«Je suis un Mac qui essaie de s'adapter à un univers conçu pour les PC, résume Sarah*, 35 ans. J'ai l'impression que le monde qui m'entoure fonctionne sur un autre logiciel que le mien.» Incompréhension, mauvaise estime de soi, angoisse, frustration... Pour les personnes concernées par les troubles du spectre autistique, l'impression de fonctionner différemment que leur l'entourage peut constituer un lourd fardeau. Une interrogation qui plane, qui pèse, qui teinte chaque aspect de la vie. Sans oublier l'impression glaçante d'être seul à pagayer jusqu'à l'épuisement, sans savoir quelle direction suivre, tandis que les autres semblent naviguer sans peine.
Des Mac dans un monde de PC, il en existe pourtant beaucoup. D’après Autisme Europe, un enfant sur 100 est concerné par l’autisme, avec une sur-représentation masculine très notable (4 à 5 garçons pour 1 fille selon Autisme Suisse). Depuis une décennie, les diagnostics de troubles du spectre autistique ont augmenté de 12% chaque année, en Suisse, notamment en raison d’une évolution dans les méthodes utilisées pour identifier ce type de neurodiversité.
En ce 2 avril 2024, Journée mondiale de sensibilisation à l’autisme, soulignons que ce terme est encore associé à de nombreuses idées reçues et fausses croyances, parfois véhiculées par les productions audiovisuelles populaires (Sheldon Cooper est passé par là). Depuis 2015, le terme de troubles du spectre autistique (TSA), ainsi qu’il est défini dans le DSM-5 (la 5e version du «Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux»), comprend toutes les formes d’autisme, dont le syndrome d’Asperger et l’autisme infantile.
Or, puisque les TSA se caractérisent par une grande variété de manifestations, de formes et de niveaux différents, le diagnostic peut s’avérer complexe. D’après les informations d’Autisme Suisse, on évoque généralement des particularités dans la communication et les interactions sociales, ainsi que des schémas comportementaux répétitifs, un répertoire restreint d’intérêts et des particularités dans le traitement neurosensoriel, qui peut s’exprimer par une grande sensibilité au bruit, par exemple. «Quand le trouble autistique est associé à une forme de déficience, il est plus rapidement diagnostiqué, souvent dans l’enfance, constate Lise Morgenthaler, présidente de l’association Autisme Vaud. Mais chez les adultes, il est fréquent qu’un autre diagnostic soit posé en premier lieu, dont la dépression ou l’anxiété.»
Les femmes masquent davantage leur TSA
En outre, les femmes sont plus souvent concernées par ce diagnostic tardif, qui empêche la personne de se comprendre et de recevoir le soutien nécessaire: «Il semble que les premiers signes passent plus inaperçus chez les filles que chez les garçons, note Lise Morgenthaler. Lorsqu’un jeune garçon s’intéresse de manière très précise à la marque des radiateurs qu’il observe autour de lui, par exemple, on va immédiatement se questionner. Or, lorsqu’une fillette est fortement passionnée par les chevaux, on aura plus tendance à trouver cela normal. À noter que, dans le cas des enfants concernés par le spectre autistique, ces centres d'intérêt très intenses sont également accompagnés d’autres difficultés au niveau de la communication et des interactions sociales.»
Les femmes sont effectivement plus douées pour masquer les manifestations des TSA, ainsi que le confirme Elizabeth Frei, psychologue et psychothérapeute FSP: «Leur cerveau est biologiquement plus habile pour s’adapter aux situations sociales et à jouer le rôle qui leur est implicitement attribué. Pour cette raison, les femmes parviennent mieux à cacher leur différence, aux autres et à elles-mêmes.»
Notre experte souligne ainsi que beaucoup de femmes découvrent qu’elles sont concernées par le spectre de l’autisme lorsqu’elles consultent pour une tout autre raison: «La plupart des individus affectés par la neurodiversité souffrent d'une très faible estime d’eux-mêmes, indique-t-elle. Là encore, les hommes peuvent l'exprimer plus ouvertement, par la violence ou par des soudaines explosions d'émotions, tandis que les femmes et les jeunes filles sont plus discrètes, plus subtiles, et ont tendance à l'exprimer autrement, en déclarant un trouble alimentaire ou une anxiété, par exemple.»
Un diagnostic posé vers la trentaine
Dans de nombreux cas, Elizabeth Frei observe que les femmes parviennent à masquer leur autisme jusqu’à la trentaine, lorsque tout encadrement scolaire ou universitaire s'estompe, qu'elles sont confrontées à des pressions sociales non structurées et qu'elles ne peuvent pas toujours contrôler, comme la maternité: «C'est à cet âge que de nombreuses femmes commencent à se sentir dépassées et consultent», précise-t-elle.
Rappelons toutefois que ce type de situation concerne avant tout le premier niveau d’autisme (anciennement appelé «syndrome d’Asperger»), qui permet une intégration sociale typique avec peu ou pas de troubles du langage: «Ce terme n'est plus utilisé en tant que tel, car il est important de clarifier la notion de spectre autistique. Les deux autres niveaux comprennent des troubles plus visibles, presque toujours repérés dans l'enfance, à l'école», précise Elizabeth Frei. C’est pour cette raison que le premier niveau, plus subtil, est parfois identifié très tard.
En ce qui concerne spécifiquement ce premier niveau d'autisme, la psychologue cite également l'impression d'être débordé et surstimulé, ou de se sentir sous-stimulé et déconnecté du monde: «Certaines personnes ont du mal à s'ancrer ou à donner le meilleur d'elles-mêmes. Cela se traduit par des difficultés fonctionnelles dans les domaines professionnel et privé, parfois supportées pendant des années.»
«À l’instar de tout type de neurodiversité, les troubles autistiques impliquent que le cerveau fait des connexions et gère l’information de manière atypique, explique la psychologue et psychothérapeute FSP Elizabeth Frei. L’autisme peut prendre différentes formes, mais on observe par exemple que certaines personnes seront plus focalisées sur des odeurs ou des couleurs particulières, se montrent plus sensibles aux émotions, tentent de les contrôler ou même de les éviter complètement. Certains individus peuvent toutefois se montrer très résistants à cela et parviennent à exceller au travail, ce qui peut rendre l’acceptation de leur différence plus longue et plus délicate.»
L’experte souligne par ailleurs qu’il existe différents niveaux d’autisme: le premier, anciennement appelé «syndrome d’Asperger», permet une intégration sociale typique, avec très peu ou pas de troubles du langage, et se caractérise souvent par des difficultés fonctionnelles dans les domaines professionnel et privé, avec une impression d’être débordé ou sur-stimulé. L’inverse est également possible, dans la mesure où les personnes concernées peuvent aussi se sentir sous-stimulées et déconnectées du monde. «Le terme de 'syndrome d’Asperger' n'est plus utilisé en tant que tel, car il est important de clarifier la notion de spectre autistique. Les deux autres niveaux comprennent des troubles plus visibles, presque toujours repérés dans l'enfance, à l'école.»
Pour Lise Morgenthaler, présidente de l’association Autisme Vaud, il est essentiel de souligner la fatigabilité des personnes concernées par les troubles du spectre autistique (TSA): «On parle notamment de la théorie des petites cuillères de Miserandino (repopularisée par la bande dessinée “La différence invisible” de Julie Dachez), selon laquelle chaque personne commence la journée avec un stock défini de cuillères d’énergie, souligne-t-elle. Chaque activité, trajet ou interaction sociale va coûter plus de cuillères à une personne autiste qu'à une personne neurotypique. Cette méthode permet de visualiser la quantité d’énergie dépensée pour les activités quotidienne et de mieux gérer la fatigabilité.»
Ne restez jamais seul
Ne tardez jamais à demander de l'aide ou du soutien, si vous avez l'impression de reconnaître ces caractéristiques, ou si vous ressentez le besoin de parler de ce que vous traversez auprès d'une oreille attentive, bienveillante et compétente. Les plateformes d'Autisme Suisse romande, d'Autisme Vaud, d'Autisme Valais, d'Autisme Genève, d'Autisme Fribourg, d'Autisme Jura ou encore d'Autisme Neuchâtel proposent des informations complémentaires, ainsi que des contacts utiles. En cas de détresse, n'hésitez pas à vous tourner vers Stop-Suicide ou la Main tendue.
«À l’instar de tout type de neurodiversité, les troubles autistiques impliquent que le cerveau fait des connexions et gère l’information de manière atypique, explique la psychologue et psychothérapeute FSP Elizabeth Frei. L’autisme peut prendre différentes formes, mais on observe par exemple que certaines personnes seront plus focalisées sur des odeurs ou des couleurs particulières, se montrent plus sensibles aux émotions, tentent de les contrôler ou même de les éviter complètement. Certains individus peuvent toutefois se montrer très résistants à cela et parviennent à exceller au travail, ce qui peut rendre l’acceptation de leur différence plus longue et plus délicate.»
L’experte souligne par ailleurs qu’il existe différents niveaux d’autisme: le premier, anciennement appelé «syndrome d’Asperger», permet une intégration sociale typique, avec très peu ou pas de troubles du langage, et se caractérise souvent par des difficultés fonctionnelles dans les domaines professionnel et privé, avec une impression d’être débordé ou sur-stimulé. L’inverse est également possible, dans la mesure où les personnes concernées peuvent aussi se sentir sous-stimulées et déconnectées du monde. «Le terme de 'syndrome d’Asperger' n'est plus utilisé en tant que tel, car il est important de clarifier la notion de spectre autistique. Les deux autres niveaux comprennent des troubles plus visibles, presque toujours repérés dans l'enfance, à l'école.»
Pour Lise Morgenthaler, présidente de l’association Autisme Vaud, il est essentiel de souligner la fatigabilité des personnes concernées par les troubles du spectre autistique (TSA): «On parle notamment de la théorie des petites cuillères de Miserandino (repopularisée par la bande dessinée “La différence invisible” de Julie Dachez), selon laquelle chaque personne commence la journée avec un stock défini de cuillères d’énergie, souligne-t-elle. Chaque activité, trajet ou interaction sociale va coûter plus de cuillères à une personne autiste qu'à une personne neurotypique. Cette méthode permet de visualiser la quantité d’énergie dépensée pour les activités quotidienne et de mieux gérer la fatigabilité.»
Ne restez jamais seul
Ne tardez jamais à demander de l'aide ou du soutien, si vous avez l'impression de reconnaître ces caractéristiques, ou si vous ressentez le besoin de parler de ce que vous traversez auprès d'une oreille attentive, bienveillante et compétente. Les plateformes d'Autisme Suisse romande, d'Autisme Vaud, d'Autisme Valais, d'Autisme Genève, d'Autisme Fribourg, d'Autisme Jura ou encore d'Autisme Neuchâtel proposent des informations complémentaires, ainsi que des contacts utiles. En cas de détresse, n'hésitez pas à vous tourner vers Stop-Suicide ou la Main tendue.
La compréhension, enfin
Le diagnostic est d’autant plus important qu’il permet aux personnes concernées de recevoir de l’aide adéquate, d’interrompre leur dialogue interne culpabilisant et de mettre en place des mesures pour faciliter leur quotidien: «Souvent, les personnes autonomes soulignent que les adaptations permettent de retrouver une vie sociale plus sereine», ajoute Lise Morgenthaler.
Même son de cloche pour Elizabeth Frei, qui applaudit le nombre croissant de ressources disponibles aux personnes concernées: «Il existe une multitude de mesures que nous pouvons prendre pour nous sentir mieux, une fois que nous avons identifié notre neurodiversité. Cela ne signifie pas que nous devons parler du diagnostic au travail, mais il est possible d'identifier quelques habitudes simples qui peuvent améliorer la qualité de vie.» Parmi celles-ci, notre intervenante évoque l’habitude de prendre des pauses déjeuner plus longues, de choisir une lampe moins puissante, d'acheter un casque anti-bruit ou de travailler à domicile: «L'important est d'être bienveillant envers soi-même et d'oser écouter ses besoins plutôt que de se mettre la pression. La curiosité et la compassion de soi sont essentielles pour trouver un chemin plus durable avec l'autisme».
*Nom connu de la rédaction
TÉMOIGNAGES
Quatre femmes concernées par les TSA et diagnostiquées tardivement, à l’âge adulte, ont accepté de partager leur expérience, afin d’aider d’autres personnes à se sentir moins seules et à découvrir des parcours auxquels elles peuvent s’identifier.
Jordan, 31 ans
«Je me demandais ce qui clochait chez moi, pourquoi tout le monde me trouvait si agaçante, si émotive»
«Quand j’avais dix-huit ans, on m’a diagnostiqué une anxiété généralisée, puis une dépression. J’ai également fait les tests pour détecter un TDAH ou une bipolarité, mais ils se sont avérés négatifs. À mon avis, comme aucune de ces pistes ne semblait totalement juste, on m’a simplement affirmé que j’avais de l’anxiété. Et c’est probablement le cas, mais il me semble que cette anxiété découlait du trouble autistique dont je n’avais pas encore conscience à ce moment-là. J’essayais donc de traiter l’anxiété avec des médicaments et des techniques de pleine conscience, mais rien ne fonctionnait. C’était très frustrant, car cela impactait mes relations: à l’époque, mes partenaires ne comprenaient pas pourquoi j’angoissais autant lorsque le ménage n’était pas fait ou quand nous avions 5 minutes de retard quelque part. Je travaille dans un domaine plutôt masculin et mes collègues disaient tout le temps que j’étais très sensible, très émotive… Mais comme je ne comprenais pas mon propre fonctionnement, je m’en voulais beaucoup, je me demandais ce qui clochait chez moi, pourquoi tout le monde me trouvait si agaçante, si émotive.
Ma psychothérapeute actuelle a été la première à remarquer les signes du trouble autistique chez moi et quand elle m’a demandé si je m’étais déjà interrogée à ce propos, tout m’a semblé plus clair: j’avais déjà découvert des contenus sur les réseaux sociaux dans lesquels je me reconnaissais, sans oser m’auto-diagnostiquer. J’ai alors revisité plein d’événements de ma vie dans ma tête, plein de souvenirs qui, soudainement, avaient tellement de sens! Par exemple, quand j’étais petite, je fondais en larmes lorsque mon père ouvrait un yaourt et qu’il restait un peu d’aluminium sur le pot. Pour moi, c’était une catastrophe. Et quand je me tapais le genou gauche, enfant, je me tapais également le genou droit, pour que tout soit parfaitement égalisé. Je me sentais si différente, j’avais l’impression d’être folle. Le fait d’enfin comprendre son propre fonctionnement ne change rien en soi… et en même temps, ça change tout!
On peut enfin se sentir compris, faire des recherches, s’autoriser à prendre des mesures qui peuvent améliorer le quotidien. Par exemple, avant le diagnostic, je ressentais souvent le besoin impérieux de quitter une fête parce que je ne me sentais pas à l'aise. Mais j’en avais tellement honte que je m’interdisais de partir, quitte à passer la soirée seule dans un coin ou à me réfugier dans les toilettes.
Maintenant, à 31 ans, je ne me pose plus de questions, je pars tout de suite! Par ailleurs, je sais aussi que j’ai parfois besoin de me mettre au lit un moment, quand je me sens submergée ou sur-stimulée, ou que le simple fait de réserver une salle de réunion pour me mettre au calme, au travail, peut beaucoup m’aider. La capacité à reconnaître les signes physiques et d’agir tout de suite, plutôt que de se l’interdire, améliore beaucoup de choses. Mes proches aussi, et notamment mon copain, peuvent aussi mieux comprendre ce que je traverse et mettre en place certaines choses pour m’aider à me sentir rassurée et apaisée.»
Coralie, 40 ans
«J’ai ressenti à la fois le soulagement de ne pas être folle et la peur de la suite»
«Avant le diagnostic, je souffrais de maladies inflammatoires, d’une fatigue chronique, de crises d’angoisse et d’insomnies. Je ressentais aussi une forte culpabilité et la honte de ne jamais être suffisante, de ne pas faire assez d’efforts pour «y arriver», sans oublier la détresse d'être incomprise par l'entourage et mon médecin. J’avais parfois l’impression d’être folle. J’entretenais des idées noires, je me sentais très seule, je vivais des craquages violents et des crises très fréquentes, mais jamais en public. Et j’avais aussi une grande difficulté à me faire des amis. Je copiais les comportements que j’observais autour de moi, mais je ne comprenais rien à l’amitié - et encore moins à l’amour! Cela a suscité beaucoup de tristesse. Les autres étaient à la fois une énigme intéressante et terrifiante.
Côté professionnel, j'avais l'impression d'être dans un théâtre et d'avoir un rôle très flou, où il faut sans cesse tout analyser pour faire semblant. Je n'avais aucun recul et tout me heurtait de plein fouet. Sans compter les stimuli sensoriels qui engendraient un stress énorme: c'était trop. Je donnais l'impression d'être une fille très structurée et joyeuse alors que ce n'était que la façade du chaos stressant que je vivais. À l'intérieur, il y avait constamment de la peur et de l'épuisement.
À la suite de mon 4e burnout (dont ont résulté dix mois d’arrêt) que j'ai rassemblé mes dernières forces pour me décider à consulter un psychiatre. Je voulais savoir, coûte que coûte, ce qui ne tournait pas rond chez moi depuis toutes ces années. Je n'en pouvais plus. Au moment du diagnostic [à l'âge de 34 ans, ndlr], je me souviens avoir eu très chaud, comme si je faisais un malaise. Puis, dans ma tête, j’ai ressenti à la fois le soulagement de ne pas être folle, d’avoir enfin une réponse médicale, et la peur de la suite. Le lendemain, j'ai pleuré parce que j'ai compris que je n'allais jamais guérir. Au fond de moi, j'avais espéré un traitement miracle.
Le diagnostic du trouble autistique et ses comorbidités m’a permis d'avoir un dossier ouvert à l'AI. Les difficultés sont et seront toujours là, mais j'ai appris à les regarder sous un autre angle: j'apprends à détecter les signes de surcharge sensorielle, à évaluer la dose de fatigue de chaque activité et à programmer des journées de repos. Je n'ai plus honte de moi-même, car je comprends mes réactions: elles ont une explication neurologique. J'ai gagné en apaisement mental et en autonomie. Je ne suis plus toute seule pour traverser ça, j'ai un psychiatre gentil et compétent, des professionnels qui m'entourent. Je me suis même fait des amis. Et ma famille est là, toujours fidèle. Je n'ai plus d'idées noires, même s'il y a encore des moments de tristesse. Le diagnostic, c'est à la fois une naissance et une mort, à la fois un espoir et un deuil. Maintenant, je considère que j'ai 2 anniversaires, le jour où je suis née en 1984 à la maternité, et le jour où j'ai existé en 2019 dans le cabinet du psychiatre.»
Véronique, 58 ans
«Enfant, le plus difficile était d'essayer de ressembler à tout le monde»
«J’ai vécu une enfance plutôt solitaire. Sans amis, j’étais mise à l’écart et parfois brutalisée. Je garde toutefois de bons souvenirs de cette période, grâce aux livres et à mon père, qui m’a élevée dès l’âge de dix ans et qui a toujours stimulé ma curiosité et valorisé mon intelligence. Mes premières rencontres amoureuses et amicales ont eu lieu à 18 ans, dans un milieu très marginal qui me ressemblait et me convenait parfaitement: celui des punks. Par la suite, j’ai été très heureuse à l’université, pendant mes études d’archéologie: je me suis fait quelques nouveaux amis, même si j’étais encore mise à l’écart, parfois.
Enfant, le plus difficile était d'essayer de ressembler à tout le monde, tout en ayant du mal à me faire des amis. Mais je préférais cette solitude, beaucoup plus calme et confortable, qui me permettait d'apprendre, dans la littérature, le 'mode d'emploi' de la psychologie et des comportements des gens que je considérais comme normaux, tout en m'évadant d'un monde bruyant.
Ensuite, j'ai pris goût aux rencontres, me rapprochant de pas mal de gens formidables à chaque changement de secteur professionnel. Je n'ai aucune peine à garder ces amis sur plusieurs décennies, même si nos rencontres sont plutôt rares: peut-être la plupart d’entre eux sont-ils aussi neurodivergents que moi? Au travail, j'ai eu quelques débordements comportementaux, qui m'ont valu des recadrages, mais jamais plus que des inimitiés, très bien gérées dans le cadre professionnel. En privé, et avec l'âge qui avance, j'ai de plus en plus de peine à être en couple durablement, même en vivant chacun chez soi. Actuellement, je suis seule et ce sont les vacances! Mais je sens poindre l'envie de faire de nouvelles rencontres.
J'ai reçu mon diagnostic à 54 ans, juste après l'annonce du semi-confinement. J'ai adoré découvrir le télétravail et j'ai profité de ce retour sur soi forcé pour faire le parcours post-diagnostic classique: relecture de toute sa vie et de ses relations sous le «spectre» de ce trouble, soulagement intense de comprendre enfin ce qui clochait jusque-là, joie d'un nouvel apprentissage, lectures, partage entre pairs et acquisition de nouveaux outils... En bref: une réelle recomposition identitaire, presque une deuxième naissance!»
Sarah*, 35 ans
«Il y a dix ans, je travaillais dans un bar et des gens ont commencé à m’imiter et à se moquer»
«Il y a dix ans, je travaillais dans un bar et les gens ont commencé à m’imiter, à se moquer et à décréter, sur un ton railleur, que j’étais autiste. Je pense qu’ils se référaient à ma propension à respecter toute consigne à la lettre, sans prendre le moindre raccourci, mais je me suis beaucoup interrogée quant à leur utilisation de ce terme pour me définir. Ma vision de l’autisme était, à cette époque, associée à de nombreux stéréotypes puisés dans des productions audiovisuelles telles que 'Rainman' ou 'The Big Bang Theory' et je ne m’y reconnaissais pas du tout! Je ne suis pas dénuée d’émotions, je pense même que je les expérimente plus fortement que la majorité des gens, et j’ai appris à mieux tolérer le contact visuel, pour que les autres soient plus à l’aise avec moi.
Je n’y ai plus repensé, jusqu’à mon diagnostic de TDAH, il y a trois ans [à l'âge de 32 ans, ndlr]. Lorsque j’ai commencé un traitement pour mon trouble de déficit de l’attention, les caractéristiques de l’autisme sont devenues plus marquées. J'en ai parlé avec ma thérapeute, qui a confirmé mon hypothèse. Mais je ne souhaite pas traverser tout le processus de diagnostic officiel, car celui-ci peut s'avérer assez lourd.
Je dirais que mon trouble autistique affecte mon énergie, qui fluctue énormément, mon aptitude à prendre soin de moi et mon image de moi-même. Quand j’étais plus jeune, je subissais souvent des moqueries, mes camarades me disaient que j’étais 'bizarre'. J’avais des amis, mais je ne faisais pas vraiment partie d’un groupe. Il m'arrive aussi de mal interpréter les intentions des gens, de penser qu’ils ont envie de tisser des liens d’amitié, alors que ce n’est pas forcément le cas, ou de réaliser à postériori qu’ils ont un peu profité de moi. Pendant longtemps, mon estime de moi-même n’était pas très bonne, je me disais constamment que je n’étais pas assez bien, que je ne savais rien faire... J’essuyais pas mal de rejets, tout en essayant de cacher mes différences pour m’adapter aux autres.
Durant une certaine période, je voulais absolument être quelqu’un d’autre! Ma volonté de changer celle que j’étais a nourri une forme de perfectionnisme et une perception négative de moi-même. Heureusement, j’ai beaucoup travaillé sur ce point et, aujourd’hui, je suis plus bienveillante envers moi. J’ai réalisé que toute personne possède des côtés merveilleux, mais aussi des défauts. J’ai compris qu’aucun des malentendus que je vivais dans mon quotidien n’était ma faute. Je peux également faire en sorte de rendre mon environnement agréable et calme, ou d’éviter les lieux publics bondés durant le weekend, par exemple.
Tout cela peut être résumé par une phrase, citée dans le documentaire de Selena Gomez [My Mind & Me, ndlr]: 'Je ne dois pas craindre les choses que je comprends.' Dès le moment où je comprends mon propre fonctionnement, je peux prendre des mesures pour prendre soin de moi.»
*Nom connu de la rédaction