Au bar Le Coq d'Or, près de la gare de Bassecourt dans le Jura, les anecdotes parfois graveleuses fusent. «C'était l'Marco», lâche un habitué, sourire en coin et clope au bec bien qu'accoudé au bar. «C'était l'Müller», lui répond son camarade d'apéro, un facteur à la retraite qui tend à en dire un peu trop.
Depuis quelques jours, le nom de Marco Müller est revenu sur les lèvres de plusieurs générations de Patas — le gentilé des habitants du village situé entre Delémont et Porrentruy. Mercredi 20 mars, le «Quotidien Jurassien» annonçait le décès sur les rails CFF du criminel le plus fameux du Jura, ancien footballeur décrit dans les années 1980 par Blick comme «le braqueur de banque le plus dangereux de Suisse».
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Jeudi, Blick avait déjà partagé les témoignages d'un ancien banquier victime d'un cambriolage en 1979 et d'un ex-complice du hors-la-loi, qui a purgé sa peine de prison, contrairement à son ami décédé. Voici maintenant le récit de notre après-midi sur les lieux des nombreuses «vacheries», «conneries» et autres «fantaisies» du regretté Marco Müller, à coups de «on-dit».
Téméraire, bon-vivant et sanguin
«C'était un bon vivant qui n'avait peur de rien, mais qui savait faire peur aux autres», se souviennent les deux piliers de bar au sujet de l'homme qu'ils décrivent comme un «sanguin». Avant de nous diriger vers quelques personnes qui sauront nous renseigner, ils nous alertent. Il existerait une «omerta» autour du braqueur de banque et le sujet n'est pas à aborder avec tout le monde. Mais voilà. Quand une personnalité meurt, les langues se délient.
Par un concours de circonstances, nous avons été invités chez un vieil ami de Marco Müller, qui souhaite rester anonyme. Contemporain du criminel, il a fait toutes ses classes avec le défunt, en plus d'avoir longtemps joué au foot avec l'ancien professionnel. Le septuagénaire avoue avoir fait, adolescent, «les 400 coups» avec son «farceur» de pote qui «traversait le village entier en laissant deux roues sur le trottoir».
Et il nous informe d'un détail déjà évoqué en partie par le «Quotidien Jurassien» sur la fin des espoirs footballistiques de Marco Müller: «À l'époque, aux Young Boys, les joueurs étaient obligés d'avoir un travail à côté. Lui, était maçon. Sur un chantier, il a fait le pari avec des ouvriers de survivre à un saut du cinquième étage. À l'atterrissage, il s'est évidemment cassé le talon, signant ainsi la fin de sa carrière sportive.»
Molosse lâché sur un attaquant
C'est con. Mais Marco Müller était comme ça: une tête brûlée. «Il pouvait changer d'humeur d'un coup, se souvient notre témoin. Je me suis demandé s'il n'était pas un peu bipolaire.» Il se remémore: «L'Marco Müller était au bord du terrain, lors d'un match du FC Bassecourt. Il a vu l'attaquant adverse partir seul au but. Et d'un coup, il a lâché son molosse! Le cabot a fait tellement peur au joueur qu'il n'a pas pu marquer.» Et de conclure cette anecdote confirmée par d'autres: «C'était l'Marco...»
Au fil des discussions, on prend connaissance des endroits que le fuyard aurait pu visiter durant sa cavale: Belgique, Espagne, Tunisie, Turquie. «J'ai su qu'il avait été arrêté à Marseille, dénoncé par la pègre à son retour d'Afrique du Nord», renseigne l'ami d'enfance. Mais malgré cette proximité passée, le contact s'est perdu: «Jamais une lettre, jamais un appel. Une fois qu'il s'est mis à cambrioler, on ne l'a jamais revu. Et si je l'avais revu, je n'aurais rien dit.»
Les rumeurs de son retour au village durant sa cavale sont légion. Le «Quotidien Jurassien» le relate notamment dans son édition du 20 mars: le brigand serait notamment revenu au carnaval du coin tous les ans. «Quand ses parents sont décédés, il y avait des dizaines de flics à l'enterrement», se souvient un des deux habitués du bar. Les suppositions surgissent, mais l'histoire ne dit pas si Marco Müller s'est rendu à la cérémonie grimé… ou après «une chirurgie esthétique».
Un banquier marqué à vie
Car le cambrioleur aimait les déguisements, comme nous l'a raconté le banquier Yves Girard, rencontré alors qu'il prenait le soleil devant son appartement. Cette ancienne victime de Marco Müller tenait la Banque cantonale bernoise de Bassecourt en 1979. Cette année-là, le braqueur, armé de bâtons de dynamite, était reparti avec 36'000 francs.
«Je suis sûr qu'il est revenu de temps en temps à Bassecourt, qu'il avait un pied-à-terre dans le coin», assure cet anticonformiste qui a aussi exercé comme bistrotier, élu local et marchand de combustible. Mais au sujet de Marco Müller, l'ex-banquier prévient: «Il ne faut pas en faire une vedette». Longtemps traumatisé par son expérience, il avoue être «allé travailler tous les jours à la banque, armé d'un Smith & Wesson», pendant un mois après le hold-up.
Le gestionnaire de fortune retraité, qui connaissait Marco Müller enfant pour s'être «souvent battu» avec lui sur le chemin de l'école, rompt avec la théorie d'un «Robin des Bois» non-violent. «On a toujours dit qu'il n'avait jamais tiré sur personne. Mais le jour où il s'est fait arrêter dans la forêt au-dessus de Develier, il a bien essayé de tirer sur un policier. Heureusement, son arme était enrayée.» D'autres habitants nous ont aussi confié ce cas de violence, évitée par chance.
Quant à sa mort tragique, de retour dans le village qui l'a vu grandir et devenir hors-la-loi? «Pour moi, c’est soit il était malade et il s’est senti condamné, soit il n’avait plus d’argent et avait passé l’âge de faire ce qu’il faisait pour en gagner, suppose l'ex-banquier. Il faut dire que la cavale, ça coûte plus cher qu’une vie normale.»
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L'ancien complice assure ses arrières
Un homme connaissait Marco Müller mieux que quiconque. Certains nous ont déconseillé de le rencontrer, d'autres nous ont encouragés. Il s'agit de son ex-complice André Jäggi, dit Dédé.
En fin d'après-midi, nous nous sommes rendus chez lui, dans les hauts du village. Le jardin du carrossier ressemble à un dépotoir organisé. Des carcasses de voitures et des pièces automobiles jonchent le sol et s'entassent. Nous sonnons à la porte de l'ancien taulard. Contrairement à l'illustre évadé, il a purgé sa peine de prison en entier. Il finit par nous accueillir, plutôt sceptique — en témoignent les caméras de vidéosurveillance qui parsèment sa propriété.
Contre toute attente, l'homme au passé trouble se livre. Pour lui, Marco Müller était déjà mort depuis longtemps: «Il me disait qu’il voulait faire mercenaire, mais il voulait surtout qu’on parle de lui. Il a fait tellement de vacheries qu’on en apprend encore aujourd’hui. J’en aurais pour des heures à tout raconter.»
Une méthode pour les hold-up
Peu après l'accident, la police est venue à sa rencontre, pour lui annoncer la mort de son camarade de cambriolages et chercher des informations sur un sac manquant, selon ses dires. «Ça m’a fait tout drôle. Un homme grisonnant de 100 kilos mort sur les rails. Dans mes souvenirs, l'Marco était plutôt svelte.»
André Jäggi avait tendance à suivre le meneur dans ses histoires «parce que c'était un copain». Cet amateur de films policier se rappelle: «J'étais son ancien complice, mais il me traitait comme son employé. Il voulait faire des coups de partout. Il me faisait chier, ce gaillard. Après notre premier hold-up, on s'est mis à notre compte dans la peinture. C'était surtout pour montrer qu'on faisait quelque chose.»
Des coups marquants, il y en aura d'autres pour atteindre une somme totale estimée à plus de 3 millions de francs par l'Agence Télégraphique Suisse (ATS). «Il m'avait dit qu'il écrirait une méthode pour les cambriolages, rigole André Jäggi. C'était un type de parole qui n'était pas dangereux. Ce n'est pas lui qui m'a dénoncé.» Désormais, le braqueur le plus recherché du Jura ne sévira plus. Mais son nom résonnera encore quelque temps dans les discussions de bon nombre de Jurassiens et de Patas, à Bassecourt.