Face au renchérissement, la Suisse romande souffre. Environ la moitié de la population vivote et peut mettre moins de 100 francs de côté chaque mois, révélait ce jeudi notre sondage représentatif, réalisé avec M.I.S Trend. Parmi lesquels près 20% avouent puiser dans ses économies ou emprunter chaque mois. D'autres sont déjà asphyxiés par une immense ardoise depuis huit ans, comme ce Neuchâtelois, passé d'un salaire à six chiffres à des pensées suicidaires à cause de ses dettes, dont le puissant témoignage a secoué les plateformes de Blick, ce vendredi.
Cet automne, le Parlement pourrait accepter une procédure permettant d’effacer les arriérés des personnes surendettées, voulue par le Conseil fédéral. Sous la Coupole fédérale, une femme soutient ce projet depuis ses balbutiements: la conseillère aux États Céline Vara. Logique: l'écologiste neuchâteloise, candidate à sa réélection, est aussi présidente — depuis 2020 — de Dettes Conseils Suisse, la faîtière des associations d'utilité publique spécialistes du désendettement.
La trentenaire souligne que la plupart des gens se retrouvent dans pareille situation après un épisode de vie difficile, comme un divorce. La Verte balaie le cliché des gestionnaires à la petite semaine ou des toxicomanes incapables de tenir un budget. En clair: ça peut arriver à n'importe qui. «Une fois qu'on est surendetté, on vit comme dans une prison», avertit la sénatrice.
Est-ce pour autant à la société de casquer pour les erreurs des autres? Pourquoi ce combat? Comment désendette-t-on ses clients, lorsqu'on est avocate? Pourquoi les impôts deviennent si vite un problème? Combien faudrait-il avoir sur son compte d'épargne pour éviter le plongeon dans les abysses en cas de coup dur? Interview aussi personnelle que politique.
Céline Vara, avez-vous déjà été touchée par le surendettement?
Par chance, je n'ai jamais été dans l'impossibilité de payer mes charges à cause de dettes. Mais je viens d'une famille très modeste, où on devait compter chaque franc. Chaque fin de mois, c'était vraiment la fin du mois. Dès qu'il y avait un imprévu — des frais dentaires ou autre, c'était très problématique.
Vous êtes mieux lotie aujourd'hui...
J'ai bénéficié d'une bourse pour aller à l'université. Sinon, je n'aurais pas pu devenir avocate. J'ai bénéficié, pendant longtemps, de subsides pour l'assurance maladie. J'ai toujours été très sensible à la cause de celles et ceux qui gagnent peu. Le salaire minimum dans le canton de Neuchâtel, c'est moins de 4000 francs par mois. On ne peut plus vivre comme ça.
Vos premiers contacts avec le surendettement, c'était dans le cadre de votre travail d'avocate?
Oui. En tant qu'avocate, j'ai accepté beaucoup de curatelles. Souvent, il fallait désendetter les gens. Parfois, c'étaient des familles qui devaient faire face à des moments de chômage ou de séparation. Il y avait aussi des anciens toxicomanes.
Comment on s'y prend pour «désendetter les gens»?
Il faut prendre contact avec les créanciers, négocier avec, il faut engager des procédures... Généralement, on arrive à s'entendre. Mais c'est compliqué! Je l'ai fait pendant dix ans, en tout cas.
Quelles sont les sources principales du surendettement?
D'abord, la séparation ou le divorce. On se retrouve avec deux familles monoparentales, avec deux loyers plutôt qu'un. Mais il y a aussi toutes les problématiques liées à la santé. Un accident, par exemple, qui nous met dans l'incapacité à réaliser un gain, pendant que les assurances sociales tardent à réagir. On peut aussi nommer le chômage, où on touche soudain 20 à 30% de moins chaque mois.
Quid des impôts?
En situation de surendettement, ces factures-là sont les premières qu'on ne paie pas. À tort.
À tort, vraiment?
Les gens font un calcul à court terme. Ils se disent que s'ils ne paient pas leurs impôts, il n'y a pas de conséquence directe. C'est une erreur: les taux d'intérêt sur les montants — déjà élevés à la base — en retard peuvent être très élevés, selon les cantons. C'est le début d'un cercle vicieux et les effets peuvent être dramatiques. Le conseil, c'est d'aller voir le plus vite possible — et dès les premiers soucis — des professionnels du surendettement, comme le Centre social protestant ou Caritas.
Un cercle vicieux?
Une fois qu'on est surendetté, on doit faire face à des saisies de salaire, dans le but de rembourser les créanciers. Or, les impôts ne sont malheureusement pas compris dans le minimum vital qui subsiste après ce genre de procédure. Il devient impossible de revenir à meilleure fortune parce qu'on vous prend l'argent qui pourrait vous servir à payer vos impôts. Vous accumulez donc les impayés d'impôts, et ainsi de suite.
Ça paraît absurde.
C'est purement politique. La droite au pouvoir n'a pas voulu privilégier le créancier public par rapport au créancier privé. Mais en réalité, on n'a pas le choix de payer des impôts, donc ils devraient être pris en compte dans le calcul du minimum vital.
Pourquoi la Suisse n'a-t-elle pas de procédure permettant de faire annuler ses dettes?
C'est une question de mentalité. Aux États-Unis, si vous n'avez pas fait faillite trois fois, vous êtes un loser. En Suisse, si vous avez fait faillite une seule fois, vous êtes mis au ban. En Suisse, on paie ce qu'on doit. Et quand les gens ne paient pas, on part du principe, à tort, que ce sont de mauvais payeurs, des malhonnêtes. C'est faux: les trois quarts du temps, les gens sont dans ces situations pour des raisons indépendantes de leur volonté!
Aujourd'hui, les feux sont en train de passer au vert pour ladite procédure.
La consultation est terminée. Vingt-quatre cantons y ont répondu favorablement. Deux n'ont pas répondu du tout. Tous les partis y sont favorables, sauf l'UDC (ndlr: Union démocratique du centre). Je suis très optimiste. Tout le monde s'accorde pour dire que ça ne va pas.
Y compris les milieux économiques, donc.
Oui, parce qu'ils voient bien que quelqu'un de surendetté est un consommateur de moins, qui coûte à l'Etat et à ses institutions. À tout point de vue, c'est un coût pour la société et l'économie. Et puis, il y a un autre élément, extrêmement important.
Lequel?
Le coût humain. Ces gens sont détruits. Ils tombent malades. Quand vous n'avez plus aucune perspective, qu'on vous dit que votre salaire sera saisi toute votre vie, vous vous demandez à quoi ça sert de travailler. Pire, le surendettement se transmet comme un héritage comportemental. Quand vos parents sont surendettés, vos risques de le devenir sont malheureusement plus élevés.
Pourquoi?
C'est un exemple qu'on suit. Mais pas seulement. Par exemple, jusqu'en janvier 2023, si les parents ne payaient pas les primes d'assurance maladie de leurs enfants, ce sont les enfants qui héritaient des dettes à leurs 18 ans.
Revenons au probable futur changement de loi. Est-ce vraiment une bonne idée de déresponsabiliser les gens en leur disant que l'Etat épongera leurs dettes en cas de surendettement?
Pour pouvoir bénéficier de cette nouvelle procédure, il faudra remplir certaines conditions. Et ce sera un parcours très exigeant. Il y a notamment un certain nombre d'années de pénitence — la Confédération en propose quatre, nous aimerions descendre à trois, comme en Allemagne — durant lesquelles on va vous saisir au maximum.
N’y aurait-il pas d’autres solutions?
Dettes Conseils Suisse fait de la prévention structurelle. Aujourd'hui, tout est compliqué. On pourrait simplifier toutes les procédures administratives. Par exemple, il y a beaucoup de femmes seules qui arrivent à la retraite, qui n'ont pas assez pour vivre, qui auraient droit aux prestations complémentaires, mais qui ne savent pas qu'elles peuvent les demander. Qui ne savent pas comment les demander. Ou alors, par exemple, en cas d'augmentation de loyer, les gens ne savent pas comment faire pour s'y opposer ou vers qui se tourner.
Quid des jeunes?
La Confédération et les cantons font déjà tout un travail auprès des jeunes pour lutter contre la tentation de contracter des petits crédits. Ce qui dénote un autre problème. Celui de la présence agressive de sociétés de crédit qui pratiquent des taux exorbitants. C'est très problématique de viser les jeunes, et contraire à l'intérêt public. Une fois qu'on est surendetté, on vit comme dans une prison.
Sans exagérer?
C'est hyper stigmatisant et hyper dur à vivre. C'est par exemple très difficile de trouver un appartement quand on a des dettes. Vous êtes limité pour tout. Et c'est aussi terrible pour les enfants. Pour un enfant de moins de 10 ans, on vous laisse 400 francs. Pour l'habiller, pour le nourrir… Donc quand il faut payer 120 ou 150 francs pour un camp, ce n'est pas possible. C'est une détresse, une précarité énorme. Pour toutes les personnes que j'ai accompagnées, le moment où on arrive à faire cesser les saisies de salaire est vécu comme une libération.
Combien faudrait-il avoir sur un compte d'épargne pour pouvoir faire face à un événement exceptionnel et éviter de tomber dans les dettes?
Au minimum, le montant de sa franchise d'assurance maladie. Mais il faudrait avoir au moins 4000 à 5000 francs de côté en cas de coup dur.
En cette période d'inflation, vous avez l'impression qu'on prend le chemin d'une explosion du surendettement?
Nous avons constaté que le taux de surendettement n'a pas augmenté durant la pandémie. Mais aujourd'hui, tout augmente, sauf les salaires. Des mesures fortes doivent être prises et on doit trouver des accords avec les propriétaires, qui pourraient renoncer à des hausses de loyer parce que leurs marges sont déjà bien assez grandes, et avec les entreprises, qui pourraient augmenter les salaires. Si aucun effort n'est fait du côté de ceux qui ont l'argent, ça va mal se passer. On pourrait craindre une sorte de révolte.
Vous pesez vos mots?
On ne peut pas simplement constater la misère des autres et ne rien faire. À un moment donné, les gens vont sortir dans la rue. Est-ce qu'il pourrait y avoir des affrontements? Je ne l'espère pas. J'espère que dans le pays du contrat social, on saura trouver d'autres solutions. Mais les gens sont à bout. Ce n'est plus possible.
Avant toute chose, posons les bases. «On parle de surendettement lorsque quelqu'un ne peut pas rembourser ses dettes dans un avenir prévisible», explique Pascal Pfister, secrétaire général de Dettes Conseils Suisse (CDS).
Combien de personnes sont-elles concernées? «Personne ne sait exactement», déplore-t-il, dans un e-mail adressé à Blick. Selon l'Office fédéral de la statistique, 15% des ménages fait face à des retards de paiement. L'agence de crédit CRIF calcule un surendettement à 6,4%. Le canton de Neuchâtel est le plus touché (10,5%), suivi de Genève (9,9%).
«Les personnes demandant des conseils ont plus de la moitié de leurs dettes envers lʼÉtat», relève Pascal Pfister, qui se base sur les statistiques 2022 de CDS. Plus de trois quarts d'entre elles ont des arriérés d'impôts et 59% doivent de l'argent à leur assurance maladie.
Les coûts totaux pour la société n'ont jamais été calculé, déplore notre interlocuteur. Mais, un cas en Suisse alémanique, 250'000 francs de dettes ont engendré une charge de 2 millions, assumés en grande partie par les contribuables.
Avant toute chose, posons les bases. «On parle de surendettement lorsque quelqu'un ne peut pas rembourser ses dettes dans un avenir prévisible», explique Pascal Pfister, secrétaire général de Dettes Conseils Suisse (CDS).
Combien de personnes sont-elles concernées? «Personne ne sait exactement», déplore-t-il, dans un e-mail adressé à Blick. Selon l'Office fédéral de la statistique, 15% des ménages fait face à des retards de paiement. L'agence de crédit CRIF calcule un surendettement à 6,4%. Le canton de Neuchâtel est le plus touché (10,5%), suivi de Genève (9,9%).
«Les personnes demandant des conseils ont plus de la moitié de leurs dettes envers lʼÉtat», relève Pascal Pfister, qui se base sur les statistiques 2022 de CDS. Plus de trois quarts d'entre elles ont des arriérés d'impôts et 59% doivent de l'argent à leur assurance maladie.
Les coûts totaux pour la société n'ont jamais été calculé, déplore notre interlocuteur. Mais, un cas en Suisse alémanique, 250'000 francs de dettes ont engendré une charge de 2 millions, assumés en grande partie par les contribuables.