«C’est vous que je ramène en voiture?», nous demande Pierre-Yves Maillard, à son arrivée au Stamm du Parti socialiste (PS), à Berne. L’avant-veille, nous avions convenu d’une interview dans un lieu peu commun: l’habitacle de la Fiat Tipo du conseiller aux États vaudois. L’homme étant très courtisé, nous avions pu négocier un retour Berne - Renens, l’aller étant réservé aux journalistes de «Temps Présent».
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Mais à peine avons-nous le temps d’articuler un petit «oui» qu’il se fait happer par une journaliste de la Radio Télévision Suisse (RTS). Face caméra, l’influent patron de l’Union syndicale suisse (USS) doit faire contre mauvaise fortune bon cœur. À 13h, et même si les résultats définitifs ne sont pas encore tombés (l’initiative sera rejetée à 55.5%), les carottes sont cuites pour l’initiative du PS visant à limiter les primes maladie à 10% du revenu disponible des ménages. Un texte que le sénateur a lui-même contribué à lancer.
Au micro de la RTS, la voie éraillée — «les séquelles d’une bronchite», précise-t-il — la figure du parti à la rose reconnaît la défaite tout en soulignant le «oui» réjouissant des Romands, confirmation selon lui de la pertinence du système de plafonnement des primes, un modèle introduit en 2019 déjà dans le canton de Vaud.
Et même si l’ambiance au Stamm n’est pas, disons-le, à la franche bamboche, la lumière de celui qui a été désigné homme le plus puissant de 2024 par Blick continue de briller. En témoigne le ballet de journalistes qui se succèdent pour obtenir des réactions de «l’ami public numéro un» qui répond avec sa verve habituelle. Des entretiens qu’il enchaîne sans sourciller, en français et en allemand, durant plus d’une heure et demie.
On le retrouve à un coin de table. Le temps d’engloutir un plat de fusilli, de répondre encore à quelques questions et nous voilà sur le chemin pour rejoindre son véhicule, garé à une centaine de mètres du quartier général du jour. Un road trip qui ne prendra pas les allures de descente du Mont Olympe.
Road trip avec PYM
«Je vous avais prévenue que l’angle optimiste de votre papier — PYM a encore frappé — ne se réaliserait pas. Je me trompe assez peu dans les pronostics lorsque je les pressens négatifs. J’ai bien senti que la campagne ne prenait pas en Suisse alémanique. Et c’est rare qu’on soit surpris le dimanche… » Il poursuit: «L’argument des opposants qui consistait à dire que puisque la Confédération allait payer davantage, ce seraient aux cantons avec les primes plus basses de payer pour ceux avec des primes plus hautes, a manifestement porté ses fruits.»
Les portières claquent. Il soupire. «L’avantage des défaites, c’est que les dimanches de votation durent moins longtemps.» Et de confier que lors de la victoire historique de la gauche, le 3 mars dernier, sur la 13e rente AVS, le planning était autrement plus chargé. «Je n’avais pas arrêté une minute. J’avais répondu à des interviews de midi à 20h. La pression est énorme. J’ai fini sur les rotules», dit-il en sillonnant tranquillement les rues de la Berne fédérale.
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S’il concède être déçu du résultat, il en faut plus pour abattre ce vieux briscard de la politique. «Vous savez, en 30 ans de politique, j’ai appris à perdre lors de votations nationales. Je suis triste pour les gens qui ont besoin de cette mesure, mais le contre-projet impose aux cantons de fixer un plafond dans les trois ans. On devrait arriver à plafonner à 10% dans les cantons qui ont voté oui aujourd’hui.»
L'échec le plus douloureux? L'AVS 21
Alors, quel a été l’échec le plus douloureux de sa carrière? Il réfléchit, s’engage sur l’autoroute et finit par trancher: «L’AVS 21 (ndlr: en septembre 2022, la réforme des retraites, avec la hausse de l’âge de la retraite des femmes de 64 à 65 ans, avait basculé du côté du «oui», à 50,6% des voix seulement). Je ne m’attendais pas à un résultat aussi serré. Dans la dernière ligne droite, nous avions hésité à mettre davantage d’annonces. Mais tous les sondages indiquaient que c’était cuit, on a donc renoncé.»
Il marque une pause: «On croit, à tort, qu’il ne passe plus rien les derniers jours précédant une votation. Or, beaucoup de gens se rendent aux bureaux de vote le dimanche. Il nous a manqué que 30'000 voix. Je m’en suis voulu.»
La déception aura été de courte durée. Le 3 mars 2024, la gauche et les syndicats emmenés par Pierre-Yves Maillard triomphaient avec leur initiative pour améliorer le pouvoir d’achat des seniors. Une victoire historique et peut-être aussi une revanche pour celui qui avait échoué aux portes du Conseil fédéral en 2011, face à son collègue de parti Alain Berset? Finalement, n’a-t-il pas plus de pouvoir à l’extérieur qu’à l’intérieur du collège?
Il acquiesce: «C’est certain. Sur le thème de la retraite, on peut faire plus en étant hors du Conseil fédéral…» Et de rappeler l’importance du collectif, ne voulant pas tirer la couverture à lui seul. «La politique est un travail d’équipe, un mouvement collectif comme dans le syndicat. Je me sens comme un équipier.»
On insiste. Il est tout de même la locomotive de ce collectif, non? Pirouette de l’intéressé. «C’est comme au football. Chacun a son rôle, certains sont plus leaders que d’autres, certains œuvrent dans l’ombre. Je prends ma part de leadership, mais je sais aussi que si je suis seul face à l’équipe adverse, je prends 40 à 0.»
Terminus à Renens
Arrivés à Renens, on fait les comptes. 2024 devait être l’année de celui qui donne dorénavant le ton de la politique. À mi-course, le puissant président de l'USS compte une victoire et une défaite. En septembre, on votera sur le référendum qu’il a lancé contre la réforme des caisses de pension.
Et l’objectif est clair: gagner. «Nos chances sont intactes. Il s’agit d’un référendum, donc le fardeau de la preuve repose sur les partisans. Ils auront bien de la peine à expliquer qu’il faut encore une fois baisser les rentes LPP alors que le capital du deuxième pilier a plus que doublé ces vingt dernières années… Ce ne sera pas simple, mais ils auront de grands moyens. » Et ils peuvent compter sur un «PYM» qui ne lâchera pas le morceau.