En Suisse repose un immense tapis tissé de fil d'or. Dessous, on y met les pauvres. Les 150'000 working poor et leurs familles s'y planquent volontairement: c'est quand même la honte de ne pas pouvoir joindre les deux bouts alors qu'on est exploité à longueur d'année.
Le tapis géant est un coup de génie. Il étouffe les cris et autorise les autorités bourgeoises à regarder ailleurs, vers les salons feutrés des élites économiques vivant des richesses – toujours plus grandes — créées par les classes populaires. Ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire, ne rien faire. Plus pour longtemps. Le tapis n'est plus assez grand.
La moitié de la population romande creuse dans ses économies, dépense ce qu'elle gagne ou se contente de mettre 100 balles dans une vieille chaussette chaque mois, révèle notre sondage représentatif, réalisé avec M.I.S Trend. Ces 48% vivotent. L'inflation, elle, virevolte.
Combien de temps avant la révolte?
Combien de temps avant que monsieur et madame Tout-le-monde aient vidé leurs bas de laine? Combien de temps avant que le Conseil fédéral et le Parlement, désavoué dans cette crise du pouvoir d'achat par 90% des Romandes et Romands, ne prennent leurs responsabilités et agissent?
Combien de temps avant que les Chambres forcent les entreprises qui saucent leurs actionnaires et thésaurisent à augmenter les salaires réels? Combien de temps avant que les élues et élus fassent baisser les loyers, trouvent des solutions pour plafonner les prix des produits alimentaires, baissent ceux des transports publics, répartissent enfin les richesses? Combien de temps avant la révolte?
Les résultats de notre sondage
La paix sociale est morte. Pour 1001 raisons. Exemple: en 2023, les patrons des 37 plus grosses boîtes du pays gagnent en moyenne 139 fois plus que leurs larbins les moins payés, selon une étude du syndicat Unia. Indécence.
Un tapis volant, et vite!
En 1918, la grève générale s'était achevée en même temps que la vie de trois ouvriers, tués à Granges (SO) d'une balle dans le dos par l'armée, toujours là pour défendre l'ordre établi et le libéralisme. La droite au pouvoir avait su acheter un retour au calme en faisant de vraies concessions: la semaine de 48 heures (!), la création de l'AVS — qui entrera en vigueur 30 ans plus tard... — et la mise en place d'un système électoral à la proportionnelle.
Comme en 1918, la Suisse ne peut plus cacher ses (nouveaux) pauvres et ne cajoler que ses riches à coups de cadeaux fiscaux ou de sauvetage de grandes banques. Les autorités bourgeoises vont à nouveau devoir mettre beaucoup d'eau dans leur grand cru.
Il y a bien longtemps que le peuple, dont plus de la moitié ne croit plus en ce système démocratique malade, a cessé de faire des vœux en frottant sa lampe magique. Mais il est temps de lui offrir un immense tapis volant.