Près de deux semaines après le début de la guerre en Ukraine, plus de deux millions de personnes auraient fui le pays (et ce chiffre ne cesse d’augmenter). La Suisse s’est portée volontaire pour accueillir des réfugiés, a mis en place certains dispositifs. La conseillère fédérale chargée de ce dossier, Karin Keller-Sutter, s’est montrée profondément touchée par l’agression de l’Ukraine par la Russie. Pour le rédacteur en chef du groupe Blick, elle évoque la situation.
Madame la Conseillère fédérale, l’invasion russe de l’Ukraine a débuté il y a deux semaines. Vous avez dit avoir eu la chair de poule en l’apprenant. Qu’est-ce qui vous a affectée à ce point?
Karin Keller-Sutter: De savoir qu’une guerre se déroule en Europe, non loin de chez nous. Chaque jour, des gens ne se lèvent plus comme nous avec des soucis du quotidien, ils ne se soucient plus d'attraper un train à temps ou d'être coincé dans les embouteillages. Ce sont leur vie et leur intégrité physique qui sont soudainement menacées.
Environ 1600 réfugiés ukrainiens sont déjà arrivés en Suisse. Combien en attendez-vous?
Nous ne pouvons pas le dire exactement. Cela dépendra de la poursuite de l’agression russe en Ukraine. Si les combats restent tels quels ou s’étendent à l’ouest du pays, ou si l’on en arrive à un cessez-le-feu ou même à la paix, la situation sera très différente. Lors de la conférence des ministres de l’Intérieur de Schengen, on a parlé de 5 à 7 millions de personnes déplacées, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) parle désormais de 10 à 15 millions. Mais les gens vont là où ils ont de la famille, des amis et des connaissances. C’est pourquoi les pays d’Europe de l’Est sont fortement sollicités.
En cas de répartition, cela représente rapidement 40’000 à 60’000 personnes pour la Suisse.
C’est exact. Il existe dans l’Union européenne (UE) un mécanisme de solidarité que l’on pourrait activer. La Suisse y participerait. Mais pour l’instant, les pays d’Europe de l’Est veulent et peuvent maîtriser eux-mêmes la situation, une redistribution n’est pas à l’ordre du jour. Des Ukrainiens viennent tout de même en Suisse.
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Vous avez promis une aide non bureaucratique. Qu’est-ce que cela signifie exactement?
Le Conseil fédéral a décidé, pour la première fois, d’activer le statut de protection S. Les personnes en quête de protection en provenance d’Ukraine bénéficient d’une protection provisoire collective, sans devoir passer par une procédure d’asile.
Peuvent-ils donc aussi travailler s’ils le souhaitent?
Oui, l’activité lucrative est prévue dans le processus, mais le Conseil fédéral en décidera vendredi. Je ne peux pas l’anticiper pour l'instant.
Il n’y a que 1700 lits disponibles dans les centres fédéraux d’asile. Comment les capacités seront-elles augmentées?
Il existe une planification d’urgence entre la Confédération et les cantons. La Confédération peut faire augmenter ce seuil jusqu’à 9000 lits. On parle aussi de casernes ou de gymnases. Les cantons peuvent également mettre à disposition leurs propres logements. Et nous avons de très nombreuses offres de la part de particuliers. Je tiens à les en remercier chaleureusement.
Qui est apte à accueillir des réfugiés, et qui devrait s’en abstenir?
Parmi les réfugiés, il y a aussi des personnes traumatisées. Elles doivent pouvoir s’isoler et être prises en charge. Une famille d’accueil ne doit pas assurer une prise en charge complète, mais si quelqu’un n’est jamais à la maison, ce n’est pas un cadre favorable. Je suis sûre qu’il existe en Suisse de nombreux hébergements adaptés.
Combien de temps faut-il prévoir pour un hébergement?
Cela dépend de l’évolution de la guerre. Si cette invasion se poursuit, cela peut durer très longtemps.
Accepteriez-vous vous-même d’accueillir quelqu’un?
En tant que conseillère fédérale, je ne serais pas la meilleure hôtesse, n’étant jamais chez moi. Une autre question se poserait si je n’étais plus en fonction et qu’une situation similaire se reproduisait, ce que je n’espère pas!
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Vous avez été la première au sein du Conseil fédéral à parler de guerre d’agression et à mettre en avant la solidarité.
C’est une guerre! Enfant, j’ai grandi à l’époque de la guerre froide. Mon père a fait l’école de recrues à Aarau en 1941 et a effectué 900 à 1000 jours de service actif. Il a beaucoup parlé du temps de guerre, cela m’a beaucoup touchée. La question de la guerre froide aussi: quand on était enfant, on ne pouvait pas la situer. Nous avions donc peur d’une attaque russe.
La Suisse soutient désormais pleinement les sanctions de l’UE. Notre pays est-il encore neutre? L’ancien conseiller fédéral Christoph Blocher affirme que nous sommes en guerre...
Nous sommes neutres et nous ne sommes pas en guerre! La neutralité signifie que nous ne participons pas à un conflit armé et que nous ne mettons pas non plus notre territoire national à la disposition des belligérants. S’associer à des sanctions fait partie de la politique de la Suisse. Nous avons par exemple repris les sanctions de l’UE lors de la guerre en Syrie.
Si l’on se projette un peu: quelle issue voyez-vous à cette guerre?
Il y a une solution, et elle s’appelle «Monsieur Poutine». Le président Poutine a le pouvoir de mettre fin à cette guerre à tout moment.
Mais il est totalement imprévisible. Personne ne sait ce qu’il va faire.
Oui, il est imprévisible. Mais les souffrances causées désormais sont indescriptibles. Que des gens soient chassés de leur propre pays. Que l’on tue des enfants et des femmes, des civils en général. Personne ne comprend cette invasion. Encore une fois, M. Poutine a le pouvoir de mettre fin à cette guerre.
(Adaptation par Louise Maksimovic)