«Préparer l’avenir, c’est voir clair. La place de l’Ukraine sera demain dans l’Union européenne. Mais cette place ne sera pas celle d’un pays vainqueur.»
Il est environ 19h30 à Bruxelles, jeudi 14 décembre, dans le grand atrium du «Juste Lipse», le bâtiment du Conseil européen dont le rez-de-chaussée est transformé en salle de presse pour les sommets. Les diplomates commencent à s’agiter. Victoire pour l’Ukraine! Le pays attaqué par la Russie est parvenu à contourner la menace de veto de Viktor Orbán. Kiev va pouvoir entamer des négociations d’adhésion en vue d’intégrer l’UE.
Le premier ministre hongrois, féroce opposant à tout feu vert à l’Ukraine, est sorti de la salle occupée par les dirigeants des 27, pour ne pas avoir à se prononcer. Dans les coulisses en revanche, les mines sont sombres. «L’Ukraine ne gagnera pas cette guerre, c’est impossible. Zelensky doit arrêter de prétendre le contraire» reconnaît un conseiller d’une délégation d’un pays Balte.
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La Russie en mode économie de guerre
Cet aveu est de circonstance. Vladimir Poutine a, quelques heures plus tôt jeudi 14 décembre, affirmé lors de sa conférence de presse annuelle à Moscou, que la Russie continuera de se battre tant que ses objectifs de guerre n’auront pas été atteints. Les diplomates européens l’admettent: «La Russie est passée, contrairement à nous, à une économie de guerre juge un ambassadeur.
La production d’armement est prioritaire. Les buts militaires de «l’opération spéciale» menée en Ukraine l’emportent sur tout le reste. La production de chars russes est de plus de 1 000 par an. L’effectif des forces armées a été augmenté de 15%. Moscou a signé un accord avec la Corée du Nord pour recevoir 10 millions d’obus. Nous? Nous ne parvenons pas à livrer à l’Ukraine le million d’obus promis d’ici la fin de cette année».
La guerre n’a pas transformé l’Europe
Le paradoxe est total. Sur le plan politique et diplomatique, le soutien européen ne faiblit pas, contrairement à ce que l’on craignait. L’ouverture des négociations d’adhésion le prouve. Mais la guerre en Ukraine n’a pas transformé l’Europe.
«Le temps joue en faveur de la Russie et sa machine de guerre tourne à plein régime, nourrie par les recettes obtenues en contournant les sanctions, grâce en particulier à des pays comme la Turquie pourtant supposés faire partie de l’Alliance atlantique» enrage Frédéric Mauro, chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) dans une tribune au Figaro. «Nous sommes en train de nous habituer à l’idée d’une Ukraine sur la défensive, qui ne pourra pas regagner les territoires perdus» complète Nicolas Tenzer, expert en géopolitique, interrogé par La Chaine Parlementaire (LCP).
Trois preuves de défaitisme
Au moins trois indicateurs, selon les spécialistes du dossier ukrainien, montrent que les Européens ne croient plus à victoire ukrainienne. Le premier est le persistant refus allemand de livrer les missiles à longue portée Taurus à l’armée de Kiev.
Le second est l’absence de montée en puissance de la mission militaire européenne (EUMAM Ukraine) chargée de coordonner la formation des soldats ukrainiens sur le sol des pays de l’Union. Celle-ci devrait former, en 2024, environ 30 000 combattants, soit autant qu’en 2023, alors que la Russie a recruté cette année 486 000 volontaires.
Troisième indicateur: les chefs militaires de l’OTAN, l’Alliance atlantique, n’ont pas contredit le général Valeri Zaloujny, commandant en chef des armées ukrainiennes, après son entretien accordé à The Economist, le 1er novembre, sur l’échec de la contre-offensive. «Leur silence montre que les plans de l’OTAN sont en train de changer. On passe sans le dire à une logique défensive» estime un ex-gradé de l’alliance.
Avec toujours cette question: comment ouvrir, dans cette guerre, une brèche susceptible d’entamer des pourparlers de paix?