J'ai eu une fortune au poignet pendant une semaine
Pourquoi ça n'est pas si facile de porter une montre hors de prix au poignet

Alors que beaucoup font volontairement la queue pour une montre Swatch-Blancpain, j'ai dû récemment garder une montre vraiment très chère. Eh bien ce fut plus difficile que prévu. Car le luxe a apporté son lot de questions. Les voilà.
Publié: 20.09.2023 à 16:57 heures
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Les montres chères sont appréciées, en particulier celles fabriquées en Suisse.
Photo: Getty Images/PhotoAlto
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Aleksandra Hiltmann

Je m'y connais en matière de garde de plantes vertes, d'animaux domestiques et même d'enfants. La demande de garder une montre de luxe m'a néanmoins prise par surprise.

La propriétaire a commencé par me dire que sa montre devait rester en mouvement pour garder sa précision. Pourquoi me la faire garder? Parce qu'elle ne pouvait pas l'emmener en voyage. «Je ferais mieux de te la mettre tout de suite.»

Il y a des choses qui deviennent d'autant plus légères qu'elles sont chères. Vélos de course, doudounes, chaussures de randonnée. Ce n'est pas le cas de cette montre. À peine au poignet, je sens son poids. Au sens propre. Je le ressentirai très vite au figuré.

Du luxe, mais aussi du stress

Lorsque je demande à sa propriétaire combien elle a coûté, je n'obtiens pas de réponse. Okay, donc beaucoup. Je dois admettre que cela me rend nerveuse. La propriétaire part quand même en voyage, tandis que moi, je reste assise à regarder mon poignet.

Je commence par retrousser la manche de ma chemise. Rien ne doit toucher cette précieuse montre. Mais je redescends aussitôt la manche et la passe par-dessus le précieux garde-temps, inquiète à l'idée de le rayer avec quelque chose.

D'ailleurs, cette chemise a-t-elle vraiment sa place sur la montre? C'est du H&M, de la fast fashion. Exclusivité: zéro. Je regarde autour de moi. D'une certaine manière, rien dans ma vie ne correspond à cette montre qui doit certainement être plus chère que tous mes meubles réunis.

Que signifie le luxe, d'ailleurs?

Dans mes préjugés, les gens qui portent de telles montres vivent dans des villas blanches avec un sol en marbre et de grands balcons avec une vue imprenable sur le lac. Ils sont assis sur des chaises Eames (les vraies, les vintage) et dorment dans des draps en soie. Ils portent du Gucci, du Fendi et du Chanel, ne se lèvent pas pour moins de 20'000 francs par mois et font leurs courses exclusivement chez Globus.

La personne qui m'a donné cette montre en mode baby-sitting n'est pourtant pas du tout comme mes préjugés. Elle est comme moi. Alors est-ce moi qui ai une relation tordue avec le luxe? Et d'ailleurs, que signifie le luxe?

Selon le dictionnaire, c'est une «dépense coûteuse, somptuaire, dépassant le cadre normal (du niveau de vie ou autre), non nécessaire, pratiquée uniquement pour le plaisir; splendeur, abondance somptuaire».

«Depuis longtemps, le luxe n'est plus synonyme de consommation dispendieuse», écrit en revanche le magazine tendance «House of Eden». La nouvelle définition du luxe tourne autour des valeurs et de la responsabilité.

La montre suisse, un marché stable

Les exportations de montres de luxe suisses se maintiennent au même niveau depuis des années, écrivent deux auteurs du think tank austro-allemand Zukunftsinstitut. Entre 12 et 13 milliards de francs. Certes, le think tank prédit le déclin du luxe. Mais le contraire semble s'imposer: le luxe est plus vivant que jamais. Et pourquoi donc?

Le luxe a une «force identitaire», écrivent les auteurs du Zukunftsinstitut. Si les gens achètent des choses comme des bijoux, des yachts, des voitures de sport ou autres, ils s'attribuent des caractéristiques de personnalité telles qu'être riche, puissant, beau, instruit ou jeune.

Tiens, je me demande si d'autres personnes m'ont déjà affublée de ces attributs lorsqu'elles ont maté mon poignet désormais luxueux, m'attribuant un certain style de vie. Cette idée m'amuse. Me tente-t-elle?

Tout simplement par pur plaisir

Je m'imagine que la montre et moi, au lieu de nous rendre au travail en tram, nous nous envolons en jet privé vers mon île privée. Est-ce que je commence à apprécier la splendeur perçue et pourtant réelle de cette montre, même sans posséder ne serait-ce qu'une fraction du luxe imaginé du jet et de l'île?

Peut-être est-ce là le but de cette montre. Un morceau de glamour pour moi toute seule — pour nourrir mon imagination.

Curieuse, je sollicite la propriétaire. «J'ai trouvé cette montre tout simplement cool», m'écrit-elle. «La valeur ne vient pas de ce que tu payes pour elle, mais du plaisir que tu en retires.» Et elle y prend beaucoup de plaisir. Tous les jours.

En revanche, moi j'ai oublié de mettre la fameuse montre au bout du troisième jour. Et elle s'est donc arrêtée provisoirement et j'admets que j'ai été finalement heureuse de pouvoir la rendre.

Mon luxe, je le trouverai probablement dans autre chose qu'une montre. C'en était déjà de pouvoir y réfléchir.

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