«Nous pourrions être confrontés à des dangers à la fin de la décennie.» Ces mots bruts sont ceux du ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius au sujet du réarmement de la Russie. Dans une interview accordée au journal «Bild», le démocrate se risque à dire que l'Europe à «cinq à huit ans» pour rattraper son retard et se préparer, que cela soit au niveau des forces armées, de l'industrie ou de la société.
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L'homme politique allemand, critique surtout le fait que tout le monde n'est pas conscient de ce danger. Il est pourtant clair que l'Allemagne doit être prête et qu'elle a besoin de forces armées capables de défendre le pays «en cas de guerre».
Le ministre de la Défense est-il en train de jouer la carte de la panique pour maintenir l'aide à l'Ukraine? Ou une invasion russe est-elle une éventualité à considérer? En écoutant les experts, le constat est flou: personne ne veut donner l'alerte.
Le danger d'une invasion russe en Europe est-il réel?
Selon Marcel Berni, stratège à l'Académie militaire de l'EPF, le danger est encore «faible» à l'heure actuelle. Mais il ne faut pas oublier que le président russe Vladimir Poutine n'a aucun intérêt à être en paix avec l'Occident. Et d'ajouter: «Plus Moscou aura de succès en Ukraine, plus le danger sera grand pour l'Europe.»
Pour Ulrich Schmid, expert de la Russie à l'Université de Saint-Gall, il n'existe pas de danger militaire pour l'Europe – du moins, dans l'immédiat. Mais les nouveaux fronts politiques du Kremlin pourraient bien annoncer de potentielles actions de déstabilisation russes en Bosnie et en Moldavie.
Marcel Berni estime que les déclarations du ministre allemand visent à éveiller les consciences, à faire évoluer les mentalités – du moins en Allemagne – et à montrer que la phase d'apaisement vis-à-vis de la Russie est de l'histoire ancienne.
Selon l'expert, Boris Pistorius veut profiter de ce «changement d'époque» pour améliorer la mise en place et l'équipement de la Bundeswehr, l'armée allemande. «La réintroduction du service militaire obligatoire, qui manque à Pistorius en Allemagne, serait bénéfique dans cette situation», analyse Marcel Berni.
Le ministre de la Défense se préoccupe également de l'aide à l'Ukraine, qui semble actuellement menacée. Marcel Berni a son avis sur la question: «Les Etats-Unis pourraient bientôt se tourner vers l'Asie et exiger des efforts de défense plus importants des Européens.» Nico Lange, de la Conférence sur la sécurité de Munich, est plus direct avec le quotidien allemand: «Si nous sommes faibles, Poutine en profitera.»
Que pense Poutine d'une attaque contre l'Europe?
Le président russe a affirmé dimanche que la Russie n'avait ni raison ni intérêt à entrer en guerre avec les pays de l'OTAN, que ce soit sur le plan géopolitique, économique, politique ou militaire. Mais l'Institute for the Study of War (ISW) met tout de même en garde: «La déclaration de Poutine selon laquelle la Russie n'a aucun intérêt à envahir l'OTAN ressemble aussi beaucoup aux affirmations persistantes du Kremlin datant de fin 2021 et début 2022 – même à la veille de l'invasion — selon lesquelles la Russie n'a pas l'intention d'envahir l'Ukraine.»
Quel est le niveau d'équipement militaire actuel de l'Europe?
La plupart des pays européens sont membres de l'OTAN et se trouvent donc sous le parapluie protecteur des Etats-Unis. Certains craignent toutefois que les Etats-Unis ne quittent l'OTAN si Donald Trump venait à être réélu président l'année prochaine.
Mais globalement, l'Europe est à la ramasse. «Comme les Européens se sont appuyés sur les Etats-Unis depuis la fin de la guerre froide, de nombreux pays manquent actuellement de personnel, de matériel et de la volonté de financement nécessaire à une défense autonome», explique Marcel Berni. San oublier les goulots d'étranglement dans l'industrie de l'armement en raison de la guerre en Ukraine qui n'arrangent rien.
Pour palier ce manque, l'Europe a décidé de mettre en place une défense aérienne commune. Dix-neuf pays, dont la Suisse, participent désormais à l'«European Sky Shield Initiative», lancée par l'Allemagne elle-même.
Quel est le danger qui plane sur la Finlande?
Après l'adhésion de la Finlande à l'OTAN et l'octroi récent d'un accès total à 15 bases à l'armée américaine, Vladimir Poutine a annoncé ce week-end qu'il allait réarmer la région de Saint-Pétersbourg. «La Finlande va avoir des problèmes», a menacé le président.
Les Finlandais ne semblent pas prendre cette menace au sérieux. Bien au contraire: «La prise de position de Poutine n'a rien de nouveau. Cette démonstration de force reflète une faiblesse plutôt qu'une force», déclare l'ambassadeur Valtteri Hirvonen.
Les Russes avaient déjà maintenu d'importantes capacités militaires à proximité de la frontière finlandaise pendant la guerre froide. Depuis, elles ont été retirées pour la guerre en Ukraine. Mais reconstituer ces troupes prendrait énormément de temps et de moyens. Ulrich Schmid est également de cet avis. Et d'ajouter: «Il est possible que la Russie fasse patrouiller des sous-marins nucléaires au large des côtes finlandaises.»
Pour Valtteri Hirvonen, la Finlande est préparée à tout au niveau national. «Nous augmentons continuellement notre état de préparation et allons notamment doubler la production de munitions et d'obus.» En tant que membre de l'OTAN, la Finlande peut désormais compter sur des alliés qui sont massivement supérieurs à la Russie.
Quel est le risque que la Russie envahisse d'autres pays?
On entend régulièrement dire que Poutine pourrait s'en prendre à d'autres pays comme la Moldavie ou la Géorgie. Pour l'instant, de telles attaques sont peu probables, selon Marcel Berni. La raison? La majeure partie des troupes russes est engagée en Ukraine. «La volonté de la Russie de lancer de nouvelles attaques militaires dépend de l'évolution de la guerre en Ukraine et de la situation politique intérieure», avance-t-il.
Combien de temps les Russes peuvent-ils tenir sur le plan militaire?
L'année prochaine, la Russie augmentera son budget militaire de près de 70% pour atteindre 112 milliards de dollars. Cela représente 6 à 8% du produit intérieur brut. A titre de comparaison, les Etats-Unis avaient un budget militaire de 877 milliards de dollars en 2022, équivalent à 3,5% du PIB. L'Allemagne y consacrait près de 56 milliards (1,4%) et la Suisse 6 milliards de dollars (0,8%).
Reste à savoir combien de temps l'économie militaire de la Russie tiendra encore debout. «Les immenses coûts de la guerre et de l'armement peuvent encore être couverts par les ventes de pétrole», explique Ulrich Schmid. Mais l'inflation et le rouble, qui s'est durablement affaibli, pourraient bien entraîner une hausse du coût de la vie et une augmentation des prix des biens importés – dont les armes.