Le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis a fait sensation il y a quelques jours en annonçant: «Je ne lis plus les journaux.» Ce n'est définitivement pas le cas de Nick Hayek. À 68 ans, le patron de Swatch Group cite à tour de bras des articles de journaux lorsqu'il nous reçoit au siège principal, situé à Bienne. L'interview ne commence donc pas par une question, mais par une diatribe médiatique de l'entrepreneur.
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Nick Hayek: Ces dernières semaines, certains journaux suisses ont publié des articles, affirmant des choses qui ne correspondent tout simplement pas aux faits. Chacun a bien sûr le droit d'avoir son opinion – même critique – mais lorsqu'il s'agit de chiffres, il faut être précis.
Pouvez-vous citer un exemple?
Après l'annonce du rachat de l'horloger et bijoutier lucernois Bucherer par Rolex, un blog financier a décrit à quel point cela serait grave pour Swatch Group – car nous réaliserions un milliard de francs de chiffre d'affaires avec Bucherer. En réalité, notre chiffre d'affaires 2022 avec le groupe Bucherer dans le monde ne s'élevait qu'à 30 millions de francs, soit 0,4% de notre chiffre d'affaires total. Pourquoi personne ne nous a contactés pour vérifier si ce milliard était vrai ou non? La plupart des journaux qui ont repris cette histoire ne l'ont pas fait non plus.
Dans les articles, il a également été question du fait que le Swatch Group avait perdu des parts de marché...
... et quelles étaient les sources? Le journaliste s'est référé à de soi-disant experts et conseillers. Or, la plupart des entreprises horlogères ne publient pas de chiffres de ventes. Les seuls chiffres qui permettent une comparaison fiable dans le secteur sont les chiffres d'affaires à l'exportation publiés par la Fédération Horlogère Suisse. De janvier à fin juillet 2023, nous avons fait aussi bien ou beaucoup mieux que l'ensemble de la branche dans tous les segments de prix. L'industrie horlogère suisse a augmenté ses chiffres d'exportation de 10% jusqu'à fin juillet 2023, Swatch Group de 19%.
Cependant, ces études ont parfois porté sur une période plus longue.
Les chiffres constituent la base de ces études. Mais si l'on mélange des chiffres qui, pour la plupart, ne peuvent pas être vérifiés, il faut prendre ces études avec précaution. Richemont et nous sommes les seuls acteurs dans l'industrie horlogère suisse à publier des chiffres fiables, car nous sommes cotés en bourse. Tous les autres peuvent affirmer ce qu'ils veulent, par exemple qu'ils ont une croissance de 10 ou 50% ou qu'ils réalisent un milliard de chiffre d'affaires.
Que répondez-vous aux personnes qui estiment que Swatch Group a raté son recentrage sur le segment du luxe?
Au contraire. Les autres fabricants ont eux oublié qu'il existe d'autres segments de prix que celui du luxe. Il suffit de regarder le succès phénoménal de la MoonSwatch et de la Scuba Fifty Fathoms. L'industrie horlogère suisse a déjà fait l'erreur, dans les années 70, de se focaliser uniquement sur les segments chers et haut de gamme — et a connu une grande crise. La Swatch a alors apporté un tournant à l'ensemble de l'industrie. Quelques marques de luxe, aussi grandes soient-elles, ne font pas encore à elles seules une industrie horlogère suisse globale. Nous ne devrions pas uniquement fabriquer des produits pour une élite, mais pour tout le monde.
Malgré tout, n'avez-vous pas raté un virage dans la gestion des marques? Dans les années 60, Omega était une marque plus importante que Rolex. Aujourd'hui, c'est l'inverse.
Oui, c'est exact. Mais c'était avant la grande crise horlogère des années 70. Mon père a ensuite dû faire passer Omega d'un chiffre d'affaires de moins de 250 millions de francs à ce qu'elle est aujourd'hui: l'une des marques les plus innovantes et les plus connues de l'industrie horlogère suisse. Omega réalise aujourd'hui un chiffre d'affaires d'environ 2,5 milliards de francs. Oui, Rolex fait certainement plus de chiffre d'affaires, mais la taille seule n'est pas une valeur en soi. La Suisse n'est pas non plus le plus grand pays du monde et pourtant elle connaît un grand succès.
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La valeur de revente d'une Rolex est également beaucoup plus élevée. Vous le regrettez?
Il y a beaucoup de blabla à ce sujet. Mais il s'agit avant tout de spéculation et de manipulation. Ce marché est fortement influencé par des pénuries artificielles, des éditions limitées et parfois des pseudo-offres. C'est pourquoi Swatch Group ne veut pas y être actif.
Au début de l'année, vous vous êtes fixé comme objectif d'atteindre un chiffre d'affaires de neuf milliards de francs en 2023. Y parviendrez-vous?
Cela dépend de l'évolution du franc suisse. En monnaies locales, nous pourrions atteindre ce chiffre d'affaires record. Regardez nos résultats semestriels. Nous y avons réalisé un chiffre d'affaires record de 4,019 milliards de francs. C'est 11,3% de plus que l'année précédente, mais à taux de change constants, nous avons augmenté de 18%. Prenons le chiffre d'affaires mensuel du mois d'août: avec un peu plus de 700 millions de francs, l'effet de change est d'environ 70 millions de francs. Sans l'effet de change négatif, le chiffre d'affaires aurait donc été supérieur à 770 millions de francs. Mais la situation monétaire négative ne change rien à l'énorme potentiel que nous avons avec nos marques dans le monde.
Et êtes-vous satisfait de l'évolution de ces dix dernières années ? En 2013, vous aviez un chiffre d'affaires de 8,8 milliards de francs. En 2022, il était de 7,5 milliards.
Il est difficile de tirer une conclusion. Sur cette décennie, vous trouvez presque trois ans d'effets Covid, où, en partie, presque tous nos magasins ont été fermés et, bien sûr, une force extrême du franc suisse. Au cours de ces années, Swatch Group a continué à investir massivement dans la base industrielle en Suisse et dans le personnel. Nous sommes aussi le plus grand formateur d'apprentis au niveau des entreprises industrielles en Suisse…
…quid de l'innovation?
Selon l'Office européen des brevets, nous avons déposé l'année dernière 231 brevets, contre 31 pour Richemont et 26 pour Rolex. Le maintien de notre stratégie consistant à tout produire nous-mêmes en Suisse, dans nos plus de 100 usines dans le pays, prouve à quel point Swatch Group est positionné à long terme. Mais nous ne pouvons le faire que parce que nous sommes indépendants et que nous avons un bilan solide, plus de 2 milliards de francs de liquidités et aucune dette. Ce sont toutes des éléments qui sont importantes pour nous en tant qu'entreprise industrielle. Certains analystes financiers et la bourse ont bien sûr une toute autre appréciation.
Vous ne vous souciez donc pas de ce que la bourse pense de Swatch Group?
Nous vendons des montres et non des actions. La bourse est et reste en grande partie un casino qui vit de rumeurs et qui est incroyablement orienté sur le court terme. (Monsieur Hayek va chercher une caricature posée sur une étagère) Le casino boursier fonctionne à peu près ainsi: «I've got a stock here, that could really excel.» «Excel?» «Sell?» «Sell!» «Sell!» «Sell!» Puis soudain un: «I can't take anymore. Good bye!» «Good bye?» «Buy?» «Buy!» «Buy!» «Buy!» (Un jeu de mots entre «excel» qui veut dire décoller en anglais et «sell» qui veut dire vendre ainsi qu’entre «Good bye» qui signifie au revoir et «buy» qu’on peut traduire par acheter.)
Le lancement de la nouvelle collection Blancpain X Swatch ne date que de quelques jours. Votre premier bilan?
Époustouflant! L'énorme succès mondial que nous connaissons depuis mars 2022 avec la MoonSwatch se poursuit avec la Scuba Fifty Fathoms. Que ce soit au Japon, en Amérique, en Australie, en Chine, en Thaïlande, en Italie ou en Suisse, la demande est énorme partout. Un produit non limité qui reste au centre de l'intérêt d'autant de personnes pendant plus d'un an et demi, c'est unique. Toute la Suisse peut être fière de ce succès, car n'oublions pas que la Swatch est fabriquée ici, chez nous, en Suisse.
Qui en a eu l'idée?
Au départ, il y avait la recherche d'un nouveau matériau et innovant pour la Swatch. En 2019, avec une petite équipe d'ETA (ndrl: une manufacture horlogère suisse, filiale de Swatch Group), nous avons réussi, après de longues recherches, à faire une percée avec le Bioceramic, un mélange inédit de céramique et de matériaux biosourcés. Les autres marques du groupe se sont immédiatement intéressées à ce nouveau matériau, mais j'ai clairement décidé que Bioceramic serait utilisé exclusivement par Swatch. J'ai tout de même réfléchi à la manière dont je pouvais faire entrer nos autres marques dans le jeu. Vous voyez le résultat avec la MoonSwatch et la Scuba Fifty.
C'était donc votre idée?
Cela n'a pas d'importance. Ce qui est plus important, c'est de donner vie à une idée et, en plus, de connaître le succès. Nous avons alors construit des prototypes de modèles iconiques, comme l'Omega Speedmaster, la Seamaster, la Blancpain Fifty Fathoms — et aussi de marques externes. Lorsque nous les avons eus entre les mains, nous avons compris que cela pouvait déclencher une révolution positive et que c'était super (de préférence: l’idéal) pour Swatch.
L’effet est-il le même pour Omega et Blancpain? Ces marques profitent-elles aussi du partenariat?
Je me souviens encore de la première fois où j'ai montré le prototype de la Speedmaster au chef d'Omega. Après le premier choc, parce que c'était bien sûr inimaginable, nous avons réalisé ensemble, au fur et à mesure que le temps passait, qu'il s'agissait clairement d'une situation gagnant-gagnant pour Omega et Swatch. Nous pouvons faire connaître aux jeunes du monde entier l'histoire de l'industrie horlogère suisse. Combien de personnes savaient auparavant qu'Omega était allé sur la lune? Il en va de même pour les Fifty Fathoms, non pas sur la lune, mais sous l'eau. Soudain, les Japonais, les Américains et les Chinois connaissent ces histoires sans avoir besoin d'être des spécialistes de l'horlogerie. Et pour la première fois, de nombreuses personnes peuvent se permettre d'acheter un produit Omega ou Blancpain. C'est positif pour l'ensemble de l'industrie horlogère suisse.
Que va-t-il se passer maintenant? Est-ce que Breguet, Glashütte et d’autres vont suivre?
Je ne peux pas dire ce qui va suivre. Je dis seulement que la Suisse peut être fière de la réussite de notre industrie. Rien que grâce au succès de MoonSwatch, Swatch Group a créé 500 nouveaux emplois en Suisse.
Swatch Group est dominé par la famille Hayek...
... Non, la famille Hayek ne domine pas le groupe. Nous sommes le plus grand actionnaire individuel et nous nous engageons dans cette entreprise. Nous n'aurions pas dû le faire. Ma sœur, mon neveu et moi pourrions nous contenter de nous verser des dividendes et de profiter de la vie. Je n'aurais alors pas à me battre avec vous ici (rires).
Dominer n'avait en fait pas de sens négatif. Comment faut-il s'imaginer la collaboration avec votre sœur Nayla et votre neveu Marc Hayek?
Cette entreprise a un Conseil d'administration et une Direction générale qui fonctionnent, nous ne sommes pas les seuls à décider. De plus, nous avons une magnifique culture d'entreprise. Les succès de MoonSwatch et Scuba Fifty le prouvent également: bien que ces projets aient été préparés pendant des années et que des centaines de personnes aient été impliquées, rien n'a filtré. Mais oui, ma sœur, mon neveu et moi travaillons de manière très harmonieuse ensemble et nous nous complétons très bien.
Le changement de génération au sommet est-il également à l'ordre du jour? Vous aurez 70 ans l'année prochaine, votre sœur a trois ans de plus.
Bien sûr que c'est un sujet. Le Swatch Group a procédé à un changement de génération à la tête de presque toutes les marques, sans faire beaucoup de bruit et avec des personnes internes. Aucun chasseur de têtes n'a été nécessaire.
Est-il décidé que votre neveu prendra un jour la direction du groupe?
Il en aurait certainement les capacités. Quant à savoir s'il en a envie, c'est une autre question. Mais vous pouvez partir du principe que nous avons pris des dispositions pour le cas où quelque chose arriverait. Lorsque mon père est décédé si soudainement en 2010 à son travail, nous avions présenté en l'espace de deux jours la solution de succession: la nomination de ma sœur comme présidente du Conseil d'administration.
Vous avez évoqué le décès de votre père. Il y a quelques mois, vous avez également perdu votre mère. Quel rôle avait-elle dans la famille d'entrepreneurs Hayek?
Un rôle énorme. Elle a toujours assuré les arrières de mon père, ce qui était très important, surtout au début de son séjour en Suisse. À ce moment-là, il n'a pas toujours eu la vie facile avec son look un peu méditerranéen. C’est en Allemagne tout d’abord qu’il obtenu la reconnaissance, avec son entreprise Hayek Engineering, qui existe d’ailleurs toujours à Zurich et connaît le succès. Ma mère était aussi la bonne âme qui a veillé à ce que ma sœur, mon neveu et moi soyons tellement paisibles ensemble. Il n'y a pas d'esprit de concurrence chez nous. Lorsque ma sœur est devenue présidente du Conseil d'administration, cela s'est fait tout naturellement.
Votre mère a-t-elle eu son mot à dire dans de telles décisions?
Pas directement, mais elle a créé un climat dans lequel nous nous faisons tous confiance et ne développons pas de fausses ambitions. Sans ma mère, Swatch Group n'existerait pas sous cette forme. Mon père n'aurait peut-être jamais investi. Quand il est rentré à l'époque, il a douté: est-ce que je dois vraiment faire ça? Il y avait beaucoup d'argent en jeu. Ce n'est que lorsqu'il a eu le feu vert de ma mère qu'il l'a fait. Elle nous manque beaucoup. Ma sœur s'est occupée d'elle jusqu'à la fin, pour qu'elle puisse s'endormir paisiblement à la maison.
Si vous vous projetez dans l'avenir, quel est selon vous le plus grand défi pour la Suisse?
Il est important que la Suisse conserve sa force industrielle. L'industrie, les grandes, moyennes ou petites entreprises sont en grande partie les garants de la paix sociale dans ce pays. Pas à Zurich ou à Zoug, où se trouvent les banques et les groupes internationaux. Les produits «Made in Switzerland» créent une identité. Si nous laissons ces produits disparaître au fil des ans — notamment en raison de l'avidité de la bourse vers toujours plus de profits — ce n'est pas bon. Les industriels suisses ont toujours été pragmatiques. Les syndicats aussi. Nous avons toujours pu nous parler parce que nous sommes et avons été moins idéologiques que les Français et les Allemands, par exemple. Nous devons être conscients de la valeur que cela a.
Voyez-vous ce pragmatisme en danger?
Le monde entier semble n'agir qu'idéologiquement. Prenons la guerre en Ukraine. Nous voulons tous que ce conflit s'arrête. Chaque jour, des gens meurent, quel que soit le camp. Autrefois, on essayait de trouver une solution en coulisses par la diplomatie. Aujourd'hui, on ne peut plus le faire, car on est alors accusé de trahir la liberté et la démocratie. Partout, on brandit un doigt moralisateur. En politique, dans la société, partout. Cela nous rend moins libres. Le progrès exige des solutions pragmatiques. Pensez-vous que le fait que la ministre allemande des Affaires étrangères dise que Xi Jinping est un dictateur puisse aider qui que ce soit?
L'Occident est-il prétentieux?
Et hypocrite, comme on le voit avec les sanctions contre la Russie. On les impose et on continue à faire des affaires en coulisses. Les Américains en profitent à leur tour, car ils peuvent désormais livrer du gaz en Europe. L'Arabie saoudite est tout à coup un fournisseur d'énergie bien vu. On peut introduire des sanctions, pas de problème. Mais cela n'a d'utilité que si tout le monde y participe réellement, sinon ce ne sont que des paroles en l'air.
Que pensez-vous de l'attitude de la Suisse?
La force de la Suisse a toujours été d'être digne de confiance et de rechercher des solutions de paix. Nous n'avons jamais été soupçonnés de ne poursuivre que nos propres intérêts. Nous pouvons aussi prendre des sanctions, ce n'est pas un problème et c'est compatible avec la neutralité. Mais nous devons décider des sanctions de manière crédible et indépendante. Nous pourrions en outre jouer un rôle diplomatique plus actif. Pourquoi ne pas sonder discrètement d'autres pays pour voir quelles solutions seraient possibles pour mettre fin à cette guerre?
Peut-être que cela est fait et que nous n'en savons rien.
Y croyez-vous vraiment? Non. La Suisse ne peut plus du tout jouer un rôle positif dans ce conflit. La Suisse est occupée à se défendre contre les attaques de l'Europe et de l'Amérique selon lesquelles nous serions des profiteurs. On veut nous donner mauvaise conscience, et c'est pourquoi nous sommes sur la défensive. Dans ce rôle, vous ne pouvez malheureusement pas développer d'initiatives crédibles.
C'est une conclusion sévère…
Ce n'est pas une conclusion, c'est mon impression. La Suisse agit de manière défensive et n'est pas sûre d'elle-même. Nous n'avons pourtant pas à nous excuser de quoi que ce soit.
Les élections fédérales ont lieu dans un mois. Pour quel parti allez-vous voter?
Je n'en ai aucune idée.
Mais vous allez voter?
En général, oui. Mais je dois encore réfléchir. Je suis quelqu'un de pragmatique. Sur certains sujets, je suis très à gauche, sur d'autres à droite. Je ne peux pas faire de politique partisane.
Vous avez fait part de vos inquiétudes concernant l'industrie. Dans ce contexte, comment évaluez-vous la fin du Credit Suisse?
Je pense que la meilleure solution est que UBS ait finalement repris Credit Suisse. Ce dernier, avec une direction aussi faible, aurait été la victime des spéculateurs. Le retour de Sergio Ermotti est en outre positif. Il est Suisse et comprend notre culture.
Qu'est-ce que cela change pour Swatch Group?
Nous avons toujours travaillé avec de nombreuses banques. En Suisse, nous travaillons très bien avec Credit Suisse et UBS. Mais je crains que la décision d'abandonner la marque Credit Suisse n'ouvre la porte à des acteurs de l'étranger. Nous avons besoin d'au moins deux banques. Après la fin du Credit Suisse, nous avons étendu la collaboration avec les banques cantonales, notamment avec celle de Zurich. Nous allons maintenant regarder de très près comment les choses vont évoluer.
Y aurait-il eu des alternatives à la fin du Credit Suisse?
J'aurais aimé que l'on introduise la filiale suisse du Credit Suisse en bourse. L'UBS aurait pu garder 30, 40%, et des industriels suisses comme AMAG, Schindler, EMS, Stadler, Lindt & Sprüngli et Swatch Group auraient peut-être participé dans le sens de: «Bon, nous prenons une tranche de cinq, six, sept %. Tous ensemble.» Cela aurait créé beaucoup de confiance et de sympathie vis-à-vis du public suisse — et l'UBS aurait gagné de l'argent avec l'IPO (ndlr: l’introduction en bourse), tout en continuant à avoir une banque non dangereuse qu'elle aurait pu contrôler.
Le rapport de force aurait ainsi été préservé.
Exactement, Swatch Group aurait alors une UBS, un Credit Suisse et une banque cantonale zurichoise. Pour nous, cela aurait été une solution plus attrayante. Je ne sais pas si cela aurait été faisable, je ne suis pas un spécialiste des banques. Si la situation évolue positivement avec la «nouvelle» UBS, nous en resterons à deux banques. Sinon, nous devrons nous demander si nous n’avons pas besoin d'une banque supplémentaire — peut- être de l'étranger.
Mais la banque cantonale zurichoise peut faire pour vous tout ce qu'un Credit Suisse pouvait faire?
Elle peut presque tout faire. HSBC aussi. BNP Paribas aussi. On trouve toujours une banque. Mais si l'UBS avait laissé le Credit Suisse exister en Suisse, il aurait probablement été plus difficile pour les banques étrangères de s'implanter ici.
L'UBS a-t-elle donc agi de manière égoïste et sans tenir compte de la place financière?
Non, pas du tout. Vous voulez me faire dire quelque chose que je ne pense pas. Je ne dis pas que c'est une mauvaise solution. Mais en tant que patron, je dois voir comment cela évolue. Si on avait laissé subsister Credit Suisse, nous y serions probablement restés.
Pourquoi les industriels ne sont-ils pas entrés dans le capital en novembre dernier, lorsque le Credit Suisse a cherché à obtenir une injection de fonds au Qatar?
A l'époque, c'était impensable, ne serait-ce qu'en raison des risques liés à la banque d'investissement. En tant qu'entreprise industrielle, je ne participerais jamais à une augmentation de capital.
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Avez-vous aussi parlé à l'UBS à ce sujet?
Je ne peux rien dire à ce propos.
Comment jugez-vous le rôle de l'État dans tout cela?
Les autorités n'avaient probablement pas d'autre alternative. C'est la deuxième fois après 2008 que l'on doit sauver une grande banque. Personne ne fait rien pour les entreprises industrielles en difficulté.
En tant que citoyen, on se demande ...
.. quand est-ce que l'Etat doit intervenir, si ce n'est dans une telle situation? Les raisons de la misère sont ailleurs: en 2009, mon père a donné une importante conférence de presse, avec Christoph Blocher et le président du Parti socialiste de l'époque, Christian Levrat. Ils voulaient obtenir que les banques commerciales et les banques d'investissement soient séparées. Cela aurait résolu de nombreux problèmes et le Credit Suisse existerait probablement encore. Finalement, la perte de confiance était due à la situation catastrophique de la banque d'investissement.