Le bitcoin opère un comeback fulgurant. Est-ce durable? Le 13 mars, il a dépassé les 73'000 dollars et gagne 66% depuis janvier. De quoi oublier son effondrement de 2022. Le bitcoin n’est pas le seul à renaître, depuis quelques mois, de ses cendres: l’autre cryptomonnaie phare, l’ether, fait encore mieux cette année (+72%).
Sur 5 ans, l’ether devance aussi le bitcoin. 100 dollars placés en bitcoin en 2019 rapporteraient 1800 dollars aujourd’hui, contre 2900 dollars pour l’ether. La forte demande pour le bitcoin doit beaucoup à l’autorisation de 11 nouveaux ETFs (fonds indexés sur le bitcoin) cette année, créés par des firmes américaines telles que BlackRock, Grayscale, ARK ou Franklin Templeton.
Optimisme sur le marché
«Ces instruments, qui sont encadrés par le régulateur, offrent aux investisseurs institutionnels encore réticents un canal rassurant pour investir à travers des intermédiaires reconnus, commente Virgile Perret, expert à l’Observatoire de la Finance à Genève. Cette dynamique a injecté de l’optimisme sur le marché et déclenché une tendance haussière précoce, les flux initiaux dépassant les attentes les plus optimistes.»
L’ETF bitcoin de BlackRock, par exemple, a démarré le 5 janvier sur le Nasdaq à 25 dollars, et se situait à 40 dollars le 12 mars (+64%). A présent, l’Angleterre pourrait suivre et autoriser, elle aussi, des titres liés aux cryptomonnaies. Un contexte clairement porteur.
Autre moteur de l’achat de cryptomonnaies: les anticipations de baisse des taux d'intérêt aux Etats-Unis ces prochains mois. C’est en effet durant la période des taux d’intérêt 0%, en 2020 et 2021, que le cours des cryptomonnaies a explosé sous l’effet de l’argent facile. C’est pourquoi la prudence est de mise.
«Ne pas être ébloui»
«Il ne faut pas être ébloui par cette montée en flèche du bitcoin, met en garde Nicholas Hochstadter, fondateur de Performance Watcher, la plateforme de comparaison des résultats de gestion, basée à Morges. Une telle volatilité est excessive. Les hausses peuvent être suivies de corrections tout aussi fortes. Le boursicotage ne sera jamais rentable en raison de ses risques. Mon conseil: n’achetez pas quelque chose quand il y a un hype. Investissez dans ce que vous comprenez.»
Pour Virgile Perret, «la tendance haussière actuelle devrait se maintenir dans les mois à venir», mais lui aussi met en garde que «cette dynamique peut être remise en question à tout moment au vu de la volatilité et de l’imprévisibilité des marchés et la myriade de facteurs qui influencent le prix du bitcoin». Citons parmi ces facteurs les avancées technologiques, les changements réglementaires ou encore les conditions économiques.
Parmi les facteurs haussiers, rappelons aussi que le halving du bitcoin, à savoir la perspective de la réduction de moitié de la récompense pour le minage, arrive en avril. «Le halving amplifie la tendance haussière, explique Virgile Perret. Historiquement, cet événement, qui se reproduit environ tous les 4 ans, coïncide avec des hausses significatives du cours du bitcoin, car la réduction de l’offre entraîne souvent une augmentation des prix.»
Comprendre d’abord, investir ensuite
Pour Nicholas Hochstadter, ce qui compte, ce n’est pas de savoir si le bitcoin va atteindre 100'000 ou redescendre à 50'000. C’est de savoir si les investisseurs comprennent mieux ce que sont la blockchain et les cryptomonnaies. Or les progrès sont encore faibles, observe-t-il.
«Je crois qu’on est encore très loin de l’adoption de masse. Nous n’en sommes qu’aux premières étapes. Si on demande à 10 institutionnels, qu’est-ce que la blockchain et son impact sur la finance, peu seront capables de répondre.»
De «niche» à «mainstream»
Reste que l’on assiste indéniablement à une adoption de fond chez les institutionnels, «qui dépasse la simple réaction spéculative», estime Virgile Perret. «L’intérêt grandissant d’institutions comme Merrill Lynch ou Wells Fargo pour le bitcoin en tant que classe d’actifs légitime a été renforcé par l’approbation des ETF par les autorités.»
Cela démontre le poids des régulateurs dans la création de confiance, poursuit-il, mais aussi une certaine maturation du marché crypto et bitcoin, dont la perception tend à passer d’un «actif de niche» à un «actif plus mainstream». Cela dit, la dynamique de prix actuelle demeure fragile à ses yeux, car elle est fondée principalement sur le potentiel du bitcoin en tant qu’investissement spéculatif. «La fonction de paiement du bitcoin n'a pas fait de progrès notable, comme le montre le fiasco au Salvador», rappelle-t-il
Quand on tokénisera Novartis
Pour Nicholas Hochstadter, l’enjeu principal est de mieux informer le public. «Il n’y a toujours pas assez d’éducation sur les atouts de la blockchain et ses échanges plus sécurisés, sur la tokénisation (titres de propriété détenus sur la blockchain), sur la notion de finance décentralisée, et sur le rôle joué par les gouvernements.»
Si certains regrettent d’avoir raté cette hausse, craint Nicholas Hochstadter, ils pourraient opter pour des «shitcoins» (cryptos bidons), voire revenir dans les NFTs (actifs digitaux hautement spéculatifs). «Si on est un investisseur de long terme, les mouvements haussiers ne sont pas ce qui devrait nous intéresser, conclut l’entrepreneur. La question est de savoir si le bitcoin constitue un vrai refuge à long terme. L’adoption réelle viendra quand on comprendra l’intérêt de la finance décentralisée pour les échanges et qu’on verra une tokenisation des actions de Novartis [ndlr: conversion des actions en titres sécurisés par la blockchain].»