Longtemps, «endettement» rimait peu avec «suisse». Les Helvètes sont en effet réputés pour être une population d’épargnants prudents. Mais ces dernières années, les situations d’endettement personnel ont connu une hausse en Suisse. Un résident suisse sur quatre aurait déjà été confronté aux poursuites, selon un récent communiqué du PS genevois.
«L’augmentation constante et importante du nombre de poursuites montre que l’endettement est un phénomène particulièrement préoccupant en Suisse», souligne Tristan Coste, collaborateur scientifique à la Haute école de travail social et de la santé Lausanne (HETSL). Il fait partie d’une équipe de recherche, menée par la professeure Caroline Henchoz, qui étudie le lien entre endettement et santé. «Le contexte d’inflation et de hausse généralisée des prix ainsi que la hausse constante des primes d’assurance-maladie sont des facteurs significatifs d’endettement pour les individus et les ménages», poursuit le chercheur.
«Les jeunes sont particulièrement exposés à l’endettement»
Plus d’une personne sur huit (11,6 % de la population) vit dans un ménage comptant au moins un arriéré de paiement, selon l’Office fédéral de la statistique. Les personnes à faible revenu, celles issues de l’immigration, et les familles monoparentales sont plus touchées que la moyenne. Les causes du surendettement sont d’abord un revenu insuffisant: 86 % des personnes qui consultent pour des problèmes de dettes gagnent moins que le salaire médian suisse, situé à 6ʼ665 francs. Leur revenu médian est de 4350 francs, selon le site Dettes Conseils Suisse, qui se base sur un échantillon de 5000 données.
Les accidents de la vie, tels le divorce ou la maladie, peuvent aussi déclencher une véritable spirale d’endettement. En outre, citons la précarité qui découle de la consommation à crédit chez les jeunes, devenus la première cible des publicitaires sur les réseaux sociaux. Un tiers des jeunes entre 18 et 25 ans ont des découverts allant de quelques centaines à plusieurs milliers de francs, et 80% des adultes surendettés contractent leurs premiers emprunts avant 25 ans, selon Intrum Justicia.
«Les jeunes sont particulièrement exposés à l’endettement», confirme Tristan Coste, qui avait précédemment participé à une recherche HETSL sur les effets des dettes sur les jeunes. Avant d'ajouter: «Ils doivent faire face à plusieurs événements de vie qui peuvent déséquilibrer leur situation financière, comme le départ du foyer parental, les difficultés d’insertion socioprofessionnelle et le risque de chômage, la mise en couple et l’arrivée d’un enfant. De plus, ils disposent également d’une épargne moindre que leurs aînés pour amortir les chocs financiers.»
Qui dit endettement, dit risque de mise aux poursuites par les créanciers, ce qui va rendre la recherche de logement et d’emploi plus difficile, surtout si les poursuites payées n’ont pas été radiées du registre, ce arrive fréquemment et crée un lourd stigmate. Ce qui a poussé le PS genevois à déposer un texte au niveau cantonal pour exiger une radiation automatique des poursuites payées, sans que le débiteur ne doive entreprendre des démarches coûteuses.
Jongler entre les factures
À terme, la spirale de la dette peut entraîner une saisie de salaire et une réduction du revenu au minimum vital. Avec, pour corollaire, des problèmes de santé, liés au stress causé par ces circonstances. Un coût additionnel pour la société. «Il y a un lien fort entre dettes et santé, explique Tristan Coste. Les résultats de notre étude montrent qu’en Suisse les personnes endettées souffrent de plus d’anxiété, de dépression, d’insatisfaction et d’insomnie que les personnes non endettées, et que cet effet négatif augmente si la situation perdure.»
Pour payer leur dû, les personnes surendettées vont constamment jongler entre différentes factures et vont notamment réduire leur alimentation, ou la qualité de celle-ci, renoncer à des consultations médicales et à des soins, avec des répercussions à moyen-long terme, poursuit le chercheur. Le renoncement se fait aussi au niveau des dépenses de santé. À commencer par les soins dentaires, non couverts par l’assurance de base. «Rappelons aussi qu’en Suisse en 2024, les assurés en retard de paiement des primes maladie voient leur accès aux soins limité, dans plusieurs cantons, aux seuls traitements urgents.»
Au niveau des solutions, le constat est dur. «En Suisse, lorsque des dettes débouchent sur des poursuites et des actes de défaut de biens, il est quasiment impossible pour les individus dont le revenu est limité de pouvoir s’en sortir», constate Tristan Coste.
Quelles sont les solutions face à l'endettement?
Ce que confirme le rapport 2022 de Dettes Conseils Suisse, association faîtière regroupant 41 services d’aide au désendettement, présidée par la députée verte Céline Vara. «Trouver une solution face à l’endettement n’est pas si simple en Suisse», déplore le rapport. Si l’on fait l’objet d’une saisie, on touche le minimum vital, mais ce dernier ne prend pas en compte les impôts ou les contributions pour enfants majeurs en formation.
En outre, «il faut pouvoir s’acquitter au préalable de ses primes d’assurance-maladie et en montrer la preuve avant qu’elles ne soient déduites du calcul du minimum vital», comme l’expliquent les Centres sociaux protestants (CSP). Aux arriérés fiscaux et sanitaires s’ajoutent les nombreux retards dans l’octroi des bourses d’études ou des subsides d’assurance-maladie, selon les CSP.
Autre obstacle, l’accès à la faillite privée a été rendu impossible pour de nombreux cas concernés par la jurisprudence du Tribunal fédéral, selon le site Dettes Conseils Suisse. Face à cela, une motion fédérale déposée par le PS propose de faciliter l’accès à la procédure de faillite personnelle, mais c’est encore au stade de projet.
Les autres procédures d’assainissement prévues par la Loi sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP) comportent aussi trop d’obstacles, ajoute le site spécialisé. «Il en résulte que de nombreuses personnes endettées restent prisonnières de leur dette à vie, sans perspective d’avenir.» Au final, montre le rapport précité, une grande partie de ces dettes privées finissent à la charge de la collectivité, en l’occurrence des cantons. «Outre les impôts impayés, s’ajoutent les primes d’assurance maladie et d’autres dettes que les cantons doivent assumer de par la loi.»
En plus d’être un enjeu financier, «l’endettement est aussi un enjeu de santé publique», souligne Tristan Coste. «Il serait dès lors important que notre pays se dote, à l’instar de la majorité de ses voisins, de mesures au niveau national pour faciliter la sortie du surendettement.»
Une solution pertinente selon lui serait de modifier la LP pour permettre davantage de possibilités d’assainissement des dettes. D’une part, après quatre ans d’efforts financiers soutenus, «les personnes concernées pourraient voir leurs dettes restantes annulées». D’autre part, il s’agirait de raccourcir la période afin de préserver la santé des personnes endettées et d’améliorer leurs chances d’aller au terme de la procédure. «C’est pourquoi nous recommandons, à l’instar des spécialistes en matière de désendettement, d’abaisser la durée de 4 à 3 ans.» Un soulagement qui profiterait, in fine, aussi aux contribuables.