Près de deux millions de chats, 900'000 chiens, beaucoup de poissons et même quelques dizaines de milliers de poules: pas de doute, les Suisses aiment les animaux. Et la tendance ne se dément pas, puisque l’Office fédéral de la statistique (OFS) estime qu’un ménage sur trois compte aujourd’hui au moins un animal de compagnie.
La croissance du phénomène s’est amplifiée: le pays recense ainsi 16% de chats et 10% de chiens de plus qu’il y a dix ans. Et leurs propriétaires en prennent soin: quatrièmes mondiaux en ce qui concerne les dépenses qu’ils consacrent à leurs animaux domestiques derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et la France, les Suisses dépensent en moyenne 1200 francs par an pour leur chien et 900 francs pour leur chat, tous frais confondus. Nettement au-dessus d’une moyenne européenne qui se situe entre 30 et 50 euros.
Un business d'une centaine de milliards de dollars
«Le phénomène y est particulièrement prononcé, mais la Suisse n’est jamais que le reflet d’une tendance à la fois sensible et durable au niveau planétaire, explique John Plassard, analyste financier senior pour le groupe genevois Mirabaud. Le secteur des produits et des services destinés aux animaux pèse une centaine de milliards de dollars dans le monde, dont 40% pour la seule nourriture.»
Sur vingt ans, sa croissance moyenne se situe autour de 5,2% et les prévisions sont au beau fixe, dopées par la tendresse prononcée des nouvelles générations pour leurs petits compagnons. «Les jeunes ménages représentent 62% des propriétaires contre 32% pour les baby-boomers.»
Les raisons d’une surperformance
La Suisse peut d’autant plus se réjouir de cet engouement qu’elle abrite, à Vevey, le numéro 2 mondial du secteur: Nestlé, producteur de nombreuses marques destinées aux animaux comme Friskies, Purina, Felix ou Gourmet. «Le groupe a enregistré une croissance organique de ses ventes de 7,2% en 2023, mais le segment pour animaux, PetCare, a progressé de 12,1%», détaille Oleksandr Pidlubnyy, gestionnaire de portefeuille du fonds Allianz Pet and Animal Wellbeing. Un résultat tout sauf anecdotique: en 2023, les marques Purina ou Friskies représentaient 19 milliards de francs de chiffre d’affaires, soit 20% du total, contre 12% en 2010.
«Les jeunes générations ont beau apprécier davantage les animaux de compagnie que leurs aînés, les performances du secteur s’expliquent aussi par deux tendances de fond souvent mêlées, l’innovation et la 'premiumisation', indique Oleksandr Pidlubnyy. Les entreprises innovantes gagnent et gagneront des parts de marché. Dans le segment des aliments pour animaux, on constate par exemple que les propriétaires ont tendance à acheter des aliments de meilleure qualité ou des produits frais parce qu’ils sont convaincus d’améliorer ainsi leur santé et leur bien-être.»
Des dizaines de start-ups high tech
Chatières connectées à la puce implantée dans l’oreille du chat, gamelles high tech pour réguler les distributions de croquettes, colliers équipés de webcams ou de traceurs GPS pour ne rien rater de leurs aventures: «La technologie pousse aussi à la consommation, observe John Plassard. Grâce au web et aux smartphones, nous assistons à un développement des services et des commodités, un peu sur le modèle des services destinés aux personnes.»
Soins, transports, toilette, surveillance, sécurité, hôtels et jusqu’aux litières connectées, à 469 dollars tout de même: des dizaines de start-ups rivalisent d’ingéniosité pour séduire des clients de plus en plus soucieux du bien-être de leurs compagnons. De quoi laisser de la place à des centaines de PME et de TPE derrière des géants comme Nestlé ou Mars (Royal Canin, Whiskas, Pedigree, César), qui se partagent 80% du marché mondial des croquettes et pâtés – sans s’interdire de lorgner sur d’autres segments du marché en investissant dans de grands groupes vétérinaires, comme Anicura pour Mars ou IVC Evidensia pour Nestlé.
Marché captif
L'attachement croissant des propriétaires à leurs compagnons à poils ou à plumes, poussé peut-être par le confinement et entretenu par le télétravail qui facilite la proximité, offres aux professionnels du secteur de jolies perspectives: «La tendance à l'humanisation des animaux de compagnie fait que ces derniers sont de plus en plus considérés comme des membres de la famille à part entière, observe Oleksandr Pidlubnyy. C'est également un marché résistant, car les gens ont tendance à réduire leurs frais sur des articles plus discrétionnaires avant de réduire leurs dépenses pour leurs animaux – en particulier celles qui concernent la nourriture et la santé.»
Preuve en est que l’inflation prononcée de ces dernières années n’a guère affecté la demande. «Face à la hausse des prix, les marques et les laboratoires pharmaceutiques spécialisés réussissent à faire supporter la hausse de leurs coûts de production au consommateur final, ce qui montre la capacité de cette industrie à lui imposer ses prix», commente John Plassard.
Des hausses de prix de 80%
Pas sûr que les clients s’y retrouvent, à en croire les associations de défense des consommateurs, tant ce «pricing power» provoque de réels effets d’aubaine, les professionnels profitant de leur amour pour leurs animaux pour augmenter leurs prix de manière disproportionnée. «L’étude que nous avons menée l’année dernière nous a permis de repérer des augmentations parfois délirantes, remarque ainsi Sandra Imsand, responsable des enquêtes à la Fédération romande des consommateurs. Le pire exemple de notre enquête reste une augmentation de plus de 80% des produits Sheba sur le site Zooplus.»
Comme souvent, producteurs et distributeurs se renvoient la balle: «Le marché est dominé par quelques fabricants, ce qui leur permet en effet de peser davantage au moment de négocier leurs tarifs, précise encore Sandra Imsand. Mais les revendeurs sont libres de fixer les prix et n’hésitent pas à renforcer leurs marges en pariant sur le fait que les propriétaires préféreront payer le prix fort plutôt que de transiger sur la qualité ou de changer les habitudes de leurs animaux.»
Tout propriétaire de chat pourra de fait en témoigner, ces derniers savent parfaitement signaler leur mécontentement quand les croquettes qu’on leur sert ne leur conviennent pas. Les animaux n’ont pas fini de faire la loi, pour le plus grand bonheur des professionnels.
En collaboration avec Large Network