Savez-vous ce qu'est un gentilé? Non? C'est la dénomination des habitants d'un lieu. Un Genevois = habitant de Genève. Avec ce genre d'entrée en matière, autant vous dire que je fais fureur en soirée!
Reconnaissons tout de même que c'est fascinant: si la plupart des gentilés, également appelés ethnonymes selon le Larousse (je vous vois essayer de m'échapper, mais tenez-bon!), sont dérivés du nom même de la ville ou de la région, ce n'est pas toujours le cas: «Bruntrutain», pour habitant de Porrentruy, n'a par exemple rien à voir. Les origines de ces dénominations sont multiples, puisent dans le patois ou le latin et racontent toujours une bribe de l'histoire d'un lieu. Et pour couronner le tout, les termes sont parfois extrêmement insolites. Arriverez-vous à deviner l'origine de cette sélection (non-exhaustive)?
Les Octoduriens
Celui-là, je vous l'ai déjà divulgâché plus haut. Mais pourquoi les habitants de Martigny (VS) s'appellent ainsi? Dans cette enquête qui me met, sans aucun doute, en lice pour le Pulitzer, j'ai interrogé le professeur Andres Kristol, ancien directeur du Centre de dialectologie et d’étude du français régional de l'Université de Neuchâtel. Il m'explique que les gentilés se sont, grosso modo, formés de trois manières: outre les dérivés de noms de villes affublés d'un suffixe (Lausann-ois), il existe une forme savante dérivée du latin. Octodure n'est ainsi rien d'autre que le nom romain, et gaulois avant lui, de la ville de Martigny. Alternativement, les habitants de la ville sont également appelés des «Martignerains», ceux de Martigny-Bourg, des «Bordillons».
Les Urbigènes
Un Urbigène n'est pas un produit chimique ou une thérapie génique, mais un habitant... de la ville d'Orbe, dans le canton de Vaud. Le mot reprend le nom d'un peuple gaulois (les Urbigènes ou Verbigènes, une tribu helvétique) qui habitait dans la région à l’époque de Jules César. Andres Kristol se dit toutefois «incapable de vous dire quels sont les savants locaux qui ont créé et réussi à propager ces noms. Le même principe s'est toutefois appliqué pour les Agaunois de Saint-Maurice (ndlr: qui s'appelait Acaunum à l'époque romaine) ou les Sédunois, formé sur le nom latin de Sion (Sedunum: les Seduni étaient le peuple gaulois qui habitait dans la région).»
Les Subiéreux
Avec les Subiéreuses et Subiéreux, nous rencontrons la troisième origine des gentilés: le patois. Les formes dialectales des noms d'habitants ont quelquefois survécu à la disparition des dialectes locaux, perpétués par la tradition locale. Ils ouvrent également un autre champ parfaitement fascinant: celui des sobriquets attribués à des villages ou villes. Ceux-ci ont souvent tenu lieu de dénominations là où les formes plus savantes et établies faisaient défaut, nous apprend un livre de Paul Fehlmann publié en 1991 et intitulé «Ethniques, surnoms et sobriquets des villes et villages de Suisse romande».
Subiéreux est le sobriquet attribué aux habitants de Peseux, dans le canton de Neuchâtel. Il signifie «les siffleurs».
Les Carcoies
Carcoies est un autre de ces surnoms. Il signifie «hanneton» et désigne les habitants d'une autre commune neuchâteloise, Cortaillod. Andres Kristol nous explique que ces surnoms, «souvent moqueurs à l’origine, ont en général été attribués par les 'chers' voisins, mais dans un deuxième temps, les 'concernés' se sont appropriés ces noms et en ont fait des symboles identitaires». Les prochains noms ci-dessous répondent à cette même logique.
Les Blecs
Les Blecs vient du patois bleco et signifie «les mouillés». Ce sont les habitants de Grimisuat, en Valais.
Les Bacounis
Cela vous fait peut-être penser au bacon et ce n'est pas un hasard, les Bacounis sont des «mangeurs de lard» et ils habitent à Vex, dans le Val d'Hérens.
Lè tapa-sâblya
L'orthographe de ce surnom en patois vaudois n'est pas claire: le livre de Paul Fehlmann l'écrit «lè tapa-sâblya». En français moderne, cela donne les frappe-sables, qui sont, comme chacun sait, les Invouenan. Non, ça c'est encore du patois, pour désigner les gens d'Yvonand, dans le canton de Vaud.
Les Meuqueux
L'utilisation de ce terme pour désigner les Chaux-de-Fonniers s'est quelque peu perdue. L'ancien gentilé était les Chauliers, et ceux-ci se sont vus affublés de divers surnoms: chiffonniers, pattiers (même sens), mangeurs de cervelas ou meuqueux. Le terme viendrait, selon Paul Fehlmann, du dialecte bernois alémanique «mööge», qui signifie brailler.
Les Altaripiens
Ce gentilé remonte au latin, et est la traduction latine de Hauterive (NE) utilisée dans les documents médiévaux.
Les Meyniolus
Les Meyniolus sont en réalité des Meynites, c'est-à-dire des habitants du village de la campagne genevoise de Meinier. Quelqu'un a ajouté à leur gentilé le suffixe «niolus», un mot en patois pour nigaud.
Les Matagasses
Celui-là, vous ne le devinerez jamais. On reste pourtant dans le canton de Genève... Petit indice: leur véritable gentilé est les Célignotes... Vous l'aurez deviné, on parle ici des gens de Céligny, dont le surnom «Matagasses» signifie les «pies-grièches», un oiseau insectivore dont la croyance populaire voulait qu'il imitât les chants et les cris des petits passereaux pour les attirer dans le but inavouable de leur percer le coeur sur des épines et de les dévorer. Quant à ce que cela signifie pour la réputation des Célignotes...
Au passage: les suffixes des dérivés de noms de lieux sont «capricieux» et parfaitement imprévisibles en français: les -ois, -ais, -ens, -iens, -ons, -ards, -otes s'égrènent dans la langue, sans règle fixe. En 2020, d'ailleurs, une interpellation au Conseil communal de Montreux cherchait à clarifier s'il fallait nommer les habitants d'un village adjacent à la ville des Clarensiens ou Clarensois, nous rappelle Andres Kristol. Dorothée Aquino, chargée de communication à l'Université de Neuchâtel pour le Glossaire des patois de la Suisse romande, précise toutefois que le suffixe «-ote» est souvent employé après des mots finissant en -y, comme c'est le cas également pour Prégny (Prégnotes).
Les Gytans
Des habitants de Gy. Tout bêtement.
Les Traîne-Beuses
Ce surnom fait dans la poésie. Si le gentilé plus officiel des domiciliés à Boudry, au bord du lac de Neuchâtel, est les Boudrysans, le patois local leur a donné divers surnoms associés au verbe traîner: trin-na-sa, c'est à dire traîne-sabres (ce qui suggère que les Boudrysans sont des soudards), trin-na-nyolè, des traîne-brouillards (autrement dit mettant les brouillards dans les sacs) et enfin traîne-beuse.
Les Culs pesants
On passe dans un registre plus vulgaire pour désigner les habitants de Charmey, dans le canton de Fribourg. Comprendre: les lourdeaux. Que certains ont aussi nommé «lè Batalya», c'est-à-dire les batailleurs ou les chahuteurs.
Les Corbeaux
Les Corbeaux est un sobriquet attribué à de nombreuses communes d'altitude, nous explique Dorothée Aquino. Il désigne par exemple les habitants du village du Jura bernois de Prêles.
Les Staviacois
Les Staviacois est la francisation du nom patois donné à Estavayer-le-Lac (Èthavayî-le-Lé).
Les Patas
C'est mon favori et nous nous quitterons là-dessus, parce que l'exercice serait sans fin. Les Patas sont des habitants de Bassecourt, dans le canton du Jura. Ils sont nommés d'après un pieu en bois utilisé pour tasser la choucroute dans le tonneau. Les adeptes de la Saint-Martin s'amuseront de cette association au plat traditionnellement mangé lors de ces festivités dans le Jura.