Ces 15 dernières années ont connu une chevauchée fantastique pour les actions, au point que pour toute caisse de pension, c’est l’actif incontournable. Depuis le rebond de 2009, qui a suivi le méga-krach de 2008, les bourses ont augmenté entre 150% pour les actions européennes et suisses, et jusqu’à 500% à 1000% pour les actions américaines (S&P et Nasdaq). Il est communément admis que la classe d’actifs la plus rémunératrice pour les investisseurs, ce sont les actions.
Un impact démesuré
Mais n’oublie-t-on pas un détail? La période 2009-2020, c’est aussi la période d’intervention la plus massive, sur les marchés financiers, par les banques centrales américaine (Fed) et européenne (BCE). Ces dernières ont acheté des milliers de milliards de titres (obligations principalement, mais aussi actions), contribuant fortement à gonfler la bourse et créant d’innombrables fortunes.
En effet, quand les banques centrales créent de l’argent pour l’injecter dans des titres boursiers, c’est comme si un gigantesque fonds d’investissement (qui n’existe pas) avait de l’appétit pour des milliers de milliards de dollars en actions. C’est donc une demande artificielle qu’ont créée les banques centrales pour faire monter les bourses.
Peu d’études ont chiffré l’impact précis de ces opérations dites d’«assouplissement monétaire», ou « QE » (quantitative easing), des banques centrales. Il y a 4 ans toutefois, la banque française Société Générale a réalisé une étude éclairante, qui montre que cet impact est démesuré. Et particulièrement sur les valeurs technologiques. En effet, ces QE, à travers l’achat massif d’obligations, font baisser les taux d’intérêt obligataires à long terme, et les investisseurs en valeurs tech sont sensibles aux taux d’intérêt car ils empruntent beaucoup pour investir.
Doper la bourse américaine
La trouvaille de SocGen, c’est qu’au moins la moitié de la hausse des indices américains entre 2009 et 2020 est due aux injections de la Réserve fédérale américaine (Fed). Cela est vrai aussi bien pour les valeurs technologiques que pour les valeurs traditionnelles cotées en bourse.
Ainsi, l’indice S&P 500 doit 44% de sa hausse aux injections de la Fed, tandis que le Nasdaq-100 doit 57% de la sienne à la Fed. « Sans le QE, le Nasdaq-100 serait plus proche des 5000 points que des 11'000 points, tandis que le S&P serait à 1’800 points plutôt que 3’300 », écrivaient les stratèges en actions Sophie Huynh et Charles De Boissezon dans une note datée de novembre 2020. Cette étude, même si elle date, nous renseigne de manière précise sur l’amplitude du gonflement des cours qu’ont provoqué les achats des banques centrales.
Sur la période étudiée par Société Générale, le bilan de la Fed est passé de 925 milliards à plus de 7000 milliards. Il a donc gonflé de 6000 milliards, qui ont servi à doper la bourse américaine. Et l’effet est visible. Sur le graphique ci-dessous, Société Générale montre le niveau du S&P 500 avec le QE (en vert), et sans le QE (en rouge) entre 2009 et 2020. Idem pour le niveau du Nasdaq-100. Ainsi, le S&P500 serait monté de 140% en 11 ans sans l’intervention de la Fed, plutôt que de monter de 340% comme il l’a fait avec l’intervention de la Fed. Quant au Nasdaq-100, il serait monté de 360% au lieu de 914%.
Les actifs ne font que grossir
Depuis cette étude de 2020, la Fed a encore grossi ses actifs de 2000 milliards (à près de 9000 milliards) avant de les réduire un peu (à 7400 milliards) depuis mai 2022. Dès lors, l’indice S&P 500 gagne +562% entre 2009 et ce jour (19 avril 2024). Quant au Nasdaq, il gagne +1500% entre 2009 et aujourd’hui. Depuis la fin du QE, les indices américains n’ont plus autant performé et font plus de yo-yo, connaissant de plus longues phases de baisse. Des hausses et des baisses : cela reflète un marché normal et non administré, car actuellement les taux d’intérêt américains sont à un niveau normal et les QE sont «en sourdine».
De même, les analystes de SocGen ont calculé que l’achat massif d’obligations à 10 ans par la Fed baissait les taux d’intérêt de ces titres de 180 points de base (1,8 points de pourcentage). La baisse des taux longs accroît l’appétit pour les actions car les investisseurs sont alors poussés à rechercher des rendements plus élevés que ceux obligataires. C’est par exemple le cas en Suisse, où les caisses de pension ont été poussées à investir davantage en actions durant la période où les rendements obligataires étaient devenus bas à négatifs.
L’analyse de l’impact des opérations de soutien au marché américain peut être transposée au marché européen. En effet, durant le même temps, le bilan de la BCE est passé de 2000 à 8500 milliards d’euros, et ce gonflement s’explique essentiellement par la création monétaire destinée à des QE afin de soutenir le marché boursier européen.
Dans le même temps, le bilan de la Banque nationale suisse est passé de 250 à près de 1000 milliards de francs suisses, mais cette création monétaire a profité, quant à elle, essentiellement à des achats de titres sur les marchés américain et européen, car dans le cas de la Suisse, l’objectif n’a pas été de soutenir la bourse helvétique, mais d’affaiblir le franc suisse. Ces 800-1000 milliards d’achats souverains helvétiques sont donc venus s’ajouter au dopage des bourses européenne et américaine par leurs propres banques centrales.
Création de plusieurs milliers de milliards
Quelles sont les implications, ou le coût, d’une politique de gonflement de la bourse à travers les planches à billets? C’est l’inflation monétaire. Plus les banques centrales créent de la monnaie artificiellement, plus la monnaie se dévalue. Comme la Fed et la BCE ont toutes deux créé plusieurs milliers de milliards, leurs monnaies se sont dévaluées de concert.
Cette dévaluation ne peut donc pas être détectée pour une de ces monnaies face à l’autre. Toutefois, c’est face à l’or que la dévaluation du dollar et de l’euro est visible: il faut 3,5 fois plus de dollars et d’euros qu’il y a 15 ans (c’est-à-dire avant les QE de la Fed et de la BCE), pour acheter la même quantité d’or aujourd’hui. Cela signifie que les investisseurs boursiers se sont enrichis deux fois plus grâce aux banques centrales… mais dans une monnaie dévaluée. S’ils avaient acheté des actions en bourse avec des pièces d’or, ils n’auraient pas gagné autant que ce qu’ils ont gagné dans leurs monnaies, mais c’est parce que celles-ci se dévaluent.
Pour connaître le véritable enrichissement réel réalisé en bourse ces 15 dernières années, il faudrait donc déduire l’inflation, c’est-à-dire la part due aux banques centrale et son effet en termes de dévaluation monétaire. De même, le franc suisse se dévalue face à l’or depuis la création monétaire de la BNS (qui a commencé en 2007) et qui visait à faire baisser le franc. Il faut aujourd’hui 2 fois plus de francs qu’il y a 15 ans, et 4 fois plus de francs qu’il y a 20 ans, pour acheter la même quantité d’or.