Contrairement au revenu, l'évolution de l'inégalité de la fortune est difficile à mesurer en Suisse. En effet, les avoirs des caisses de pension ne sont pas imposables et n'apparaissent pas dans les statistiques officielles. Et ce n'est pas rien: au total, 1200 milliards de francs dorment dans la prévoyance privée.
En revanche, l'ampleur de la croissance globale du gâteau est bien documentée. Selon les données de la Banque nationale suisse (BNS), la fortune totale de tous les ménages privés est passée de 2400 à 5500 milliards de francs en 20 ans, dont plus de 2500 milliards dans des maisons et des appartements. Si l'on déduit les dettes d'environ 1000 milliards, on obtient une fortune nette de 4500 milliards.
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Les fortunes suisses sont inégalement réparties
Ce chiffre ne dit toutefois rien sur la répartition, ni sur le fait que la classe moyenne se porte mieux ou moins bien. Mais différentes estimations montrent clairement que les fortunes en Suisse sont très inégalement réparties en comparaison internationale et que la concentration de la fortune a augmenté au cours des 15 dernières années.
La grande inégalité des fortunes s'exprime par exemple dans le «Wealth Report» de l'UBS (anciennement Credit Suisse). Le rapport en question atteste que la Suisse possède la fortune la plus élevée au monde par habitant, soit 685'230 dollars. Mais pour la fortune médiane, c'est-à-dire exactement le Centre de la distribution, elle n'arrive qu'en sixième position, avec 170'000 dollars.
Dans un tel cas, les statisticiens parlent d'une distribution biaisée vers la droite, dans laquelle de nombreuses valeurs petites et moyennes s'opposent à quelques valeurs extrêmement élevées qui tirent la moyenne arithmétique vers le haut.
Il est toutefois réjouissant pour la classe moyenne de constater que, toujours selon le rapport, la fortune médiane a presque triplé depuis l'an 2000. D'une manière générale, l'inégalité de répartition a légèrement diminué dans le jeu de données de l'UBS, selon des indicateurs courants comme le coefficient de Gini.
La part de la fortune des plus riches a augmenté
En ce qui concerne la fortune nette déclarée, c'est-à-dire ce que l'administration fiscale compte comme fortune imposable après toutes les déductions, la situation est par ailleurs différente. Les données de l'administration fiscale montrent que la part de fortune des 1% les plus riches est passée de 38% en 2005 à 44,8% en 2020.
Les 10% les plus riches détiennent 77,8% de la fortune totale. En 2020, on comptait 374 000 millionnaires (environ 6% des contribuables), soit plus de trois fois plus qu'en 1997, où leur part était de 3%.
Parallèlement, la part des personnes physiques qui n'ont rien de côté a baissé de 30 à 22%. Au Centre, les choses ont relativement peu changé. En 2020, près de 50% avaient une fortune supérieure à 50'000. En 1997, cette proportion était de 40%.
La classe moyenne ne s'appauvrit pas
Alors que la Suisse se situe dans la moyenne en ce qui concerne la répartition des revenus, la concentration de la fortune dans le haut de la distribution a pris une ampleur similaire à celle d'autres sociétés inégalitaires, comme les États-Unis, et ce bien que la Suisse soit l'un des rares pays à connaître un impôt sur la fortune.
La raison de cette situation fait désormais l'objet de recherches. Une partie de la concentration de la fortune pourrait être liée à l'arrivée d'étrangers riches. Selon les chercheurs de l'Institut de politique économique suisse (IWP) de l'Université de Lucerne, l'augmentation de l'inégalité de la fortune s'explique principalement par les gains comptables sur le marché des capitaux et par la hausse des prix de l'immobilier.
Il n'est toutefois pas prouvé que la classe moyenne s'appauvrit pour autant. Au contraire, la plupart d'entre elles ont profité de la hausse des prix de l'immobilier et des cours des actions, si ce n'est dans leur fortune privée déclarée, alors dans leur caisse de pension.