Depuis près de deux ans, les psychothérapeutes peuvent facturer leurs prestations directement par le biais de l'assurance de base. Auparavant, ils devaient être employés par un psychiatre. Près de 6000 thérapeutes se sont mis à leur compte depuis lors.
Le changement de système doit permettre de réduire les goulets d'étranglement en matière de places de thérapie. Mais jusqu'à présent, le nouveau modèle a surtout entraîné une hausse massive des dépenses. Mais parler d'une explosion des coûts est une erreur, affirme Muriel Brinkrolf, directrice de la Fédération suisse des psychologues (FSP).
Muriel Brinkrolf, les associations de psychologues ont lutté pendant de nombreuses années pour l'indépendance des thérapeutes. Quels ont été les résultats concrets du changement de système?
L'objectif était d'améliorer l'accès aux psychothérapies et leur disponibilité. L'accès a déjà été amélioré. Désormais, les médecins de famille peuvent prescrire des thérapies, à l'instar des physiothérapies. Cela fonctionne bien. Les obstacles que rencontrent les personnes concernées pour demander de l'aide ont nettement diminué.
Et les places en thérapie?
La demande est toujours nettement supérieure à l'offre. Chez les enfants et les adolescents, le manque de soins est particulièrement élevé. Nos membres font état de cas urgents qu'ils doivent refuser. C'est dur, y compris pour les thérapeutes.
Pouvez-vous donner un exemple?
Un père a cherché de l'aide parce que son enfant souffrait d'un trouble alimentaire. Mais il n'a pas trouvé de place en thérapie. Lorsque cela a finalement été possible des mois plus tard, l'enfant ne voulait plus participer et parlait de pensées suicidaires. Si nous ne parvenons pas à traiter immédiatement de tels cas, les conséquences peuvent être fatales.
Une amélioration rapide n'est pas en vue en raison du manque de personnel qualifié.
Nous ne pouvons pas faire venir les professionnels comme par magie. Les obstacles à l'entrée dans la profession sont élevés: rien que la formation continue de psychothérapeute coûte jusqu'à 70'000 francs. Beaucoup ne peuvent pas se le permettre. Il serait urgent d'investir davantage pour la professionnalisation.
C'est ce qu'a fait le Conseil fédéral avec le changement de système: les coûts de la psychothérapie ont augmenté d'environ 200 millions de francs en 2023. L'augmentation des salaires des thérapeutes coûte à elle seule 100 millions.
L'objectif du changement de modèle n'a jamais été de réduire les coûts, mais de supprimer les obstacles et d'augmenter la disponibilité. Dans le nouveau modèle, les psychothérapeutes travaillent de manière indépendante et assument davantage de responsabilités, y compris pour leurs patients. La profession devient ainsi plus attrayante, mais aussi plus exigeante. Il est logique que cela soit reflété dans le nouveau tarif. Si certains parlent d'une explosion des coûts, c'est totalement faux.
Les coûts ont tout de même augmenté de 35%, mais il n'y a pas beaucoup plus de places de thérapie.
Les 200 millions doivent être considérés dans le contexte de l'ensemble des coûts de la santé, qui s'élèvent à 90 milliards. Ce qui me dérange, c'est que l'on ne parle constamment que des coûts. Investir dans notre santé mentale apporte d'énormes avantages, y compris sur le plan économique.
C'est-à-dire?
Si les maladies psychiques sont détectées et traitées à un stade précoce, nous pouvons éviter les évolutions chroniques et les traitements hospitaliers. Et les personnes concernées sont moins absentes au travail. Des études montrent clairement que si nous investissons dans le dépistage et le traitement précoces des maladies psychiques, nous pouvons économiser beaucoup d'argent. Si nous ne le faisons pas, les coûts sont multipliés en raison des séquelles.
La demande de soins psychiques a augmenté de manière constante ces dernières années. La population suisse va-t-elle de plus en plus mal sur le plan psychique?
C'est difficile à évaluer. Nous avons des crises multiples, des changements climatiques, des pandémies, des guerres. Cela a laissé des traces, surtout chez les jeunes. En même temps, la pandémie de Covid a fait que l'on parle beaucoup plus de santé mentale. Les tabous sont levés, des célébrités, des sportifs ou des chanteurs, parlent ouvertement de leurs problèmes psychiques.
Pourtant, seul un tiers des personnes souffrant de problèmes psychiques demandent une aide professionnelle.
Nous sommes encore loin d'être là où nous devrions être. Dans des interventions parlementaires, la psychothérapie est taxée de développement personnel. D'anciennes conseillères nationales sont attaquées sur les réseaux sociaux parce qu'elles parlent de leur trouble alimentaire. Il faut encore beaucoup plus de sensibilisation.
Le thème de la «santé mentale» est aujourd'hui omniprésent, y compris sur les réseaux sociaux. Est-ce que nous nous y prenons mal?
Beaucoup de demi-vérités dangereuses circulent justement sur les réseaux sociaux. Des influenceuses qui n'ont pas les connaissances nécessaires parlent de maladies et de diagnostics psychiques. C'est inquiétant.
Lorsque des personnes ayant une grande portée sur Instagram ou Tiktok abordent les problèmes psychiques, elles motivent les jeunes à les aborder plus ouvertement.
Le fait que l'on parle de l'importance de la santé mentale est une bonne évolution. Mais cela ne suffit pas en cas de maladie. Si j'ai mal à la gorge, je vais à la pharmacie chercher des pastilles à sucer. Si cela ne s'améliore pas, je vais voir le médecin. En cas de problèmes psychiques, les limites sont souvent plus floues.
Nous attendons trop longtemps?
Pour les parents, il est difficile de savoir si leur enfant souffre d'une mauvaise humeur ou d'un début de dépression. Pourtant, il a besoin de plus d'aide. Même en cas de problèmes psychiques, il faut être clair: si la situation ne s'améliore pas, je fais appel à un professionnel pour faire le point.
En comparaison internationale, la Suisse dispose d'une forte densité de psychothérapeutes. N'est-ce pas plutôt l'offre préventive qui devrait être renforcée?
Absolument. Aujourd'hui déjà, les psychologues ne travaillent de loin pas tous en psychothérapie. La moitié des membres de notre association travaillent par exemple dans le domaine de la psychologie du travail ou de la psychologie scolaire. La promotion de la santé mentale ne commence pas par un diagnostic, au contraire: nous devons davantage réfléchir à la manière de faire en sorte que les psychothérapies ne soient même pas nécessaires.