Ils en prennent pour se sentir «apaisés»
Comment les ados américains sont devenus accros aux psychotropes

Plusieurs études montrent une augmentation de l’usage de psychotropes chez les ados aux États-Unis. Un constat alarmant pour les scientifiques, qui appellent à plus de prévention, mais aussi à prendre à bras-le-corps le problème de la santé mentale.
Publié: 27.02.2024 à 17:59 heures
D'après une enquête de la CDC, 73% des 13-18 ans américains expliquent qu’ils et elles prennent des psychotropes dans l'espoir de se sentir «apaisés, calmes ou relaxés».
Photo: Shutterstock
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Margaux BaralonJournaliste Blick

Il suffit parfois de regarder la télévision pour se voir tendre un miroir sur le monde. Ces dernières années, nombre de séries se sont attaquées à l’usage de psychotropes et ses effets dévastateurs aux États-Unis. «Dopesick», sur Disney+, décrit par le menu la crise des opioïdes, ces antidouleurs devenus un fléau qui ont tué quelque 700’000 personnes ces 25 dernières années. Elle a été suivie par «Painkillers», au titre évocateur («antidouleurs» en anglais), sur Netflix.

Dans un autre genre, la série «Euphoria» aborde aussi la dépendance aux psychotropes. Avec, cette fois, le prisme de l’adolescence, tous les personnages boivent, fument et consomment de la drogue et des médicaments étant au lycée.

Et c’est peut-être, malgré son aspect moins documentaire que les deux autres, celle d'entre ces trois fictions qui reflète le mieux les inquiétudes de la communauté médicale aux États-Unis aujourd’hui. Tous les projecteurs sont en effet braqués sur les ados et jeunes adultes. Il faut dire que les chiffres donnent le tournis.

En 2023, plus d’un tiers (35%) des 12-25 ans américains s’était vu prescrire des médicaments psychotropes au moins une fois dans l’année écoulée. Entre 2019 et 2021, le nombre de jeunes Américains de 13 à 18 ans décédés d’overdose a augmenté de 109%, selon les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies. Rassemblés, ces centres forment la CDC, l’organisme fédéral chargé de la santé publique outre-Atlantique.

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Des substances pour s’apaiser et arriver à dormir

La même CDC a décidé de mener une vaste enquête auprès de plus de 15’000 adolescents pour tenter de comprendre ce qui se joue exactement dans l’usage de psychotropes. Il apparaît que 60% des 13-18 ans en ont consommé dans les 30 derniers jours. Les résultats détaillés, publiés ce mois-ci, sont édifiants. Car ils mettent au jour les motivations des consommateurs. Et «seulement» la moitié des répondants a cité l’envie de s’amuser ou de faire des expériences comme justification pour la prise de drogue, de médicaments ou d’alcool.

En revanche, ils sont 73% à expliquer qu’ils espèrent se sentir «apaisés, calmes ou relaxés». Près de la moitié (44%) explique en prendre pour arrêter de se préoccuper d’un problème, oublier des souvenirs douloureux ou arriver à dormir. Enfin, 40% disent vouloir combattre l’anxiété ou la dépression. Il existe donc un lien très fort, soulignent les auteurs de l’étude, entre la consommation de psychotropes et la santé mentale.

Des médicaments détournés de leur usage médical

Cette analyse ne concerne pas que l’alcool et les drogues illégales, mais aussi les médicaments, avec ou sans ordonnance (respectivement 19 et 21% des ados interrogés en consomment). Ceux-ci peuvent être des anti-douleurs, des stimulants ou, au contraire, des tranquillisants ou des sédatifs. Et là aussi, les chiffres sont inquiétants. Car si la prise d’alcool ou de drogue peut intervenir dans un cadre festif, plus de la moitié (51%) des jeunes qui ingèrent des médicaments normalement accessibles sur ordonnance le font seuls. Un phénomène «particulièrement inquiétant», selon les auteurs de l’étude, qui pointent le risque de tomber sur des contrefaçons ou de faire une overdose. Les pilules contrefaites ont été responsables d’un quart des décès par overdose d’adolescents entre 2019 et 2021.

Même lorsqu’une ordonnance en bonne et due forme est obtenue, la posologie n’est pas forcément respectée. Une étude publiée dans la revue «Family Medicine and Community Health» en 2021 révèle que 31% des 12-25 ans avec une prescription de psychotropes finissent par se tromper dans leur usage. C’est le cas notamment des stimulants et des tranquillisants. Israel Agaku, auteur de cette enquête, parle auprès de l’agence Health Day d’une «épidémie silencieuse de stimulants sur prescription». Utilisées pour améliorer les performances à l’école par exemple, ces substances peuvent être dangereuses mais sont pourtant moins surveillées que les opioïdes. «Il est impératif que les pouvoirs publics, le personnel scolaire, les professionnels de la santé et les parents soient plus conscients de ce danger émergent», explique Israel Agaku.

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De plus en plus de «polypharmacie»

L’inquiétude de la communauté médicale vient aussi d’un changement de paradigme dans la façon de soigner les jeunes. De plus en plus, ceux-ci se voient prescrire non pas un, mais plusieurs psychotropes. Des chercheurs de l’université du Maryland ont ainsi montré, dans une étude publiée il y a quelques jours, un bond de 9,5% de la «polypharmacie», c’est-à-dire le fait de prendre simultanément au moins trois médicaments différents. Ce calcul est effectué sur des jeunes de moins de 17 ans et ne concerne que des psychotropes: anticonvulsants stabilisateurs d’humeur, antidépresseurs ou encore médicaments contre les troubles de l’attention.

Si cette prescription peut tout à fait être justifiée dans certains cas, les auteurs de l’étude appellent surtout à mieux étudier les effets de ces «cocktails», surtout sur des corps et des esprits aussi jeunes. La CDC, de son côté, conseille d’accentuer la prévention, notamment sur la conduite à tenir en cas d’overdose, et d’étendre l’usage de la naxolone, un produit qui permet de renverser les effets d’une surdose d'opioïdes.

Une crise de la santé mentale

Mais le gros chantier est en amont, dans la prise en charge des problèmes psychologiques des plus jeunes. En 2023, l’association des psychologues américains a mis un terme sur ce qui est en train de se passer: «La santé mentale des enfants est en crise», écrivait-elle dans son rapport annuel.

Si l’épidémie de Covid-19 a laissé des traces, les racines du mal sont bien plus anciennes et profondes. «Dans les dix années précédant [la crise sanitaire], les sentiments de tristesse et de désespoir persistants, comme les attitudes et les pensées suicidaires, ont augmenté de 40% chez les jeunes», rappelle l’association. Qui évoque, pêle-mêle, le poids des réseaux sociaux, des débats politiques de plus en plus polarisés et des changements climatiques prompts à provoquer de l’anxiété.

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