Bernard Nicod sort la sulfateuse
«Je manque d’hypocrisie pour faire un bon politicien»

Après ses dons polémiques au Parti libéral-radical (PLR) et à l'Union démocratique du centre (UDC), le géant de l'immobilier Bernard Nicod s'explique et dézingue ses détracteurs. À commencer par la gauche vaudoise en général. Interview.
Publié: 17.08.2023 à 06:05 heures
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Dernière mise à jour: 17.08.2023 à 11:49 heures
Le promoteur immobilier Bernard Nicod ne porte visiblement pas dans son cœur le syndic de Lausanne Grégoire Junod.
Photo: Keystone/Laurent Gillieron
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Antoine HürlimannResponsable du pôle News et Enquêtes

VLAM! L'assistante partie chercher un verre d'eau gazeuse a à peine eu le temps de tourner ses hauts talons que la porte du bureau de Bernard Nicod s'ouvre avec fracas. Le géant de l'immobilier lausannois bombe le torse, tend la main droite et vocifère: «Je vois que le journaliste est arrivé, entrez!»

La pièce est spacieuse, richement décorée. En ce mercredi après-midi, des piles de dossiers vertigineuses font face à un élégant canapé en cuir sur lequel le septuagénaire monté sur ressort s'assoit. Le patron du groupe du même nom, qui revendiquait 49'480 baux (!) en 2022, a imprimé l'article de Blick de la veille sur les milliers de francs qu'il a donné à l'Union démocratique du centre (UDC) ainsi qu'au Parti libéral-radical (PLR).

Au fil de la discussion, ce «vieux capitaine», comme il glisse en souriant lorsqu'on lui demande son grade à l'armée, montre l'étendue de son arsenal. D'abord, il répond sèchement aux critiques formulées par le Parti ouvrier et populaire (POP) et explique pourquoi il soutient la droite libérale et conservatrice. Puis, il sort la sulfateuse. Il dézingue la gauche avec pétulance, dans des éclats de voix dont le volume sonore flirte certainement par moments avec les limites légales. Interview sans boules quies.

Bernard Nicod, vous avez donné 10’000 francs à l’UDC et 7000 francs au PLR en 2022. C’est parce que vous avez trop d’argent et que vous ne savez plus comment le dépenser?
Pas du tout! Je suis fidèle à ma réputation, je ne suis simplement pas radin. Que ce soit pour des causes humanitaires ou politiques. Je trouve normal de soutenir nos politiciens qui travaillent énormément. J’ai beaucoup de respect pour ces gens qui s’engagent pour leur pays gratuitement, mais avec conviction.

Gratuitement, gratuitement… Il faut le dire vite, malgré notre système de milice.
Mouais, ils ont quelques indemnités… Comme celles que j’avais quand j’étais commandant de bataillon.

Quand vous donnez à des partis politiques, vous attendez quelque chose d’eux en retour?
Rien du tout. C’est normal de soutenir des partis qui ont des valeurs que l’on partage.

De quelles valeurs parlez-vous?
Des valeurs suisses que sont notamment le travail, l'honnêteté et le respect. Et le droit de pousser de temps en temps un coup de gueule.

Vous avez davantage donné à l’UDC parce que c’est le parti dont vous vous sentez le plus proche?
Non, je n'ai pas de préférence entre le PLR et l'UDC. Même si je ne vous cache pas que je trouve l’UDC solide et sérieuse. Je l’aime bien. Depuis ma majorité, j’ai dû manquer deux votations. J’ai 75 ans. J’ai fait 1300 jours de service, je suis un citoyen qui vote et qui fait voter. Par conséquent, je me dois d’avoir des idées, des valeurs, de les communiquer et d’aider ceux qui ont les mêmes que les miennes.

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«J’ai aussi donné au Parti socialiste à une époque où il y avait des gens de valeurs dans ses rangs»
Bernard Nicod
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C’est la première fois que vous donnez à un parti ou à une personnalité politique?
Non, je l’ai déjà fait de nombreuses fois par le passé.

A qui?
Je ne vais pas aligner les noms, cela ne sert à rien. Mais j’ai aussi donné au Parti socialiste à une époque où il y avait des gens de valeur dans ses rangs.

Ce n’est plus le cas aujourd’hui?
Parlons-en. (Il agite une liste des dons faits aux partis politiques vaudois en 2022) Le problème avec le Parti socialiste, c’est que ses membres s’autofinancent. Regardez, Nuria Gorrite (ndlr: la conseillère d’Etat en charge de la culture, des infrastructures et des ressources humaines). Elle a donné 27’000 francs à son parti. Son cas le montre bien: les socialistes se donnent de l’argent à eux-mêmes avec leur salaire payé par l’argent du contribuable.

Si vous ne soutenez pas la gauche et notamment le POP, comme l’a relevé sur nos plateformes son président, ce n’est pas plutôt parce que cette famille politique défend les locataires?
Cela n’a rien à voir! Je m’entends par ailleurs très bien avec l’ASLOCA. À propos du POP, ce qu’il y a d’intéressant quand on regarde la liste des dons, c'est qu'on voit que son deuxième plus grand contributeur, avec 12’000 francs, est le juge cantonal Pierre Hack. Lui aussi est payé par les contribuables. Donc qu’ils arrêtent de nous emmerder avec des remarques déplacées.

En parlant de locataires, l’ASLOCA a annoncé en juin une future initiative populaire «contre les loyers et rendements excessifs». Ça vous inquiète?
L’ASLOCA a lancé beaucoup de choses. On ne s’en occupe pas. Nous, ce qui nous intéresse, c’est de soigner nos locataires. On essaie d’être juste et ce n’est pas toujours facile.

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«Il y a de plus en plus d'oppositions de locataires et propriétaires qui sont d'accord de densifier, mais pas devant chez eux»
Bernard Nicod
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Vous êtes l’un des plus grands spécialistes de l’immobilier…
L’un des?! Vous vous trompez! (Rires)

Soit. Vous êtes LE plus grand spécialiste de l’immobilier de la région et les loyers augmentent continuellement. C’est un fait. Pourquoi?
Ah, voilà une bonne question! La réponse est compliquée, cela ne va pas vous plaire. Il y a de plus en plus de réglementations, une raréfaction du terrain, une demande qui dépasse l'offre et de plus en plus d'oppositions de locataires et propriétaires qui sont d'accord de densifier. Mais pas devant chez eux.

C'est tout?
Vous en conviendrez: ces dernières années, il n’y a pas que les loyers qui augmentent. (Il hausse la voix) Tout augmente! Ce que je peux dire, c’est que si les autorités nous laissaient construire tout ce qu’on a dans le pipeline, il n’y aurait pas autant de dossiers bloqués. Je vais d’ailleurs vous dire combien j’ai dépensé en frais d’avocat l’année dernière.

Je suis sûr que vos avocats doivent vous adorer!
(Il hurle) J’ai payé 820’000 francs, Monsieur! Alors oui, ils m’adorent. Mais je n’ai pas toujours obtenu les permis. Sans ces procédures interminables, nous aurions construit 300 logements de plus. Par conséquent, je veux soutenir les politiques qui s’engagent pour la productivité. Pas ceux qui ralentissent tout et qui défendent les assistés qui font augmenter tous les prix.

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«En politique, on ne peut pas dire la vérité»
Bernard Nicod
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Qui sont ces assistés dont vous parlez?
Vous les connaissez mieux que moi. C’est une trop grande partie de notre bon peuple.

Vous avez des idées, une tronche et des moyens conséquents. Vous n’avez jamais voulu vous lancer en politique pour changer les choses qui vous dérangent?
Non, je manque d’hypocrisie pour faire un bon politicien. Je suis trop direct et je dis la vérité. En politique, on ne peut pas dire la vérité. Il faut combiner.

Vous n’aimez pas le compromis?
Ce n’est pas mon style.

Bernard Nicod et le conseiller fédéral UDC Guy Parmelin se saluent chaleureusement lors du Forum des 100, en 2019.
Photo: Keystone

Mais tout de même… Vous devez être assez malheureux dans une ville de gauche comme Lausanne.
J’ai aussi vécu dans la Lausanne de droite et dans toute sa beauté d’alors. Je vous parle de l’époque où Juan Antonio Samaranch (ndlr: ancien président du Comité international olympique), dont j’étais le conseiller, a incroyablement développé cette ville. Je préfère vous parler de la ville de cette époque que de celle d’aujourd’hui. Elle ne mérite pas qu’on le fasse.

Si vous étiez le socialiste Grégoire Junod…
(Il bondit) J’ai connu un Junod et il était conseiller d’Etat (ndlr: Le radical Raymond Junod, en poste de 1974 à 1988). Il était brillant. Pour moi, il n’y en a pas d’autre.

Je reformule: si vous étiez syndic de Lausanne, que feriez-vous si vous aviez une baguette magique?
Je ferais revenir à Lausanne tous les gens de grande qualité qui payaient beaucoup d’impôts et qui aimaient cette ville. Je les appellerais immédiatement. Aujourd’hui, Lausanne n’est plus Lausanne. Où est-ce qu’on pète des magasins la nuit, comme en France? C’est au Flon, à Lausanne. Ce n’est plus la même ville et je le déplore.

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«À un moment donné, il y aura quelqu’un qui sauvera Lausanne»
Bernard Nicod
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Vous soutiendrez la droite lors des prochaines élections communales?
Oui.

Tout cela est bien joli, mais si la gauche a une telle majorité, c’est parce que la population la plébiscite dans les urnes. Et si elle le fait, c’est qu’elle est satisfaite de son action, non?
Ecoutez, je pense qu’il faut que les choses continuent un moment ainsi, car après avoir touché le fond, on finit par remonter. Ils n’ont qu’à continuer à faire des conneries. À un moment donné, il y aura quelqu’un qui sauvera Lausanne.

Vous souhaiteriez voir apparaître une figure providentielle?
Il y a toujours des figures providentielles quand on se rapproche du fond du trou.

Mais cela ne sera pas vous.
Je ne sais faire qu’une seule chose: c’est mon métier. Je n’ai pas d’ordinateur, je ne sais pas comment mettre de la benzine dans ma voiture… Le bon Dieu m’a donné des qualités pour faire ce que je fais et rien d’autre. Alors, je reste modeste et je fais ce que je sais faire.

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