Une histoire de cambriolage qui dérape sur le domaine d’un élu au parlement genevois, ça interpelle forcément la classe politique. Le 15 mai 2020, une poignée de malfrats a pénétré dans les bâtiments du domaine viticole de l’UDC Lionel Dugerdil, comme nous vous le révélions dans un précédent article.
Au lieu de l’embarquer directement au poste après sa capture, les policiers présents auraient amené un des délinquants devant le vigneron, après l’avoir «secoué» et «brusqué», selon les dires du cambrioleur. Ce dernier aurait également été emmené dans la grange, puis laissé seul avec Lionel Dugerdil — qui a avoué avoir violenté physiquement son braqueur, dans un procès-verbal d’audience que Blick s’est procuré.
Les policiers impliqués sont aujourd’hui toujours sous enquête, mais n’ont pas été suspendus. Quant à Lionel Dugerdil, aucune plainte n’a été déposée contre lui (à noter que les coups qu’il aurait donnés ne constituent pas une infraction assez grave pour être poursuivie d’office).
Qu’en pensent les politiciens et politiciennes, au bout du Léman? De la gauche à la droite, nous avons contacté une poignée d’élus au Grand Conseil. Ceux qui siègent à la commission judiciaire et de la police, plus précisément. Voici ce que leur inspire l’implication des forces de l’ordre, puis la posture de Lionel Dugerdil dans cette histoire polaresque.
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«L’affaire Dugerdil doit être traitée»
Le PLR Pierre Conne tient à le souligner d’entrée de jeu: s’il est d’accord de s’exprimer sur ce dossier, c’est en tant qu’individu et politicien, et pas en tant que membre de la commission judiciaire et de la police (le dossier n’étant, en réalité, pas du ressort de cette dernière à l’heure actuelle).
Cela étant, il appelle les autorités à clarifier la situation. Et rappelle que la tolérance zéro devrait s’appliquer à toutes les formes de violence — qu’elles soient perpétrées par un quidam ou une personnalité publique telle que Lionel Dugerdil.
Au libéral-radical de préciser: «Il est important de ne pas banaliser les actes de violence, quels qu’ils soient. De ce point de vue là, l’affaire Dugerdil doit être traitée avec la plus grande rigueur, et faire l’objet d’une enquête approfondie. D’autant plus que l’on observe, aujourd’hui, une montée des violences sous toutes leurs formes dans nos sociétés.»
«Une faute grave»?
La députée verte Dilara Bayrak, qui a fait des politiques pénitentiaires et des sujets liés à la police l’un de ses grands chevaux de bataille, se dit quant à elle choquée par les faits exposés: «Il n’y a pas besoin d’être juriste ou docteur en droit pour comprendre que ce n’est pas normal que ce genre de scènes se produise dans un état de droit. Depuis quand est-ce qu’on vit sous la loi du talion?»
Elle dénonce ce qui s’apparenterait à une «violation crasse» des «règles de procédure les plus élémentaires» de la part des policiers présents cette nuit du 15 mai 2020: «On peut légitimement se demander quelle est la fréquence de ce genre de dérapages… Est-ce vraiment un cas exceptionnel, comme on nous l’indique à chaque nouvelle affaire?» La politicienne se dit par ailleurs interpellée par le fait que les policiers sous enquête continuent de travailler sur le terrain, comme nous l’avons explicité lors d’un précédent article.
«Un prof ou un médecin qui commet une faute professionnelle grave se fait, en général, suspendre le temps de l’enquête administrative, avance-t-elle. J’ai l’impression qu’il s’agit là précisément d’un cas de faute grave, et que la police se montre beaucoup moins rigoureuse dans ses procédures internes que d’autres corps de métier. Sans autres informations à ma disposition, je ne trouve pas cela sérieux. La police se doit d’être exemplaire.»
Un élu de droite*, membre de la même commission, mais qui a voulu garder son anonymat pour pouvoir s’exprimer librement, soulève lui aussi la problématique de l’exemplarité. Du côté de l’élu Lionel Dugerdil, cette fois: «Peu importe le niveau ou la couleur politique, lorsqu’on est élu, on a le devoir d’être irréprochable. Les accidents de parcours, ça arrive: mais il faut ensuite en assumer les conséquences. À tous les niveaux. Car nous sommes dans un état de droit.»
«Il a essayé de se rendre justice»
Le socialiste Diego Esteban abonde également dans ce sens: «Le fait que Monsieur Dugerdil n’ait pas du tout été inquiété à la suite de cet épisode m’interpelle. Alors qu’il a essayé de se rendre justice lui-même, et que nous sommes dans un pays qui ne cautionne pas cela.»
Il se montre en revanche plus nuancé quant à l’implication des policiers (qui sont, pour rappel, sous enquête — contrairement au vigneron UDC). Pour l’homme de gauche, les suspendre aurait de fait été disproportionné: «Il y a encore un certain nombre de détails peu clairs dans cette histoire, concernant leur rôle exact — et surtout leurs intentions. Sachant que les suspensions sont réservées à des cas très graves, je ne suis pas choqué par le fait qu’ils patrouillent encore.»
Et le député du PS tient à ce qu’on ne généralise pas le cas: «Je ne crois pas que présenter son cambrioleur à la victime fasse partie des habitudes opérationnelles de la police…»
«À nos électeurs d’en juger»
Toujours au sein de la commission judiciaire et de la police, du côté du parti de Lionel Dugerdil, l’élu UDC Charles Poncet se montre plutôt réticent à disserter longuement sur cette «affaire».
Il affirme simplement: «Je désapprouve cet acharnement médiatique. Acharnement qui, d’ailleurs, me semble plutôt servir Lionel Dugerdil. Quoi qu’il en soit, c’est à nos électeurs et électrices d’en juger.»
Quant au rôle des forces de l’ordre dans cette histoire, il a de la peine à croire ce qu’il a lu: «L’accusation de mauvais traitement intentionnel qu’ils auraient infligé au voleur est insoutenable, au regard du comportement que je connais aux policiers genevois…»
À noter que la présomption d’innocence s’applique à chacune des personnes invoquées dans cet article.
*Identité connue de la rédaction.