Lorsqu’on rassemble enfin le courage de demander de l’aide, la dernière chose qu’on a envie d’affronter est une liste d’attente interminable. Voilà pourtant la dure réalité qui embourbe le système de consultations psychothérapeutiques, en Suisse: trois à six mois d’attente dans le canton de Genève, cinq à six mois dans le canton de Neuchâtel, plus de six mois dans le Jura, la Berne romande et le Valais… D’après les chiffres recensés début 2024 par la Fédération suisse des psychologues (FSP), le manque de place en thérapie devient problématique, notamment pour les enfants et les adolescents.
«Tous nos membres nous signalent des listes d’attente, mais les régions périphériques sont particulièrement touchées, précise Cathy Maret, membre de la direction et responsable des affaires politiques de la FSP. Les besoins de consultations plus élevés coïncident depuis quelques années avec un manque de psychiatres.» Alors que ce décalage était déjà présent avant l’arrivée du Covid, la pandémie et le semi-confinement n’ont pas manqué d’accentuer la prévalence: «Celle-ci connaît une augmentation notable dans certaines tranches de la population, dont les jeunes filles et les jeunes femmes, plus souvent concernées par des troubles psychiques comme les troubles anxieux ou dépressifs», poursuit notre intervenante.
En effet, l’Office fédéral de la statistique (OFS) soulignait, en décembre 2022, que les hospitalisations pour cause de troubles mentaux avaient augmenté de 52% entre 2022 et 2021, chez les filles et les jeunes femmes âgées de 10 à 24 ans. Une augmentation record.
La santé mentale est moins taboue
En outre les facteurs sociétaux pouvant détériorer la santé mentale (écoanxiété, pandémie, inflation, avenir incertain…), la hausse des demandes s’explique également par une libération de la parole autour du bien-être psychique: «La population a plus tendance à consulter qu’auparavant, car les questions relatives à la santé mentale sont devenues moins taboues, confirme Cathy Maret. C’est évidemment une très bonne nouvelle, mais cela accentue le manque de place en thérapie.»
Même constat pour la psychologue et psychothérapeute FSP Elizabeth Frei, qui remarque une plus grande valorisation de la santé mentale chez les jeunes générations: «Depuis le Covid, les phénomènes comme l’anxiété sont largement déstigmatisés par la GenZ et la GenAlpha.» Sur TikTok et Instagram, les contenus relatifs au mental health et au développement personnel rassemblent effectivement des millions de vues, alors que de très jeunes créateurs et créatrices de contenu partagent leurs ressentis et leurs angoisses avec une ouverture inédite.
La psychothérapie comprise dans l’assurance de base
Or, l’accès à la thérapie devait être facilité par l’entrée en vigueur du modèle de prescription, en 2022. D’après ce système, les 30 premières consultations auprès d’un ou d'une psychothérapeute sont prises en charge par l’assurance de base, pour autant qu’elles soient recommandées par le médecin traitant et qu’elles soient assurées par des professionnels reconnus et certifiés par le canton. En cas de besoin et avec l’accord du psychiatre, ces séances remboursées peuvent être prolongées.
«C'est évidemment une très bonne chose, mais cela complique un peu la situation, car les clients s'adressent d'abord aux thérapeutes remboursés, qui finissent par être débordés et par manquer de place, estime Elizabeth Frei. Malheureusement, cette accréditation officielle est difficile à obtenir, surtout pour les professionnels qui n'ont pas étudié en Suisse ou en Europe.»
Sans oublier que la formation permettant de devenir psychothérapeute est aussi longue que coûteuse: «Contrairement au médecin assistant dont la formation est prise en charge et accompagnée d’un bon salaire, le psychothérapeute assistant doit prendre en charge ses propres frais et dispose d’un salaire moins élevé, déplore Cathy Maret. Il s’agit d’un frein considérable et il faudrait que ces conditions s’améliorent, afin d’encourager davantage de personnes à choisir cette voie.»
Que faire, si on ne trouve pas de psy?
Face à une liste d’attente impressionnante, nos intervenantes recommandent de ne pas baisser les bras! Il est indispensable de recevoir l’aide dont on a besoin, auprès d’un thérapeute auquel on peut faire entièrement confiance. Voici quelques pistes qui pourraient vous aider à trouver le soutien requis dans les meilleurs délais:
Ne jamais hésiter à faire appel aux centres d'urgence
En cas de détresse, les urgences psychiatriques des hôpitaux (tels que le CHUV de Lausanne ou les HUG de Genève) accueillent rapidement les personnes ayant besoin d'une aide immédiate. Par ailleurs, les plateformes telles que Pro Juventute (le 147, pour les parents et les jeunes), la Main Tendue (au 143, pour de l'aide immédiate en cas de pensées suicidaires), Action Innocence (pour les cas de cyberharcèlement), Alpagai (des groupes de soutien pour les personnes LGBTQIA+) ou Safe Zone (pour les problèmes d'addiction et de dépendance) se consacrent jour et nuit au soutien des personnes en détresse ou ayant besoin d’une oreille attentive. N’ayez jamais crainte de les contacter: les professionnels de ces plateformes sont là pour vous aider, quelle que soit la situation que vous traversez.
Demander des ressources, même en cas de refus
Lorsque le ou la thérapeute que vous avez tenté de contacter évoque sa liste d'attente ou s'excuse de ne pas être en mesure de recevoir davantage de clients, Elizabeth Frei conseille de lui poser des questions, afin de trouver d'autres pistes utiles: «Un psychologue ou psychothérapeute débordé pourra au minimum vous réorienter vers quelqu'un d'autre, pointe-t-elle. Il possède forcément un réseau très étoffé et connaîtra sans doute un autre professionnel susceptible de vous aider.»
Pour notre intervenante, même face à l'impossibilité de réserver une séance rapidement, il est possible de trouver des contacts, des ressources ou des conseils pour poursuivre votre recherche: «On ne peut pas recevoir tout le monde, mais on fait de notre mieux, et il existe des thérapies de groupe, des groupes de parole ou même des lectures qui peuvent vous offrir des informations et du soutien, en attendant votre rendez-vous», poursuit-elle.
Par ailleurs, Cahty Maret souligne qu'il peut être bénéfique d'expliquer votre situation au thérapeute chez lequel vous souhaitiez obtenir un rendez-vous: «S’il s’agit d’une demande pressante, le ou la psychothérapeute pourra éventuellement vous conseiller ou essayer d’aménager du temps pour vous recevoir. Mais cela n'est pas toujours possible, et il ne faut donc jamais hésiter à se tourner vers les numéros d’urgence.»
Éplucher l’annuaire de la FSP
Ainsi que le rappelle Cathy Maret, le rôle des psychologues est d'accompagner les personnes qui traversent des périodes de vie difficiles, telles qu’un divorce, une séparation ou un deuil, dans un but de prévention, afin d’éviter qu’un trouble psychique ne s’installe. «Les psychothérapeutes, de leur côté, voient les personnes dont les symptômes sont rattachés à une maladie, un trouble psychique sérieux avec des caractéristiques désignées», poursuit-elle. Pour rappel, les prestations des psychologues sont partiellement prises en charge par certaines complémentaires, bien que cela varie selon le modèle d'assurance et la franchise, tandis que la psychothérapie est comprise dans le modèle de prescription évoqué plus haut (avec les fameuses 30 séances remboursées par l'assurance de base).
Pour faciliter vos recherches, sachez que la FSP dispose d'un annuaire nommé PsyFinder. En précisant votre code postal et quelques mots clés, cet outil vous soumettra une liste de professionnels susceptibles de vous aider et que vos recherches initiales n'avaient peut-être pas identifiés.
«Face à une longue liste d’attente, j’encourage aussi les personnes concernées de réserver quelques séances avec un professionnel non remboursé par l'assurance de base, en attendant, propose Elizabeth Frei. Si cette option est financièrement enviageable, il peut être bénéfique de commencer le processus avec un professionnel certifié, si cela semble urgent, avant de pouvoir être reçu par un psychothérapeute remboursé.»
Se méfier d’Internet
Alors que la santé mentale est de plus en plus valorisée, des centaines de plateformes et offres de coaching fleurissent sur la Toile. Il est toutefois indispensable de s'assurer que la personne a bénéficié d'une formation reconnue, avant de se lancer: «Je conseille de ne pas utiliser n’importe quelle plateforme, acquiesce Cathy Maret. Quand on souffre de troubles psychiques, il est essentiel de s’adresser à des services professionnels et pas n’importe quel programme ou offre qu’on peut trouver sur Internet.» De même, notre intervenante déconseille de s’adresser à une personne qui s’auto-déclare coach, sans avoir suivi la moindre formation.
Oser changer de thérapeute
Ce dernier conseil peut sembler contradictoire, surtout lorsqu'on a patienté trois mois pour obtenir un rendez-vous. Or, le fait de trouver la bonne personne est crucial, dans la mesure où une bonne relation entre thérapeute et patient peut faire toute la différence: «Même après une longue attente, si vous sentez que le courant ne passe pas avec votre thérapeute, je vous encourage vraiment à chercher quelqu'un d'autre ou à aborder vos préoccupations avec le thérapeute actuel, insiste Elizabeth Frei. Cela demande un peu de courage, mais n’ayez pas peur de vexer la personne: nous sommes formés pour bien réagir à ce genre de conversation et pour aiguiller la patientèle vers les professionnels qui leur conviennent.»