y faire faillite.
Les Palestiniens? Tous les experts qui connaissent Trump et son entourage vous disent que l’actuelle administration américaine a un plan. Il nie le droit de ce peuple à disposer d’une terre et d’un État. Mais il s’appuie sur le cimetière politique engendré par l’assaut du Hamas, sur le désespoir des habitants de Gaza, et sur la possibilité de tordre le bras à l’Égypte et à la Jordanie, deux pays complètement dépendants de l’aide américaine. C’est cynique. C’est affreux. Cela bafoue le droit international. C’est la loi du plus fort (celle d’Israël et de Netanyahu) appliquée sans aucuns scrupules. Mais cela peut fonctionner. Car un territoire existe, susceptible selon Trump d’accueillir les deux millions d’habitants de Gaza: l’immense désert égyptien du Sinaï.
L’exemple du Sahara Occidental
Un exemple existe et l’administration américaine l’a scruté de près. Il est terrible, tant il s’agit d’une impasse politique et diplomatique. Il s’agit du Sahara Occidental, l’ancien Sahara Espagnol dont le Maroc a pris le contrôle. Les Nations unies continuent de parler, à son propos, de territoire non autonome revendiqué par le Maroc. Des centaines de milliers de Sahraouis vivent, depuis des décennies, dans les camps de réfugiés de la région de Tindouf, en Algérie.
Ce peuple est victime de l’histoire. Or Trump n’aime que les vainqueurs. Et pour lui, les Palestiniens ont déjà une patrie avec la Jordanie. Son nouvel ambassadeur en Israël, l’ancien gouverneur de l’Arkansas Mike Huckabee, parle de «Judée et Samarie» à propos de la Cisjordanie, et défend la colonisation israélienne. L’ancien promoteur immobilier ignore, aux Etats-Unis, les droits des Indiens, ces «native americans». Il avait mis en œuvre durant son premier mandat le pipeline Keystone XL visant à transporter les sables bitumineux canadiens de l’Alberta vers le Nebraska. Les tribus Sioux, Assiniboine et Gros Ventre ont déclenché une guerre juridique. Joe Biden avait temporairement suspendu les travaux. Trump a juré de les reprendre.
Déblaiement de Gaza
Il faut prendre Donald Trump au mot. Pour ce Président-Businessman, le schéma est simple et peut rapporter gros, d’autant que plusieurs milliardaires juifs des Etats-Unis ont promis d’investir dans son plan fou «Gaza-Riviera». Étape 1: la construction en Égypte, dans le désert et sur fonds américains, de villes nouvelles pour accueillir les Palestiniens de Gaza qui n’iront pas ailleurs. Étape 2: le déblaiement de Gaza par la mer, qui mobiliserait une flotte sans précédent de navires chargés de gravats. Étape 3: la reconstruction du territoire dont le statut et la protection fera l’objet de négociations.
Statut préférentiel
Avec, pour les Palestiniens, la possibilité d’y disposer d’un statut préférentiel pour les emplois, voire certains titres de propriété. «Cela paraît fou, mais lors de mon dernier voyage dans la région, tous mes interlocuteurs arabes avaient un seul mot à la bouche: le dollar explique une universitaire américaine, spécialiste du monde arabe. Ils pensent que l’effet Trump va créer des opportunités économiques sans précédent». Et d’ajouter: «Aucune population de la région ne croit au droit international. Le Golfe est une région dominée par les dictatures et par l’argent du pétrole. La loi du plus fort ne choque pas».
Les Palestiniens se retrouvaient donc déportés, éliminés, traqués? Pas si sûr. Là aussi, la logique Trump peut conduire à des ouvertures. Pas dans le sens d’un État palestinien, mais en vue de bâtir un nouveau régime politique: une sorte de protectorat à Gaza qui, comme Monaco avec la France, serait adossé à Israël mais jouirait de droits différents. Un retour ni plus ni moins d’une forme de colonialisme occidental dans cette région qui fut, entre les deux guerres, divisée entre les protectorats français (Liban, Syrie) et Britannique (Jordanie, Palestine).
Funeste histoire
Impossible? Peter Shambrock est historien britannique. Dans son livre «Policy of Deceit» (Ed One world Academic), il dénonce les mensonges du Royaume-Uni envers les régimes arabes de l’époque et envers les Palestiniens. «La Palestine était une terre promise, et les agissements malhonnêtes de la Grande-Bretagne sont une vérité irrévocable». Donald Trump, avec son plan «Riviera» est aussi l’héritier de cette funeste histoire.